Je vais maintenant vous raconter un bout de ma vie. C'est sûrement très impudique, mais c'est parce que j'aimerais vous parler de Vincent.

Vincent était mon voisin lorsque j'étais petite. Il avait un an de plus que moi et était très mignon. Tout comme son frère, Tristan, qui avait 6 ans de plus que moi et était quant à lui un bon ami de ma soeur. Vincent et moi n'étions pas vraiment amis, mais surtout pas ennemis non plus.

Mon premier souvenir de lui remonte à la maternelle. Un soir, tandis que ma mère me ramenait à la maison après l'école, nous sommes passées en voiture devant le domicile de Vincent et Tristan. Vincent était devant sa porte, tout seul, sur la pointe des pieds, et tentait maladroitement d'ouvrir la serrure de chez lui sans y parvenir, car il était trop petit. Ma mère s'est arrêtée, l'a aidé, a attendu que son grand frère rentre de l'école et est remontée bouleversée dans la voiture. Bouleversée qu'un petit garçon de cet âge se retrouve seul et dans cette situation. Ma mère m'a souvent reparlé de cette histoire par après et ne décolérait pas. D'où, probablement, le fait que je m'en souvienne encore des années plus tard.

Mon deuxième souvenir de Vincent date de la maternelle toujours. J'étais alors en moyenne section. Il faisait beau et la journée d'école touchait à sa fin. Nous étions dans la salle de jeu avec ma classe et d'autres enfants lorsque Vincent, qui avait un an de plus que moi (rendez-vous compte, c'était un "grand"!), s'est avancé vers moi pour me parler, puis m'a complimentée sur une petite pochette que je venais de confectionner. J'étais heureuse... et si fière! J'avais l'impression que tout le monde nous regardait et que l'aura du "garçon de grande section" rayonnait si fort qu'elle illuminait jusqu'à ma personne.

Mon troisième souvenir de Vincent est bien plus tardif car nous n'avons pas fréquenté la même école primaire. C'était au collège et ça devait être ma première boom. J'étais aussi excitée qu'intimidée et empotée. Tout le monde avait trouvé son cavalier mais, comme je n'étais pas très débrouillarde, je me suis rapidement retrouvée seule au bord de la piste, condamnée à regarder les autres danser... Quand soudain, Vincent est arrivé et m'a invitée à danser. A l'époque, j'étais amoureuse d'un autre garçon. Mais Vincent était quand même tout mignon. Et pas très grand non plus, si bien que sa taille était parfaite pour la mienne. Vincent était en plus tellement gentil... Je garde de ce slow un souvenir parfait et ému. Pas un souvenir amoureux, non. Mais un souvenir ému en repensant à cette douceur et cette bienveillance si rares chez les camarades d'école d'alors.

Mon quatrième souvenir de Vincent prend place environ un an plus tard. Vincent et moi n'avons jamais été dans la même classe et n'avons donc pas les mêmes fréquentations. Nous ne sommes pas amis mais, lorsque nous nous croisons, il me semble que nous sommes heureux de nous voir. C'est probablement au cours d'une de ses rares rencontres que je raconte - déçue - avoir raté le Méga Music Dance. Le lendemain, Vincent arrive au collège avec une K7 audio sur laquelle est enregistré tout le concert et me la donne. Parmi tous les morceaux, il y a le Manchild de Neneh Cherry. Je l'écoute en boucle pendant des jours et la réécouterai souvent au fil des années. Chaque fois, j'ai une pensée pour Vincent.

Mon dernier souvenir de lui date de la faculté (et oui, les années ont passé, Vincent est allé dans un lycée, moi dans un autre et la vie a filé). Un beau matin, tandis que je prends le bus pour me rendre à l'université, voici que je tombe nez à nez avec Vincent. Nous sommes contents de nous voir, comme les fois précédentes. Nous faisons le trajet ensemble, nous racontons vaguement nos vies respectives, plaisantons un peu, parlons musique, et concluons en nous disant que c'est trop idiot, que nous sommes voisins mais que nous ne faisons jamais rien ensemble et qu'il faut changer ça. Nous nous quittons le sourire aux lèvres et, je crois, décidés tous les deux à nous revoir bientôt. Mais vous savez comme est la vie. Il a ses amis, j'ai les miens, et les mois filent à nouveau...

Je pense de temps en temps à Vincent, bien sûr, et c'est toujours un sentiment heureux.

Puis un soir, ma soeur rentre à la maison. Elle m'explique qu'elle vient de croiser la mère de Vincent et Tristan sur son lieu de travail et me dit que cette dernière a l'air de faire face, mais qu'une très triste nouvelle est venue frapper la famille. Vincent est mort.

Je n'ai jamais su ce qui c'était passé. Ma soeur n'a pas osé poser de question...

Vincent avait un an de plus que moi. C'était le "garçon de grande section". Il était tout mignon. Et si gentil. J'ai peu de souvenirs de lui, ils se comptent sur le doigt d'une main. Mais chacun d'eux est un souvenir heureux.

Depuis, chaque fois que j'écoute cette chanson de Neneh Cherry, je repense à Vincent et je me souviens de son visage, de sa douceur, de sa gentillesse, de sa bienveillance. Je me souviens de la salle de jeu, du slow, de la K7, de son sourire et de son aura. Et je ne peux - évidemmment - m'empêcher de me demander pourquoi...