J'ai pris la liberté de diviser vos messages pour créer un nouveau topic consacré au sujet de l'anti-spécisme et du véganisme. Je pense que la discussion peut être intéressante.
Cortex a écrit:
Certaines remarques sont pertinentes, mais globalement, les éléments avancés arrivent à être contradictoires, dans un curieux mélange d'arguments moraux (donc purement culturels) et naturalistes (or la nature, par définition, est amorale).
Soyons honnête, c'est un travers qu'on retrouve aussi chez ceux qui défendent à tout prix la viande dans le régime alimentaire.
J'avoue être beaucoup plus dérangé par la rhétorique des anti-spécistes qui affirment avoir une démarche logique et correcte d'un point de vue scientifique (se basant sur des articles scientifiques qui appuient les capacités cognitives des animaux ou leur capacité à ressentir la douleur)...
... et qui à côté de cela :
- manient l'anthropocentrisme à tour de bras au mépris de toutes nos connaissances d'éthologie (l'exemple des vaches que l'on « viole » en les inséminant sans leur consentement est le plus caricatural) ;
- cherchent clairement à persuader le public à coup de photos d'animaux d'espèces différentes qui se font des câlins (parce que c'est bien connu, la nature est douce, c'est la société humaine qui rend les animaux mauvais et les force à se manger entre eux) ou à l'inverse, d'images chocs prises dans des élevages ;
- s'appuient sur des arguments pseudo-scientifiques pour défendre la théorie d'une nocivité intrinsèque des produits laitiers ou de la viande... alors qu'on sait très bien que cela ne pose pas de problème dans un régime équilibré. Même Colin Campbell, l'auteur du fameux Rapport Campbell qui affirme montrer un lien entre consommation de produits laitiers et le développement de certains cancers (et qui sert de Bible à de nombreux végétaliens), a fini par le reconnaître. Et comparer la composition d'un lait végétal avec du lait de vache demi-écrémé montre que ceux-ci ont des concentrations de gras et de sucres tout à fait similaires, donc l'argument « le lait c'est pour le petit veau en pleine croissance, ça rend les humains obèses, consommez du lait végétal à la place » est éminemment douteux...
C'est le même genre de procédés rhétoriques qu'on retrouve également chez les militants pro-life anti-avortement. Ce qui explique que cela me hérisse particulièrement les poils des bras... alors que sur le fond, paradoxalement, je n'ai pas vraiment d'objection forte au végétalisme (pour l'anti-spécisme, c'est un peu plus compliqué).
Cortex a écrit:
À l'heure de la radicalisation généralisée, du "tolérance zéro" (zéro délinquance, zéro mort sur la route, etc.), le discours des végétariens n'est pas de discuter, de modérer, de négocier, de rechercher un compromis, encore moins de faire des concessions
Le discours des anti-spécistes et des végans (qu'il me semble assez important de distinguer des végétariens) ne saurait être basé sur le compromis ou la négociation, puisqu'il repose sur l'idée qu'un animal est une personne similaire à un être humain. Partant de ce postulat, leur seule position vis à vis de l'élevage et de la chasse ne peut être qu'abolitionniste.
Certains végans affirment se sentir « en guerre », dans un monde où ils voient en permanence des personnes écrasées au bord des routes dans l'indifférence générale et où ils sont entourés d'élevages-camps de concentration. Ça peut même les mener à la dépression dans certains cas (l'Insolente Veggie en avait parlé
dans ce message qui m'avait pas mal interpelé).
Bref. Face à un groupe qui est dans l'idée que
« ce n'est pas nous qui avons un problème, c'est le reste du monde qui doit être changé » (ce qui n'est pas une mentalité très différente de celle d'un missionnaire venu évangéliser tous ces païens vivant dans le péché), il est évident qu'il n'est pas possible d'obtenir un compromis.
Chimère a écrit:
Après, parler d'une "révolution" végan, ou seulement d'une "révolution" végétarienne... vu la minorité qu'ils représentent (surtout en France), je ne vois rien qui fasse peur. Pour le moment ce ne sont que des mots, et j'ai tendance à penser qu'ils risquent de le rester un bon moment...
Je suis d'accord avec toi sur le fait que le « lobby anti-spéciste » reste encore très minoritaire, en particulier face au « lobby de la viande » (je mets des guillemets encore plus gros, car il n'y en pas un seul mais plusieurs selon les filières) qui a un poids économique et une influence nettement plus importants.
Il semble aussi à peu près évident que la majorité de la société n'est pas du tout disposée à accepter les objectifs finaux fixés par les anti-spécistes (l'abolition de toute forme de domination de l'homme sur l'animal, donc).
Bref, la révolution véganne, ce n'est clairement pas pour demain.
Cela dit, force est de constater que L214 a des méthodes de com' terriblement efficaces, fonctionnant sur le « buzz » à base d'images chocs, et qui trouvent un énorme écho chez les médias qui s'empressent d'en faire le relai. On l'a vu dernièrement avec l'affaire de l'abattoir d'Alès. Même les journées télévisées pourtant habituellement imperméables à ce genre de chose en ont causé.
Un petit exemple tout récent : il y a quelques jours et pile dans le créneau des fêtes de fins d'année, L214 a publié un ensemble de vidéos tournés dans des élevages intensifs de canards montrant le broyage des canetons femelles et les soucis liés aux méthodes de gavage chez les adultes. Cette campagne a bénéficié d'une large couverture médiatique : il y a eu des articles sur
Le Point,
Le Monde, Paris Match... et même
cet édito sur Libération qui affiche clairement une position anti-spéciste, chose qui aurait été impensable il y a quelques années.
En comparaison, le lobby de la viande a une communication très pataude... qui n'intéresse pas grand monde...
Pour bosser dans le monde agricole, je peux vous certifier que les professionnels sont assez inquiets de l'écho médiatique dont bénéficient les végés et les anti-spécistes. J'ai vu passer pas mal d'articles dans la presse spécialisés appelant les OPA à rassurer les consommateurs sur le respect du bien-être animal dans les élevages français et sur l'intérêt de l'alimentation carnée (avec des arguments qui sont parfois d'aussi mauvaise foi que ceux des végans).
Je ne dispose d'aucun chiffre sous la main — je ne suis même pas sûr qu'il y en ait, mais je suis convaincu que les campagnes chocs de L214 contribuent à convertir pas mal de gens au végétarisme (le véganisme me semble trop complexe pour pouvoir être adopté du jour au lendemain par des personnes lambdas). Ou en tout cas, elles diffusent les idées anti-spécistes d'une façon sans précédent jusqu'à présent.