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Mea Culpa à la National Gallery de Londres
Par Annick Colonna-Césari, publié le 11/08/2010 à 12:00
La National Gallery de Londres expose des oeuvres qui ont abusé ses experts. Comment des tableaux ont-ils pu passer pour authentiques malgré les repeints et les contrefaçons ?
Un autoportrait de Courbet ? En fait, une copie réalisée après la mort de l'artiste. Une Madone du Quattrocento attribuée à Botticelli ? Plutôt l'oeuvre d'un habile faussaire du XIXe siècle. Ce sont deux des 40 tableaux qu'expose cet été la National Gallery. Puisés dans sa collection, tous sont des faux, et ont abusé les experts les plus avisés.
Jamais une institution ne s'était livrée à un tel exercice. "Il n'est pas facile de reconnaître ses erreurs", avoue Ashok Roy, directeur du département scientifique des lieux. Mais tous les musées sont logés à la même enseigne. L'authentification et l'identification ne sont pas choses aisées, et l'histoire de l'art n'est pas une science exacte. Depuis la création des premiers laboratoires de musée, dans les années 1940, les techniques sont venues renforcer l'oeil et la culture du "connaisseur". Ces trois dernières décennies, elles n'ont cessé de se développer et de se perfectionner. La radiographie, la microscopie électronique, la spectrométrie de masse, les infrarouges et même, au Louvre, un accélérateur de particules sont devenus les alliés des conservateurs et des historiens. Comme dans une enquête policière, les spécialistes savent aujourd'hui analyser supports et pigments, pénétrer derrière l'image pour traquer repeints, mensonges et falsifications. Et, comme le note Vincent Pomarède, directeur du département des peintures du Louvre, "la multiplication des expositions et des catalogues oblige à se poser toujours plus de questions". On n'est jamais au bout des surprises, bonnes ou mauvaises.
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"Woman at a Window", peinture réalisée par un peintre italien de la Renaissance, vers 1510-1530
Cette Woman at a Window (Femme à la fenêtre) a été exécutée par un peintre italien de la Renaissance, probablement vers 1510-1530. Lorsque le tableau est entré dans les collections de la National Gallery, au milieu du xixe siècle, il montrait une sage brunette jetant un timide regard derrière un rideau, ainsi que cette photo, réalisée plus tard, en conserve le souvenir. Et il resta en l'état jusqu'à ce qu'une restauration de routine soit menée en 1978.
A cette occasion, on s'aperçut que les couches de vernis et les repeints masquaient une autre image. Et c'est alors que la brunette s'est métamorphosée en blonde. Le regard de la demoiselle est aussi devenu moins innocent et son décolleté, un peu plus avantageux. Prostituée, courtisane : qui était-elle ? On l'ignore. Mais une chose est sûre : durant son histoire, le tableau a été transformé pour répondre, selon Ashok Roy, "aux changements de goût d'une époque". L'ère victorienne, pudibonde, ne pouvait tolérer l'allure un brin délurée de la jeune femme. Une main anonyme s'est donc chargée, au xixe siècle, de la remettre dans le droit chemin. Plutôt que la brune, la National Gallery a toutefois préféré conserver la blonde.
La National Gallery acheta ce tableau en 1923 comme oeuvre Renaissance datant de la fin du xve siècle. Les armoiries, en haut à droite, accréditaient l'idée que ce Portrait Group (Portrait de groupe) représentait les Montefeltro, célèbre famille d'Urbino, et on s'en contenta, bien qu'aucun des trois personnages n'ait pu être identifié. Certains spécialistes s'étonnèrent tout de même de la présence d'un curieux vernis marron étalé à la surface de la toile, substance inconnue à l'époque. Mais la discussion en resta là. Et le tableau connut une vie de chef-d'oeuvre pendant près de trente ans.
La roue tourne au début des années 1950, quand les auteurs d'un catalogue, recensant les oeuvres italiennes du musée, commencent à émettre des doutes sur son authenticité. Ces soupçons furent confirmés, en 1966, par une historienne du costume, qui démontra que les vêtements portés par les trois modèles relevaient tout à la fois de l'anachronisme et de la fantaisie. Ainsi, la coiffe de l'homme, au premier plan, puisait-elle son inspiration dans la mode féminine des années 1910. La supercherie éclata définitivement en 1996. Les analyses scientifiques menées alors (chromatolgraphie, rayons X et infrarouges) purent établir qu'il s'agissait bel et bien d'un faux. L'auteur du tableau avait utilisé plusieurs pigments, tels le bleu cobalt ou le jaune cadmium, qui ne sont apparus qu'au xixe siècle. Et il l'a parachevé en appliquant des couches d'un vernis particulier qui, provoquant artificiellement craquelures et assombrissement, lui ont donné la patine du temps.
http://www.lexpress.fr/culture/art/mea-culpa-a-la-national-gallery-de-londres_911778.htmlJ'ai toujours trouvé fascinant ces histoires de tableaux contrefaits, refaits, de tableau cachés dans le tableau...
