Chimère a écrit:
D'autre part, je me demande si - justement - le fait que le monde de la recherche et de l'édition scientifique (pour le coup, j'ai un gros doute sur le fait que ça sauve des vies, mais soit. Je ne suis pas du sérail) aillent si mal en ce moment... est-ce que ce n'est pas aussi un signe que la logique interne et le fonctionnement de ce "système" est arrivée à sa limite ?...

Oui mais ça dépend de ce que tu entends par 'système" : ou bien le monde de la recherche et de l'édition scientifique dans l'état dans lequel il se trouve actuellement (et il est indéniable qu'il n'est pas en forme, pour employer l'euphémisme du siècle), ou bien ontologiquement le système d'une recherche basée sur la méthode scientifique et qui diffuse ses résultats dans des revues peer-review.
Certains penchent effectivement pour le deuxième cas de figure (et de mon expérience, il s'agit plutôt de gens qui ont un souci philosophique avec la Science en tant que telle et qui profitent de la maladie pour inciter à l'euthanasie du patient*).
Je me place personnellement, et tu t'en doutes certainement, dans le premier cas. Je ne pense vraiment pas que le système soit intrinsèquement pourri (il a quand même une efficacité indéniable et pas mal de victoires à son actif) ; comme l'a dit Metronomia, c'est la marchandisation et la recherche du profit à outrance qui sont responsables de la crise actuelle dans le système de la production d'information scientifique.
On pourrait faire un parallèle (mutatis mutandis) avec la baisse de qualité de l'information médiatique en général sous l'effet de la pression des actionnaires, de la concentration des médias, de la précarisation des journalistes et de leur réduction à un rôle de simples copistes de dépêches AFP au détriment de l'investigation, etc... Il ne viendrait à personne de dire que c'est la presse en elle-même qui est en cause et que la solution consiste à interdire toute forme de journal ; c'est plutôt le grand bain capitalistique dans lequel la presse barbote depuis 15 ans qui serait responsable de ces dysfonctionnements.
Metronomia a écrit:
Dans la suite de nos derniers échanges, voici un thread que je trouve très intéressant sur Raoult, The Lancet et la chloroquine. L'auteur y soutient que le vrai scandale n'est pas chez Raoult (dont il ne sous-estime pas pour autant les erreurs et manquements) mais bel et bien l'article de The Lancet:
J'avoue complètement me ranger derrière l'avis des quelques Twittos qui pensent que les deux sont scandaleux l'un comme l'autre, et qu'ils incarnent les deux facettes d'une même pièce.
Le pipeau article de
The Lancet est l'incarnation des dérives liées à la course à la publication et au
publish or perish : une revue réputée peut se retrouver à publier un papier mal troussé** pour suivre le tempo médiatique et l'actualité. Raoult est l'incarnation d'une science qui tend à devenir une sorte de
star system (p'têt plus dans l'esprit des gens que dans la réalité, d'ailleurs), et dont certains égos hypertrophiés savent très bien tirer parti.
Le fait que Raoult ait pu autant tirer la couverture à lui (il a quand même réussi à avoir la visite du président et une interview en prime-time sur LCI !) sur des bases scientifiques aussi légères, juste avec sa grande gueule et une communication bien rodée, devrait choquer beaucoup plus que ça ne semble émouvoir la plupart des gens. L'affaire
The Lancet scandalise, ce qui est légitime, mais au moins l'article incriminé a été retiré après quelques jours.
* Vous noterez que j'ai volontairement évité ici d'utiliser une métaphore décrivant un nourrisson évacué avec le liquide servant à ses ablutions, ceci afin de ne pas devenir une caricature de moi-même.
**Je persiste à penser que s'il y a des indices qui auraient pu mettre la puce à l'oreille des relecteurs du caractère frauduleux des données, c'est un problème qui se pose intrinsèquement avec le système de validation par
peer-review : il n'est pas conçu pour détecter les fraudes, la bonne foi des auteurs soumettant l'article est implicite. On pourrait imaginer d'autres systèmes, où les expériences décrites dans les articles seraient reproduites par des équipes indépendantes de façon à contrôler l'authenticité des observations et données recueillies... mais ça demanderait un temps monstrueux et des moyens considérables. Traquer la fraude est nécessairement très compliqué.