Ah, j'étais complètement passé à côté de ce sujet... Honte à moi.
Je dois reconnaître que je ne suis pas très sensible à la poésie... La plupart des poèmes (surtout ceux qui émanent de la "tradition classique") n'arrivent pas à me toucher. Si je devais cependant choisir quelques textes parmi mes préférés, il y aurait :
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les Djinns, de Victor Hugo :
(le mot "djinn" étant déjà un pluriel -le singulier étant djinni, on ne devrait normalement pas y mettre de "s"... ) Citer:
Murs, ville
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise
Tout dort.
Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit.
La voix plus haute
Semble un grelot.
D'un nain qui saute
C'est le galop.
Il fuit, s'élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot.
La rumeur approche,
L'écho la redit.
C'est comme la cloche
D'un couvent maudit,
Comme un bruit de foule
Qui tonne et qui roule
Et tantôt s'écroule
Et tantôt grandit.
Dieu! La voix sépulcrale
Des Djinns!... - Quel bruit ils font!
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond!
Déjà s'éteint ma lampe,
Et l'ombre de la rampe..
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.
C'est l'essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant.
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.
Ils sont tout près! - Tenons fermée
Cette salle ou nous les narguons
Quel bruit dehors! Hideuse armée
De vampires et de dragons!
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée,
Tremble, à déraciner ses gonds.
Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure!
L'horrible essaim, poussé par l'aquillon,
Sans doute, o ciel! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon!
Prophète! Si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs!
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs!
Ils sont passés! - Leur cohorte
S'envole et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés!
De leurs ailes lointaines
Le battement décroît.
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.
D'étranges syllabes
Nous viennent encor.
Ainsi, des Arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s'élève,
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.
Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leur pas;
Leur essaim gronde;
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.
Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord;
C'est la plainte
Presque éteinte
D'une sainte
Pour un mort.
On doute
La nuit...
J'écoute: -
Tout fuit,
Tout passe;
L'espace
Efface
Le bruit.
En général, je n'aime pas Victor Hugo. Tant le personnage que sa poésie (que je trouve assez lourde et inélégante, en dépit de tout le bien que certains littéraires peuvent en dire) m'insupportent.
Les Djinns est un peu à part ; avec sa métrique particulière, c'est presque davantage une musique ou un exercice de style qu'un poème au sens strict. On sent la nuée des djinn qui arrive au loin, elle n'est qu'un murmure ; elle se rapproche, le vacarme va crescendo jusqu'à devenir assourdissant ; puis ils disparaissent dans le lointain et ainsi le bruit...
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La Danza de Lua en Santiago (La danse de la Lune à Saint-Jacques de Compostelle), de Federico Garcia Lorca :
Citer:
¡Fita aquel branco galán,
olla seu transido corpo!
É a lúa que baila
na Quintana dos mortos.
Fita seu corpo transido
negro de somas e lobos.
Nai: a lúa está bailando
na Quintana dos mortos.
¿Quén fire potro de pedra
na mesma porta do sono?
¡É a lúa! ¡É a lúa
na Quintana dos mortos!
¿Quen fita meus grises vidros
cheos de nubens seus ollos?
¡É a lúa! ¡É a lúa
na Quintana dos mortos!
Déixame morrer no leito
soñando con froles dóuro.
Nai: a lúa está bailando
na Quintana dos mortos.
¡Ai filla, co ar do céo
vólvome branca de pronto!
Non é o ar, é a triste lúa
na Quintana dos mortos.
¿Quén brúa co-este xemido
dímenso boi melancónico?
¡Nai: É a lúa, a lúa
coronada de toxos,
que baila, e baila, e baila
na Quintana dos mortos!
Le texte est extrait des
Poèmes Galiciens -ce qui explique logiquement qu'il ne soit pas écrit en castillan comme c'est le cas de la production habituelle de Garcia Lorca.
On perd un bonne partie de la musique des mots en le traduisant, mais juste pour que vous puissiez en comprendre le sens, des traductions en anglais et castillan sont disponibles
sur ce site.
Comme toujours chez Garcia Lorca, la puissance évocatrice des textes est très forte -c'est quelque chose que je n'ai retrouvé chez aucun autre auteur et que j'apprécie particulièrement chez lui. En quelques mots, il arrive à ciseler toute une ambiance (souvent assez sombre, ce qui n'est pas pour me déplaire)...