Je pense effectivement que ça peut se faire, ça peut être un sujet intéressant qui amènera du débat, je pense...
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Le cerveau va-t-il détruire notre planète ?
Dans son dernier livre – Le Bug humain, éditions Robert Laffont – notre rédacteur en chef Sébastien Bohler explique que notre cerveau poursuit des objectifs incompatibles avec la sauvegarde de la planète. Pour survivre, nous allons être obligés de remodeler nos neurones.
« Nous sommes peut-être la dernière génération qui vivra dans l'opulence, la santé et la consommation sans frein. Dans trente ans, le monde n'aura plus rien à voir avec ce que nous voyons aujourd'hui. Année après année, les températures montent, les océans aussi, des milliers d'hectares de terres se transforment en désert et des millions de personnes se préparent à quitter leurs foyers pour migrer. De tout cela, nous sommes responsables.
Pour la première fois de son histoire, l'enjeu pour l'humanité va être de se survivre à elle-même. Non plus à des prédateurs, à la faim ou aux maladies, mais à elle-même. Elle n'y est pas préparée. Devant ce défi suprême, elle ne répond que par des incohérences. La preuve. Pourquoi, alors que nous sommes dotés d'outils extrêmement précis qui nous informent clairement de la tournure que vont prendre les événements dans quelques décennies, restons-nous impassibles ? Pourquoi, face à la catastrophe, continuons à agir comme par le passé ? Qu'est-ce qui, en nous, est si dysfonctionnel ?
Pour répondre à cette question, je me suis penché sur la part la plus intime et la moins visible de ce qui fait notre humanité. Ce qui nous échappe, blotti au fond de notre boîte crânienne, si obscur et si caché, mais qui nous gouverne. Notre cerveau.
Ce que j'ai découvert m'a glacé. Ce cerveau, qu'on présente comme l'organe le plus complexe de l'univers et dont on chante les louanges à coups d'émissions de télévision et au fil de rayons entiers de librairie, est en réalité un organe au comportement largement défectueux, porté à la destruction et à la domination, ne poursuivant que son intérêt propre et incapable de voir au-delà de quelques décennies. Nous sommes emportés dans une fuite en avant de surconsommation, de surproduction, de surexploitation, de suralimentation, de surendettement et de surchauffe, parce qu'une partie de notre cerveau nous y pousse de manière automatique, sans que nous ayons actuellement les moyens de le freiner. [...]
Aujourd'hui, face à la rapidité des changements qui interviennent dans notre environnement et qui vont menacer notre propre existence, nous sommes comme les pilotes d'un avion dont les témoins lumineux hurlent à tue-tête pour signaler un crash imminent, et qui se lanceraient : “Il nous reste deux minutes, on a encore le temps de se préparer un bon café.” Il faut en finir avec la vision d'un esprit humain cohérent, maître de son destin, capable d'agir par la force de la raison et de s'assurer le meilleur avenir possible. Notre cerveau est en réalité une bombe à retardement. Il est animé de forces contraires qu'il n'arrive pas à concilier. [...]
Le bug humain
Le cerveau humain est programmé pour poursuivre quelques objectifs essentiels, basiques, liés à sa survie à brève échéance : manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, le faire avec un minimum d'efforts et glaner un maximum d'informations sur son environnement. Ces cinq grands objectifs ont été le leitmotiv de tous les cerveaux qui ont précédé le nôtre sur le chemin accidenté de l'évolution des espèces vivantes. Et ce, depuis les premiers animaux qui ont vu le jour dans les océans à l'ère précambrienne, il y a un demi-milliard d'années, jusqu'au dirigeant d'entreprise qui règne sur des milliers d'employés et gère le cours de ses actions depuis son smartphone. Ils n'en ont pas dévié. Les mécanismes qui régissent leurs actions sont à la fois simples, robustes, et ils ont traversé le temps en conservant certaines caractéristiques essentielles. [...]
Ce système de renforcement a été si efficace qu'il s'est transmis à toutes les espèces de vertébrés. Les neurones du striatum, qui charrient de la dopamine et du plaisir en réponse à tout comportement tourné vers la survie, sont le moteur de l'action des poissons, des reptiles, les oiseaux, des mammifères et des marsupiaux.
Le problème est que le cortex de l'homme s'est largement développé depuis un million d'années environ et est autrement plus puissant que celui d'un poisson ou d'un reptile. En élaborant des technologies sophistiquées, que ce soit dans le domaine alimentaire, de l'information ou de la production de biens matériels, ce cortex est aujourd'hui capable de procurer au striatum presque tout ce qu'il désire, parfois sans effort. Et le problème, c'est que le striatum ne demande que cela. À aucun moment il ne lui viendrait à l'idée de se limiter. Il n'est pas fait pour cela. Il n'a jamais intégré cette donnée, cela n'a pas été spécifié dans ses plans de construction.
Maîtrisant toujours plus de technologies pour assouvir nos besoins, nous sommes incapables de nous modérer dans l'application de ces technologies, qu'elles aient un rapport à la production de denrées alimentaires, d'automobiles véhiculant un statut social, de sexualité sur Internet, de statut social sur les réseaux du même nom ou d'addiction à l'information continue. Tout cela forme le carburant d'une économie de croissance qui n'a aucune raison de renoncer à son principe fondamental, car c'est ce principe qui a fait le succès de notre espèce. [...]
Manger sans faim
En 2016, l'Organisation mondiale de la santé livrait un rapport selon lequel on meurt plus sur Terre aujourd'hui de suralimentation que de dénutrition. Aujourd'hui, plus de 1,9 milliard d'individus de plus de 18 ans sont en surpoids. Parmi eux, plus de 650 millions sont obèses. Ces chiffres ont triplé en 40 ans et en 2030, on s'attend à ce que 38 % de l'humanité soit en surpoids, et 20 % obèses. Notre striatum est programmé pour cela, et nous pousse à engouffrer encore et toujours plus. [...]
Si nous sommes à ce point démunis devant l'abondance de nourriture, c'est parce que nous n'y avons jamais été préparés. Pendant la plus grande partie de son séjour sur Terre, l'être humain a vécu dans un milieu naturel où les ressources alimentaires étaient rares. L'environnement de nos ancêtres du paléolithique n'était pas peuplé de frites et de hamburgers. Il fallait passer des journées à chercher des racines, des baies, à traquer un gibier sans garantie de succès. Lorsque vous teniez une proie, vous n'aviez pas intérêt à en laisser une miette. Votre survie en dépendait. Celui qui mangeait le plus avait souvent un avantage sur les autres. Il survivait mieux, plus longtemps, avait une descendance plus nombreuse.
Cette situation n'a pas vraiment posé de problème, tant que l'humanité vivait en équilibre avec les autres espèces animales et végétales, et que les ressources à disposition restaient limitées par la difficulté d'y accéder, mais une fois que l'homme a été capable de produire sa propre nourriture de façon maîtrisée et presque sans limite, ces “gènes goinfres” sont devenus nos pires ennemis. Ils nous tuent aujourd'hui en provoquant les maladies mortelles liées à l'obésité, nous invalident par l'une ou l'autre forme de comorbidité (dont la maladie d'Alzheimer et les AVC, très fortement favorisés par l'obésité et causant respectivement 1,5 et 6 millions de décès par an), et provoquent des ravages sur notre environnement, puisque la surproduction de denrées alimentaires – notamment animales – entraîne un bilan carbone très lourd qui contribue notablement à l'effet de serre et au réchauffement climatique. [...]
Overdose de sexe
La vue de photos érotiques ou de vidéos pornographiques active fortement le striatum. Des expériences révèlent que les personnes dont le noyau accumbens (une subdivision importante du striatum) s'active le plus fortement à la vue de photos érotiques ont, au cours des mois et des années qui suivaient, le plus grand nombre de partenaires sexuels. Le striatum qui veut le plus le sexe répand davantage ses gènes que celui qui n'éprouve qu'un désir modéré. C'est pourquoi les gènes de ces striatums obsédés sexuels se sont répandus dans la population. [...]
Aujourd'hui, 35 % des vidéos visionnées quotidiennement sur Internet sont des vidéos pornographiques, et elles représentent un chiffre d'affaires de 97 milliards de dollars, les États-Unis étant les plus gros producteurs et consommateurs avec 17 milliards de dollars annuels. Chaque année, 136 milliards de vidéos pornographiques sont visionnées par l'humanité. 35 % du trafic internet étant consacré à des visionnages de vidéos pornographiques, l'impact de l'appétit sexuel de nos striatums sur la planète Terre est de 150 millions de tonnes de dioxyde de carbone émises dans l'atmosphère chaque année, soit entre un cinquième et un tiers des émissions de gaz à effet de serre dus au trafic aérien. [...]
Tu as vu mon 4x4 ?
L'avidité pour le prestige, les situations de domination, les situations sociales conférant des privilèges, est un ressort vieux comme le monde, et pour ainsi dire indestructible. Cette mécanique obstinée menace aujourd'hui de nous asphyxier, non seulement en polluant les rapports entre sexes, mais aussi en causant des dégâts profonds sur nos modes de vie et sur notre environnement. La comparaison sociale, sorte de logiciel par défaut qui équipe tous nos cerveaux (surtout ceux des hommes), crée une sorte de conditionnement. Prenez le quotidien de millions de personnes au travail. Par quoi sont-elles préoccupées ? Par le fait de toucher un salaire décent – et, si possible, élevé – mais surtout, un salaire supérieur à celui de leurs collègues. La majorité des enquêtes montre que ce n'est pas tant le salaire absolu qui compte – du moment qu'il permet de vivre décemment – mais le salaire relatif . Nous sommes satisfaits lorsque nous recevons plus que les autres, à tel point que cela influe sur notre niveau de bien-être et même sur notre santé. [...]
Il existe une force profonde qui nous pousse à vouloir disposer d'avantages que les autres n'ont pas. Nous subissons des décharges de dopamine et de plaisir dans notre striatum lorsque nous recevons une somme d'argent qui s'avère supérieure à celle de notre voisin (et non quand nous recevons cette même somme sans base de comparaison sociale). Toute notre société repose sur une foule d'indices révélant le statut social : marque des chaussures que vous portez à l'école dès le plus jeune âge, restaurants que fréquentent vos parents, destinations de vacances prisées, quartier où vous habitez, statut de cadre ou d'employé... Pour nous sentir dominants, nous sommes prêts à faire beaucoup d'efforts, et nous ne nous préoccupons pas de savoir si cela aura un impact négatif, à terme, sur le monde dans lequel nous vivons. Au moment où nous achetons une grosse voiture polluante ou un téléphone portable qui l'est tout autant, nous ne nous demandons pas si, dans 20, 30 ou 40 ans, cela se traduira par de moins bonnes conditions de vie pour les générations futures. La seule chose que nous retenons, c'est que cela fait du bien. Nous vivons une bouffée d'euphorie et notre cerveau se reconfigure pour nous faire sentir ce que c'est que d'être plus haut que les autres. [...]
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L'industrie automobile est le premier facteur d'émission de gaz à effet de serre, et est en pleine croissance en Asie. Le moteur de cette croissance est le besoin de statut social et de confort éprouvé par les individus dans les pays en forte croissance.
© Fedor Selivanov / shutterstock.com
Le futur ? rien à faire !
En 2017, les États-Unis présidés par Donald Trump se sont retirés des accords de Paris sur le climat, qui prévoyaient depuis 2015 une série de mesures économiques et industrielles destinées à stabiliser les émissions de dioxyde de carbone à l'horizon de 2030 afin de limiter le réchauffement de la planète à 2 °C à l'horizon 2100. Sur les réseaux sociaux a circulé une vidéo tournant cette décision en ridicule, où l'on voyait le président étatsunien à la tribune de l'ONU, brandissant une pancarte où il était écrit : « Je me fous du climat, car de toute façon je serai bientôt mort. »
Ce message est beaucoup plus profond qu'il n'y paraît. Derrière la dérision des réseaux sociaux, il recèle une vérité qui doit nous interpeller. Certes, nous pouvons penser que Donald Trump est un vieil homme égoïste qui n'a que faire du climat et de la nature, et qui veut avant tout poursuivre son objectif personnel de pouvoir et d'outrance sans considération pour des milliards de personnes qui peuplent la Terre. Mais il y a une autre façon d'entendre ce message. Car au fond, il nous dit : “Vous, moi, nous nous soucions peu de ce qui va se passer dans 20 ou 30 ans. Ce qui compte, c'est ce qui se passe maintenant. Nous avons la possibilité de vivre sans restriction, entourés de gadgets, libres de sillonner la Terre à bord d'avions long-courriers, d'acheter de nouvelles voitures, de nouveaux téléphones et de nouveaux ordinateurs à chaque fois qu'une nouvelle version voit le jour, extrayant le pétrole du sous-sol et faisant tourner des serveurs numériques à plein régime. Et nous devrions renoncer à cela ? Au nom de quoi ? Sous prétexte que le futur serait plus important ?” [...]
Le dogme économique de la croissance est ancré dans le fonctionnement de nos neurones dopaminergiques. Il est presque impossible à enrayer.
Ce phénomène malencontreux porte le nom de dévalorisation temporelle. Étudié par les psychologues expérimentaux depuis plus de quarante ans, il se résume à une idée simple : plus un avantage est éloigné dans le temps, moins il a de valeur pour notre cerveau. [...] Quand une récompense future est annoncée, les neurones du striatum s'allument au moment de l'annonce du plaisir, en anticipation de la gratification future, comme l'ont montré les travaux de Wolfram Schultz. Mais ce qu'a en outre démontré l'équipe du neuroscientifique suisse, c'est que la force de la décharge de dopamine dépend du délai qui sépare l'annonce de la récompense de sa venue effective. Plus le délai est long, plus la réponse anticipatoire est faible. Pour cette raison liée au fonctionnement même de nos neurones dopaminergiques, il nous est difficile de trouver de l'intérêt à ce qui se situe dans un futur lointain. [...]
Les bénéfices du « tout, tout de suite » nous ont aidés à survivre sur des échelles de temps que nous avons du mal à imaginer. Il s'agit d'ères géologiques, s'étendant sur des dizaines de millions d'années. Des durées qui façonnent durablement les structures de base d'un cerveau humain. Cette période de temps a créé de solides connexions entre les neurones, au cœur du disque dur de nos systèmes nerveux. Et pendant des dizaines de millions d'années, les animaux possédant un striatum configuré pour préférer les récompenses immédiates ont réussi à se maintenir en vie, et les autres ont été purement et simplement éliminés de la course de l'évolution. Par une conséquence mathématique, tous les vertébrés que nous observons aujourd'hui ont hérité de ce moteur d'impulsivité et, malheureusement, de cette cécité face au futur. [...]
8 milliards d'impatients
Nous vivons aujourd'hui dans un monde où les délais d'attente pour obtenir quoi que ce soit, qu'il s'agisse de nourriture, d'alcool, de tabac, de sexe, de statut ou même d'argent (à quoi servent les crédits ?) sont raccourcis au maximum. Nous sommes devenus impatients, nous avons tout cédé à nos striatums, et nous ne pouvons plus mettre entre parenthèses le confort immédiat au profit d'un projet futur. Nous aimons toujours faire des projets, mais si c'est au prix de sacrifices réels dans l'instant, nous ne possédons plus la connexion physiologique nécessaire pour le faire. Si on nous dit : dans 40 ans, 30 % des terres habitables seront submergées, nous trouvons cela moins gênant que de renoncer à nos vacances annuelles aux Seychelles, et surtout à une bonne côte de bœuf dans notre assiette.
Équipés de cerveaux incontinents, comment pouvons-nous réfléchir à l'avenir de notre monde, à la survie de notre écosystème à long terme et à la préservation de la planète ? Quand des avantages instantanés qui flattent notre striatum en ciblant ses grands besoins primaires comme la nourriture, le moindre effort, le sexe et le statut social, nous sont proposés ici et maintenant, qu'est-ce qui pourrait nous empêcher de les saisir sans attendre ?
Au terme de ce processus, l'être humain est devenu un danger mortel pour lui-même. Son programme neuronal profond continue aveuglément de poursuivre des buts qui ont été payants pendant une grande partie de son évolution, mais qui ne sont plus du tout adaptés à l'époque où il s'est projeté. Au regard de sa situation actuelle dans un monde globalisé, l'humain est inadapté. Le drame de sa condition réside dans le fait que ses moyens techniques, tout en s'accroissant au fil des siècles, ont toujours été mis exclusivement au service des objectifs prioritaires de son striatum. L'immense cortex d'Homo sapiens, en lui offrant un pouvoir toujours plus étendu, a mis ce pouvoir au service d'un nain ivre de pouvoir, de sexe, de nourriture, de paresse et d'ego. L'enfant surarmé en nous n'a aujourd'hui plus de limites. La grande question qui se pose à nous maintenant est : l'humanité peut-elle sérieusement se définir d'autres buts que celles de son striatum ? [...]
Comment changer notre cerveau ?
Au début de l'année 2017, deux chercheurs de l'université de Zürich firent une expérience dont les résultats ont positivement surpris nombre d'observateurs. Ils réunirent des volontaires dans leur laboratoire et leur distribuèrent des sommes d'argent que ceux-ci pouvaient, soit conserver pour eux, soit partager avec une personne inconnue située dans une pièce voisine. Les chercheurs entendaient étudier les comportements de générosité dans la population. Les participants à cette expérience étaient installés dans une IRM qui mesurait l'activité de leur cerveau au moment où ils faisaient le choix de garder l'argent ou au contraire, de le partager.
Le premier fait important constaté par les scientifiques fut que les femmes avaient tendance, plus fréquemment que les hommes, à partager avec un inconnu la somme d'argent qui leur était confiée. La générosité se manifestait, chez elles, comme un comportement plus solidement ancré que chez les hommes. Mais le plus étonnant fut d'observer ce qui se produisait dans leur cerveau : leur striatum s'activait au moment du partage. Autrement dit, l'altruisme mobilisait chez elles les circuits de la récompense et du plaisir, un terrain habituellement réservé aux grands renforceurs primaires. Le cas des hommes, quant à lui, était beaucoup plus “classique” : ils activaient leur striatum en conservant l'argent pour eux, ce qui cadrait mieux avec l'action d'un renforceur primaire, puisque l'argent a la particularité de procurer tous les renforceurs primaires que l'on souhaite (pouvoir, nourriture, sexe, etc.) [...]
Le gentil striatum
D'après les auteurs de cette étude, si les femmes sont globalement plus généreuses que les hommes dans les tests qui leur sont proposés, c'est probablement parce que leur cerveau a été configuré de cette façon dès leur plus jeune âge. Selon cette hypothèse, la société dans sa globalité, depuis les parents jusqu'aux employeurs, en passant par les professeurs, apprendrait aux petites filles à se montrer conciliantes et généreuses, et aux petits à garçons à endosser le rôle d'individus conquérants, indépendants et combatifs. De fait, ces rôles sociaux sont en vigueur dans une écrasante majorité de sociétés dans le monde, y compris les plus libérales. Dans de très nombreuses familles aux États-Unis ou en Europe occidentale (à l'exception peut-être de la Scandinavie), on valorise les comportements altruistes, doux et pleins de sollicitude d'une petite fille, et on décourage chez elles les velléités égoïstes ou individualistes. C'est tout le contraire du cadre éducatif proposé aux garçons, dont on tolère bien plus facilement les écarts turbulents sous prétexte que “c'est la testostérone”. [...]
Nous sommes devenus impatients, nous avons tout cédé à nos striatums, et nous ne pouvons plus mettre entre parenthèses le confort immédiat au profit d'un projet futur.
Ce que nous révèle ce conditionnement, c'est que nous pouvons apprendre à valoriser d'autres comportements que la recherche de nourriture, de sexe, de farniente ou de pouvoir. Ces renforceurs primaires sont actuellement les rois du monde parce que l'industrie parvient plus facilement à les exploiter et à les monnayer. Mais ce n'est pas la seule voie traçable. La générosité féminine n'est qu'un exemple, mais elle nous montre que le striatum peut apprendre à aimer bien d'autres choses, et que nos buts peuvent être redéfinis par un facteur déterminant qui est la norme sociale. Le discours parental, puis celui de l'école, des médias et de la politique, en valorisant socialement des comportements comme l'altruisme, la modération, le respect de l'environnement, peut amener nos striatums à voir les choses sous un angle nouveau.
La conscience sauvera le monde ?
Voici environ deux ans, dans le but de constituer un dossier pour mon journal [celui que vous lisez, nda], j'ai demandé à un de nos auteurs, le psychiatre Christophe André, de m'expliquer comment ces techniques de pleine conscience pouvaient modifier notre rapport à la nourriture. Il m'a parlé alors d'une sorte de technique thérapeutique que nous pourrions appeler la “technique du grain de raisin”.
Prenez un grain de raisin dans un de ces sachets que l'on peut trouver sur les étagères d'un supermarché, à côté des noix de cajou, des cacahuètes et des fruits confits. Simplement, au lieu de plonger votre main dans le sachet et d'y piocher une large poignée pour l'enfourner aussitôt dans votre gosier, saisissez-vous délicatement d'un unique grain, un petit grain ratatiné, entre le pouce et l'index. Regardez-le attentivement, de très près.
Examinez ses contours, ses plis et ses creux, sa teinte brunâtre, presque dorée. Même petit, il est riche de mille détails. Cela vaut la peine de l'observer, l'attention ouverte, presque avec étonnement. Puis, approchez ce grain de vos narines. Sentez-vous cette odeur sucrée, à peine acidulée, si caractéristique ? Prenez le temps de vous laisser pénétrer par cette senteur. Vous pouvez aussi constater la légère salivation qui se produit dans votre cavité buccale. En quelques instants, vous venez de prendre conscience d'une foule de détails que vous ne perceviez même pas lorsque vous étiez habitué à mâchonner des assortiments d'apéritif en riant avec une bande d'amis.
Maintenant que vous avez observé et humé attentivement votre petit grain de raisin, mettez-le dans votre bouche. Mais ne le mâchez pas. Sentez son contact sur votre langue, et les petites décharges gustatives que cela provoque, sans même l'ingérer. Faites-le passer, du bout de votre langue, entre vos lèvres et vos dents. Sur son sillage, une saveur sucrée s'étire. Des picotements acidulés se dégagent. Essayez à présent de le faire glisser vers l'arrière de votre bouche, entre vos molaires. Testez sa résistance et sa texture. Commencez à en exprimer le suc, à en détailler la saveur. Ramollie, sa peau s'ouvre et laisse émerger sa pulpe condensée. C'est immense, ce qu'il y a dans un grain de raisin. Une fois que vous l'avez bien mâché. Si vous avez bien fait l'exercice de A à Z, peut-être s'est-il passé 5, 10 ou même 15 minutes. [...]
Croissance mentale vs croissance matérielle
Cette technique “du grain de raisin” est proposée dans des groupes thérapeutiques pour des personnes ayant des difficultés avec leur poids, ou qui n'arrivent pas à maîtriser leurs pulsions alimentaires. Les études menées sur ces groupes de patients qui suivent ces ateliers montrent que leur niveau de plaisir augmente effectivement, sans qu'ils aient besoin de manger beaucoup. Le but est de rajouter un peu de conscience dans nos actes du quotidien.
Le grain de raisin est bien peu de chose, en termes de quantité nutritive. Mais la perception de son goÛt, des sucres et des arômes qu'il renferme n'a pas de dimension fixe : leur dimension est déterminée par votre conscience.[...] En développant notre caisse de résonance sensorielle, nous pouvons faire croire à notre striatum qu'il obtient davantage plus de plaisir, alors que nous lui en donnons moins quantitativement. Manger un peu moins, mais en prenant le soin de percevoir de façon plus intense et plus pleine ce que nous absorbons, est une façon de duper notre striatum. [...]
Nous pourrions de même fabriquer plus de plaisir avec moins de stimulation, dans le domaine social. Plutôt que de chercher à augmenter sans cesse le nombre de nos amis sur Facebook, nous pouvons investir dans la qualité de ces relations. Aujourd'hui, on nous fait croire qu'il faut avoir une voiture au moins aussi luxueuse et sophistiquée que le voisin, pour être heureux. Le vrai choix est : accepter l'échelle de valeur diffusée par les spots publicitaires – et, dans ce cas, considérer que le plaisir (sans même parler de bonheur) passe par la case concessionnaire – ou imaginer la version “pleine conscience”, consistant à prendre du plaisir à conduire sa vieille voiture démodée et à chercher également du plaisir dans des relations avec ses amies dans lesquelles n'entrerait pas de notion de comparaison sociale.
Développer notre conscience de ce qui nous entoure n'est pas un but abstrait et irréalisable. Il existe des techniques éprouvées pour cela, qui sont globalement regroupées dans le courant des techniques de méditation de pleine conscience. La méditation de pleine conscience est une discipline du corps et de l'esprit, dépourvue de toute connotation religieuse dans sa version laïque (ou associée au bouddhisme dans ses versions traditionnelles), qui consiste à développer la maîtrise de son attention dans un premier temps, pour ensuite affiner sa capacité de prendre conscience de tout ce qui se passe autour de nous et en nous. [...]
En découvrant que les techniques mentales qui développent notre niveau de conscience peuvent efficacement lutter contre le biais de dévalorisation temporelle, les scientifiques nous indiquent donc une voie possible pour nous sortir de ce piège : augmenter notre niveau de conscience global. Nous immuniser, par le pouvoir de notre cortex, contre l'appel du “tout, tout de suite”. Récupérer le pouvoir de la réflexion au long cours sur notre avenir. De telles pratiques nous donnent plus de liberté pour prendre en main notre destinée.
Plutôt que de jouer, manger, consommer du statut et du sexe en ligne, il s'agira donc pour chacun de développer le champ de ses ressources mentales et donc de ses expériences qualitatives. À la clé, une limitation de la consommation de biens matériels, sans qu'il en résulte automatiquement un sentiment de déchéance ou de frustration. Peut-être même le contraire... »
https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie-environnementale/le-cerveau-va-t-il-detruire-notre-planete-16539.phpPour en revenir au sujet, sur un angle un peu différent... j'ai trouvé cet article, ou plutôt cet extrait de livre, que je trouve intéressant (même si je ne suis pas convaincue par l'explication du tout "neurologique" ou "neuropsychologique"). Mais qui a le mérite de donner des pistes intéressantes pour nous sortir de la logique consumériste à outrance...