Ar Soner a écrit:
Socialement, je suis convaincu qu'il faut des militants. Mais il faut également aussi des zététiciens... et je suis sûr que les deux milieux auraient énormément de choses à s'apporter s'ils pouvaient dialoguer. (...) Au lieu de cela, à l'heure actuelle, ces deux milieux se regardent en chiens de faïence... et j'observe (ce qui a tendance à m'inquiéter) un clivage de plus en plus marqué entre eux, avec d'un côté des zététiciens de plus en plus rivés sur les sciences dures et qui méprisent tout ce qui s'en écarte ; et de l'autre des militants qui tendent de plus en plus à considérer que la démarche scientifique, c'est un truc d'« homme blanc colonisateur » et que ce n'est pas fait pour eux.
C'est tellement vrai! Je crois te l'avoir déjà dit en
off: moi aussi j'aimerais que les productions des uns et des autres se rencontrent plus souvent. D'ailleurs, je reconnais tomber moi-même de plus en plus fréquemment dans le travers de repli que tu décris, précisément parce que j'observe le mépris de plus en marqué de certains zététiciens vis à vis de tout ce qui est à connotation politique/idéologique. Mais tu as raison de souligner qu'ils pourraient eux aussi se formaliser de pas mal de comportements dans le "camp opposé".
Citer:
Si je soulevais cette histoire de faux souvenirs, c'est uniquement pour appuyer l'idée qu'un souvenir ancien ne peut pas servir de preuve dans le cadre d'une enquête judiciaire, car il a pu être modifié voire inventé de toute pièce (cf. Leaving Neverland et les témoignages de victimes de Michael Jackson).
Oui, je reconnais tout à fait qu'un souvenir ancien ne peut pas servir de preuve et je n'oublie pas non plus que notre mémoire est éminemment faillible. Disons plutôt qu'un témoignage peut, à tout le moins, constituer un indice? Cela a le mérite d'être plus nuancé que les propos de ceux qui diraient qu'il ne faut tout simplement pas en tenir compte.
Citer:
D'autre part, en ce qui concerne les amnésies traumatiques, ce n'est pas tout simple car il y une vraie controverse scientifique à ce sujet : la plupart des spécialistes des faux souvenirs d'agressions considèrent notamment que cela n'existe pas, ou alors pas du tout de la façon dont cela est présenté habituellement.
J'ai trouvé cela en cherchant un peu. Alors :
oui, je réalise qu'il s'agit de l'AFIS (une source qui ne doit pas forcément t'inspirer beaucoup de sympathie), et
oui, cette article a été écrit en réaction à un sujet éminemment politique (l'allongement du délai de prescription pour les agressions sexuelles)... maiiiis les interviews sont réellement intéressantes et méritent le coup d'oeil.
Je confirme que le lien est très intéressant. D'abord, j'ignorais qu'il y avait une controverse sur le concept d'amnésie traumatique. C'est donc très bien que tu l'aies porté à ma connaissance. Et il se trouve en plus que ce papier tombe à point nommé car il aborde un point que je voulais justement aborder plus clairement précédemment mais que j'ai oublier de développer dans mes derniers messages. C'est notamment le cas lorsqu'il est dit que:
Citer:
Elles (les victimes) ont encodé l’événement, mais l’ont oublié, non pas parce qu’il a été si traumatisant, mais parce qu’il n’était pas traumatique au moment de son apparition, et qu’il n’était pas compris comme un inceste. C’est plus tard qu’il sera réinterprété comme un inceste au cours d’une thérapie ou à la lecture d’un article ou autre chose… L’évènement peut avoir provoqué de l’anxiété et de la confusion, mais pas la terreur du traumatisme.
(Note que c'est - au passage - exactement ce qu'on retrouve dans le témoignage des deux adultes de
Leaving Neverland: ils expliquent bien que, sur le moment, les viols et attouchements commis n'ont pas été vécus comme traumatiques).
Et c'est là un autre point crucial du débat. Il y a ce que la victime vit/a vécu, et le regard que la société pose ensuite là-dessus. J'explicite:
dans mon précédent message, je disais par exemple:
Citer:
les unes font le choix de rester au foyer tout à fait délibérément (ou pensent le faire délibérément, c'est toujours délicat à déterminer dans une société globalement sexiste où te fait comprendre dès l'enfance qu'être mère est une consécration et un aboutissement)
C'est là, à mon avis, que les embrouilles peuvent commencer. Car, qui sommes-nous - au fond - pour aller soutenir à des gens (par ailleurs convaincus d'avoir fait un choix librement et de façon éclairée), que ce qu'ils vivent est en fait le fruit de la domination patriarcale (par exemple)?
De mon côté, je pense
vraiment que ça l'est. Mais je reconnais dans le même temps que ça peut être violent à entendre car en disant celà, je déspossède forcément la personne en face de moi de son ressenti et de son libre-arbitre (notion, là encore, infiniment politique).
Pour résumer, là où elle se pense actrice de sa vie, je la pense victime d'une société mal fichue.
Dans le cas des attouchements ou des viols, c'est d'autant plus délicat. Si l'on ne peut qu'admettre qu'à l'âge de 7 ans, un enfant ne peut en aucun cas être consentant, on doit aussi reconnaître qu'une agression n'aura pas forcément été vécue comme telle (c'est ce qu'explique très bien l'article que tu as posté). Du coup, c'est aussi très violent pour l'enfant devenu adulte qui découvre que ce qu'il a vécu était en fait un déni de sa personne/une manipulation d'un tiers.
En plus, je crois qu'il est admis (mais c'est vraiment à vérifier, j'espère ne pas raconter n'importe quoi) que même dans le cadre d'un viol ou d'une agression, la victime peut ressentir des choses très ambivalentes, et notamment du plaisir. Du coup, lui asséner de but en blanc que ce qu'elle a vécu n'est pas normal peut, dans certains cas, faire du bien, mais dans d'autres, cela peut déclencher une culpabilité encore plus forte...
On en revient donc selon moi toujours à peu près à la même conclusion: écoutons d'abord ce que les victimes ont à dire, comment elles vivent les choses et comment elles disent se sentir... Et voyons le reste ensuite.
Mais bref, pour en revenir à la controverse sur l'amnésie traumatique, si l'article de l'AFIS soutient que le phénomène n'a pas pu être démontré, après une rapide recherche sur Google (recherche qui serait évidemment à approfondir), je vois que cela aurait au contraire été très bien observé et bien documenté chez des soldats revenus de la guerre. Alors autant, dans le cas des violences sexuelles, je peux comprendre qu'il soit très difficile (voire impossible) d'établir la véracité d'un souvenir refoulé lorsque celui-ci réapparaît longtemps après, autant - pour des soldats gravement blessés - je me dis que le phénomène doit être assez facilement démontrable? Il faudrait donc peut-être fouiller de ce côté-là?
Enfin, et pour pinailler un peu, j'aurais tendance à dire que, si un souvenir occulté et rapporté sur le tard ne doit pas être pris pour argent comptant et nécessite bien sûr de prendre toutes les précuations du monde, je trouve que le fait de rapporter (de manière involontaire) des agressions sexuelles vécues qui n'auraient pas eu lieu n'est de toute façon pas neutre. Ca démontre probablement une fragilité de la personne qui en fait le récit, et c'est donc à creuser dans tous le cas, car cela peut - à mon sens - de toute façon réveler quelque chose de traumatique (quand bien même ce ne serait pas des abus sexuels).
Ar So a écrit:
Je vois à quelle affaire tu penses... Et quand l'un des partis n'a absolument pas demandé à recevoir des SMS au contenu sexuel,
quel que soit le regard qu'on porte sur le monde, on peut difficilement dire qu'il s'agit d'une simple échange entre adultes consentants (puisque par définition le consentement se construit à deux !).
Eheh, bien sûr! Je ne peux qu'être d'accord.
Mais pense par exemple à une affaire un peu plus floue (qui, par exemple et au hasard (

), concernerait un ministre en poste et une ancienne call-girl). Imagine que la call-girl en question souhaite faire effacer une condamnation de son casier judicaire et s'adresse - sur les conseils de quelques autres - au ministre en question. Le ministre lui fait alors comprendre que, moyennant un diner et une partie de jambes en l'air, ça peut tout à fait se régler. La call-girl, pas emballée, se résout tout de même à donner suite parce que cette condamnation lui pose un vrai problème dans son quotidien. Ils se voient, ils couchent ensemble... et, par la suite, la call-girl porte plainte, parce qu'elle comprend que c'était de l'emprise. Elle n'arrive pas à digérer ce qui s'est passé, quand bien même elle ne s'y est pas opposée...
Ici, ce qui entre en ligne de compte, c'est la notion de responsabilité.
Les un-e-s jugeront que la call-girl est bel et bien une adulte responsable et qui aurait tout à fait pu dire non. Ils estimeront que si elle a accepté la relation sexuelle pour obtenir un service, alors elle n'a pas à venir se plaindre de ce qui s'est passé (note que le fait qu'il s'agisse d'une call-girl est en plus un facteur agravant aux yeux de certain-e-s). En gros, elle a consenti un point c'est tout, et elle assume.
Mais d'autres te rétorqueront que ce n'est pas un réel consentement dans la mesure où le ministre, de par son poste et sa fonction, était en position de force et a de toute évidence profité de ça pour faire chanter une femme. C'est donc un abus de pouvoir et il ne saurait y avoir de consentement dans ce contexte.
Ici, je laisse chacun-e décider de ce qu'il y voit. Quant à moi, ma position est la suivante: d'abord, cette femme a porté plainte et cela démontre pour moi qu'elle a vécu les choses comme une agression. Il faut donc le prendre en compte. Mais, puisque là encore on m'opposera probablement (à raison), le motif de l'argent, j'ajoute que ce qui peut/doit
aussi poser question, c'est le rapport que semble avoir ce ministre aux femmes. Si coucher avec elles alors qu'il n'ignore pas qu'elles n'en ont aucune envie ne le dérange pas, c'est peut-être qu'il a quand même un léger petit problème dans sa façon de considérer la personne en face de lui. En gros, il jouit (au propre comme au figuré) de son pouvoir. Personnellement, rien que pour ça, ça ne suscite que mon mépris...