Avis aux amateurs...
J'ai remarqué qu'il y avait quelques fans de Tintin dans l'assistance... voilà quelques idées pour vous reconvertir ( ou juste des idées de cadeaux à réclamer d'ici un mois...

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La Tintinologie, une discipline d'avenir
22/11/2010
Vous avez peut-être remarqué dans vos rayonnages 2 pavés assez costauds qui viennent de sortir au rayon "Tintinophilie".
Le premier, Dans la peau de Tintin, de Jean-Marie Apostolidès, déjà auteur des Métamorphoses de Tintin qui faisait autorité dans le décryptage sous l'angle psychanalytique des relations au sein du petit monde de Moulinsart.
Cette fois-ci, il s'intéresse aux implications de la vie personnelle d'Hergé dans son œuvre (les rapports compliqués avec sa mère, sa mystérieuse ascendance royale), comment sa vie amoureuse fluctuante a changé sa perception de Tintin. Ainsi, son créateur évolue, devient plus mature, au fur et à mesure des albums, se forge un personnage public (Apostolidès appelle ça un "moi médiatique") d'Hergé quand Georges Remi préfère demeurer en retrait. On a souvent évoqué Tintin au Tibet comme un album biographique "blanc" d'Hergé (bilan des rapports entre Hergé et sa mère et son frère), sans forcément en voir la réponse "brune" des Bijoux de la Castafiore, bilan sans concession de sa relation avec "le deuxième sexe", mâtiné d'allusions sexuelles que les jeunes lecteurs ne perçoivent pas. Le travail d'analyse d'Apostolidès est impressionnant : se basant sur des documents d'époque ou des biographies reconnues, il livre de l'oeuvre d'Hergé un regard peu convenu, mettant en lumière des lignes de force qui échappent au lecteur.
Le second, La vie secrète d'Hergé d'Olivier Reibel se pique de décortiquer toutes les allusions aux franc-maçons contenues dans les albums d'Hergé. Si la lecture de ce second volume est plus difficile (souvent sous forme d'énumération), certaines analyses peuvent apparaître troublantes. Ainsi, explique Olivier Reibel (il s'agirait d'un pseudonyme), dans le diptyque Le Secret de la Licorne / Le trésor de Rackham le Rouge, tout part d'une histoire vraie de descendant royal oublié, qu'Hergé fait sienne pour rappeler la légende de son ascendance royale (comme on ignore qui était son grand-père, on a tôt fait de conclure dans sa famille que ce chaud lapin de Léopold II était passé par là ; ce roi de Belgique a essaimé des bâtards un peu partout).
Il existe ainsi un Richard Haddock, capitaine de son état, qui a suivi le roi anglais déchu (et protecteur de la franc-maçonnerie) Jacques II dans son exil en France. D'après Olivier Reibel, qui cite l'historien Henri Plard (aucune trace sur Internet...), Louis XIV lui aurait confié une frégate, s'appelant... la Licorne (qui fut coulée dans une tentative de débarquement en Grande-Bretagne). Mais, toujours d'après Olivier Reibel, le capitaine Haddock défendit aussi Brest contre un raid anglais (aucune trace sur le Web d'une participation des jacobites, partisans du roi Jacques à ce siège, donc je commence à douter...), ce qui lui aurait valu les félicitations de Louis XIV... comme dans l'album. Tout juste peut-on se borner à constater que la date du parchemin retrouvé par Tintin dans l'album correspond à l'attaque de Brest par les Anglais (dans la réalité...). Et encore, je ne vous ai résumé que quelques pages d'un ouvrage à étudier album par album, mais qui, à lire d'une traite, devient plus indigeste que le Da Vinci Code.
A la lecture de la colossale liste d'allusions dénichées par Olivier Reibel -même si une bonne partie me semblent capillotractées- on ne peut qu'être convaincu qu'Hergé connaissait bien le monde des "Frères Unys" (nom d'une des loges franc-maçonnes de Suisse... et comme par hasard une des phrases clé-de-voûte de l'intrigue de l'album). Mais pas au point d'y voir des allusions dans toutes les pages, comme l'auteur de cette Vie secrète.
Qu'y a-t-il de commun entre ces deux ouvrages ? La Tintinologie, pardi. Hergé est mort depuis bientôt 30 ans, et des auteurs ont encore des choses à dire sur le sujet, après environ 200 livres sur la question (estimation à la louche, vous pouvez vous faire une idée ici et ici). La Tintinologie est née lors d'une étude qu'a publié le philosophe français Michel Serres sur les Bijoux de la Castafiore, qui suivait les premiers livres sur Hergé (celui de Pol Vandromme à la fin des années 50, puis le Numa Sadoul..). Depuis, des biographies avec accès aux archives, avec charge ou sans charge contre les Rodwell, gardiens (critiqués) du temple, les études des albums, les études de cas comme celle d'Olivier Reibel sur la fascination d'Hergé pour l'occultisme sont légion (existe aussi sur l'alcool, les bateaux, les voitures, du point de vue de Milou...). Aucune série de BD n'a été autant étudiée, disséquée, que Tintin.
Pourquoi ? Parce que la vie fascinante de son créateur, jeune premier qui impose la bande dessinée en Europe, un temps tenté par l'extrême-droite dans l'entre-deux guerres, n'ayant pas choisi son camp (pour coller à sa ligne de défense) pendant la guerre, cofondateur d'un journal à succès, tourmenté par des zones d'ombre, auteur d'une oeuvre à jamais associée à son nom car pas poursuivie après sa mort. Pourquoi ? Parce qu'un style inimitable, magnifié par le terme de "ligne claire". Pourquoi ? Parce que des personnages connus entre mille, Tintin, Haddock, Tournesol, autant de personnages inscrits dans l'inconscient collectif. Pourquoi ? Parce qu'une génération a été bercée dans cette "famille de papier" dès l'enfance, et a voulu revenir sur le mythe.
Alors que les héros de comics se réinventent sans cesse (les diverses versions de Batman, de Bob Kane à Frank Miller), Tintin forme un tout unique, une œuvre cohérente du début à la fin, un peu comme les Rougon-Macquart de Zola ou la Comédie Humaine de Balzac. Une œuvre à jamais associéé à un créateur, qui y a mis beaucoup de lui-même. Et, dernier élement de réponse, parce que la génération d'universitaires baignés dans Tintin dès l'enfance ont désormais le loisir de disséquer une œuvre depuis que son créateur n'est pas là. Ca commence doucement pour certaines BD dont les créateurs sont partis (plusieurs livres se sont déjà penchés sur Blake et Mortimer dont un récemment sur le tropisme souterrain de la série d'E.P. Jacobs).
Yvan Delporte, foisonnant rédacteur en chef de l'âge d'or du journal Spirou, a eu droit à une étude intéressante. Pas encore de livre de référence sur Franquin ou Greg, monstres sacrés, qui le mériteraient. Peut-être parce qu'il y a un peu moins de choses à dire sur eux que sur Hergé. Parce qu'ils sont moins identifiés à une œuvre que ne l'est Georges Rémi. Le seul qui commence à voir émerger son école d'analyse, c'est Goscinny. Mort il y a 30 ans, le génial créateur d'Astérix, magnifieur de Lucky Luke, commence à voir s'écrire la Goscinnylogie par des essais et... par des ayants-droits mettant en scène le mythe à coup de livres érudits vendus un bon prix. Mais que ça tourne au psychodrame Rodwell, on ne le souhaite pas aux candidats au panthéon de la BD...
Références:
Dans la peau de Tintin, Jean-Marie Apostolidès, Les Impressions Nouvelles, 23 euros.
La vie secrète d'Hergé, Olivier Reibel, éditions Dervy, 26 euros
http://www.lepost.fr/article/2010/11/22/2313896_la-tintinophilie-une-discipline-d-avenir.html#xtor=AL-235