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MessagePublié: 03 Avril 2019, 17:55 
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C'est long et je n'en suis qu'au tout début de ma lecture, mais ça promet d'être intéressant, en effet.

Vous allez probablement trouver que je ramène encore et toujours la couverture aux chercheurs dont je connais un peu les travaux (et vous n'aurez pas tort, mais c'est tout bêtement parce que je raisonne à partir de ce que je sais), mais ce qui me frappe en premier lieu, et cela dès les premières pages, c'est que ce sont là, grosso modo, les mêmes idées que celles développées par Chateauraynaud et Debaz dans Aux bords de l'irréversible (dont je vous ai déjà parlé, je crois).

On retrouve par exemple la notion de réduction des possibles, longuement développée par Chateauraynaud, de même que l'idée de hiérarchisation faite entre les "spécialistes" et les autres et qui serait néfaste pour la capacité d'agir du citoyen. Par ailleurs, quand Cravatte écrit que "la confusion (...) entretenue – autant par les collapsos que par ceux qui les invitent à intervenir en tant que tels – sur la « naissance d’une nouvelle discipline scientifique transdisciplinaire » (...) a pour effet de donner l’impression à l’audience qu’elle prend connaissance d’une réalité objectivée (et donc méthodologiquement vérifiable) plutôt que d’un discours", c'est là encore le postulat de Chateauraynaud.

Je suis assez déçue (je l'avoue) de constater qu'ils ne sont pourtant cités nulle part...

Bref, avant de poursuivre mes réflexions, je vais continuer ma lecture, mais c'était tellement frappant que je ne pouvais pas ne pas le faire remarquer. :oops: :shifty:

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MessagePublié: 03 Avril 2019, 18:07 
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Je savais que tu ferais le lien avec Chateauraynaud et Debaz... :P D'ailleurs, je ne sais pas si c'est que tu sous-entends mais je tente au cas où : je ne pense pas qu'il s'agisse d'un plagiat (Cravatte n'a manifestement aucun problème pour citer des sources extérieures), plutôt d'une forme de convergence des réflexions.
Cela dit, je trouve que la critique de Cravatte va au delà de ce seul aspect du "réduction des posibles" pour se concentrer plutôt (dans la 2ème partie) sur l'aspect dépolitisant des propos des figures de la collapsologie.

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MessagePublié: 03 Avril 2019, 18:17 
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Ar Soner a écrit:
Je savais que tu ferais le lien avec Chateauraynaud et Debaz... :P

Et je savais (enfin, plus exactement, "je me doutais") que tu saurais. :P

Citer:
D'ailleurs, je ne sais pas si c'est que tu sous-entends mais je tente au cas où : je ne pense pas qu'il s'agisse d'un plagiat (Cravatte n'a manifestement aucun problème pour citer des sources extérieures), plutôt d'une forme de convergence des réflexions.

L'idée m'a effleurée, en effet. :oops: Mais - grâce à des zététiciens pédagogues - je décide finalement de sortir mon rasoir d'Hanlon et d'attribuer à la non-connaissance par Cravatte de l'oeuvre de Debaz et Chateau ce que j'aurais pu - il est vrai - au départ attribuer à de la malveillance. :mrgreen:

Citer:
Cela dit, je trouve que la critique de Cravatte va au delà de ce seul aspect du "réduction des posibles" pour se concentrer plutôt (dans la 2ème partie) sur l'aspect dépolitisant des propos des figures de la collapsologie.

Toi, on voit que tu n'as pas lu Aux bords de l'irréversible (mais je ne désespère pas de t'en convaincre ;) ), car c'est bien le propos de fond de Chateau (c'est d'ailleurs globalement l'idée sous-jacente à a peu près tout ce qu'il produit). :mrgrin:

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MessagePublié: 04 Avril 2019, 21:11 
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J'ai poursuivi (mais pas encore fini) ma lecture et il est vrai qu'il y a des choses très intéressantes dans cet article... En revanche, je redis que beaucoup de ces choses ont déjà été exposées par Chateauraynaud et Debaz par le passé (Chateau et Debaz qui n'ont pas le monopole de la réflexion, j'en suis bien consciente - je vais donc me forcer à garder mon rasoir d'Hanlon à l'esprit, mais je ne me priverai pas pour signaler chaque fois que j'ai vu dans ce texte une idée similaire aux leurs).

Bon, et à part ça, clairement, comme je suis parfaitement incompétente sur le sujet, je ne vais pas avoir de quoi disserter pendant 3 heures (tant mieux pour vous! :mrgreen: ) mais voici quelques idées (liste non-exhaustive) que j'ai relevées et qui me semblent pertinentes:

Citer:
Les discours de l’effondrement s’inquiètent avant tout du devenir de « notre » civilisation* et ils assimilent la fin de celle-ci à la fin du monde. Pour être plus précis, ils s’inquiètent avant tout de l’avenir des classes moyennes des pays industrialisés – c’est-à-dire de moins d’une personne sur cinq dans le monde. C’est l’effondrement de « nos » modes de vie qui est mis au centre des préoccupations par les discours collapsos. Nous sommes en pleine « complainte de l’homme blanc » comme le fait remarquer Émilie Hache. Cette réaction ethnocentrée est compréhensible, mais il faut l’assumer et situer ce récit. Or, les collapsos (avec certaines exceptions, comme Renaud Duterme) préfèrent le présenter comme une analyse totalisante, globalisante.

Ici, je le redis, ça me fait penser à du Chateauraynaud, qui disait justement exactement la même chose il y a quelques mois dans le courrier de l'Unesco:
Citer:
Un premier problème vient de la manière dont beaucoup d'experts parlent au nom de toute l'humanité, à travers le sujet collectif « nous ». L’historien Dipesh Chakrabarty s’est interrogé sur la fonction de ce « nous » : attribuer des phénomènes à l'humanité dans son ensemble, c’est oublier ou masquer le fait que de nombreux humains, en situation de pauvreté ou de minorité, n'ont guère de responsabilité dans l'avènement de l'Anthropocène.
(Source: https://fr.unesco.org/courier/2018-2/ha ... strophiste).

Ensuite, je trouve important que l'auteur rappelle que tout mélanger est une erreur, ne serait-ce que parce qu'il y a des changements qui sont de l'ordre du réversible, et d'autres non.

J'aime aussi qu'il développe l'idée qu'une crise financière ne serait pas nécessairement le point de départ d'un effondrement (qui, en plus, aurait peu de chance d'être global).

Puis, comme Chateauraynaud et Debaz encore, l'auteur remet en cause l'idée du pic pétrolier (qui serait en fait plutôt un plateau). Et il ajoute surtout que la raréfaction des énergies fossiles ne provoquera pas nécessairement la fin de rapports de production.

Dans la foulée, Cravatte nous dit que:
Citer:
Ces confusions expliquent qu’on entende si régulièrement au sein de discussions effondrées que « le système » serait « à bout de souffle », que « le capitalisme » aurait « atteint ses limites » et qu’il serait « sur le point de s’effondrer » etc., alors que c’est tout le contraire qui est en train de se passer, il continue actuellement de s’approfondir et de s’étendre.

Là-dessus, je ne suis pas du tout compétente pour trancher. Néanmoins, j'aime à croire que - peut-être - l'auteur se trompe. J'ai envie de renvoyer ici à la vidéo de Barbara Stiegler dont j'ai parlé dans un récent poste et dans laquelle elle expliquait qu'elle pensait/espérait que le néo-libéralisme arrivait à la fin de son hégémonie et que c'était particulièrement visible dans les injonctions contradictoires qu'il adressait aux populations (voir ici: https://twitter.com/franceculture/statu ... 9750200320). Néolibéralisme et capitalisme étant étroitement liés, on peut souhaiter/espérer que Cravatte se trompe et que Stiegler ait raison.

Ensuite, on arrive à la partie dans laquelle l'auteur fait le point sur le côté dépolitisant des discours effondrologues. C'est là que ça devient (à mon goût) particulièrement intéressant (et particulièrement douloureux en termes de remise en question pour les concernés). Je cite :
Citer:
À nouveau, l’approche fourre-tout de l’effondrement dépolitise la question écologique appelant, dans un élan de prétendue « lucidité », à faire le deuil de choses inévitables et de choses évitables. S’agit-il de faire le deuil des services publics tout en continuant à payer des impôts, d’un climat tempéré, de la majorité des espèces vivantes, de « nos » proches, de la moitié la plus pauvre ou la plus riche de l’humanité en premier lieu, du « confort » d’un système de santé équitable ou à deux vitesses...? À nouveau, il s’agit un peu confusément de tout cela à la fois, sans précisions.

Autre question gratte-poil:
Citer:
Comment les collapsos différencient-ils le deuil du pétrole abondant de l’acceptation de mesures injustifiées ? Ils ne le précisent pas, or c’est là tout l’enjeu.

Et encore un passage intéressant quand Cravatte cite Lagasse:
Citer:
Comme l’explique Elisabeth Lagasse, les récits de l’effondrement portent cette idée de désert, de terra nullius (« terre de personne »), qui efface les actrices et acteurs et leurs interactions. C’est un « récit sans peuple ».

Là, notons qu'on retombe en plein dans le discours de Chateauraynaud et Debaz, qui passent leur temps à suivre les acteurs au plus près et à travailler sur les "milieux en interaction".

Puis, Cravatte ajoute:
Citer:
Même lorsqu’on est convaincu·e que les choses sont « verrouillées », il est intellectuellement malhonnête – en plus d’être irresponsable – d’invisibiliser les interactions, conflits, solidarités, résistances existantes (et à venir) qui modifient la situation et les manières dont les basculements écologiques sont et seront vécus.

Là encore, c'est mot pour mot le propos de Chateauraynaud et Debaz.

Mais j'en viens au fait : le point le plus douloureux à lire est probablement celui sur les dérives réactionnaires du discours effondrologue.

D'où ma question, Ar Soner. L'auteur étant de toute évidence anti-nucléaire (et donc virulent à l'égard de Jancovici), je me suis demandée si cela faisait partie des passages qui t'ont gêné (et si oui, pourquoi). Même question à propos du contrôle démographique: est-ce là que tu as décelé des hommes de paille qui t'ont déplu?

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MessagePublié: 06 Avril 2019, 00:44 
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Metronomia a écrit:
L'idée m'a effleurée, en effet. :oops: Mais - grâce à des zététiciens pédagogues - je décide finalement de sortir mon rasoir d'Hanlon et d'attribuer à la non-connaissance par Cravatte de l'oeuvre de Debaz et Chateau ce que j'aurais pu - il est vrai - au départ attribuer à de la malveillance. :mrgreen:

Outre le rasoir d'Hanlon, il y a un autre paramètre à prendre en compte : l'étude de Chateauraynaud et Debaz est complètement inconnue parmi les collapsologues. C'est un sujet que je connais bien, que j'explore depuis pas mal d'années, et pourtant je n'en avais jamais entendu parler avant que tu n'attires notre attention dessus. Cravatte a pu passer à côté de l'ouvrage en toute bonne foi.

Metronomia a écrit:
Toi, on voit que tu n'as pas lu Aux bords de l'irréversible (mais je ne désespère pas de t'en convaincre ;) )

Je plaide coupable. :shifty:

Metronomia, citant Cravatte, a écrit:
Les discours de l’effondrement s’inquiètent avant tout du devenir de « notre » civilisation et ils assimilent la fin de celle-ci à la fin du monde. Pour être plus précis, ils s’inquiètent avant tout de l’avenir des classes moyennes des pays industrialisés – c’est-à-dire de moins d’une personne sur cinq dans le monde. [...] Nous sommes en pleine « complainte de l’homme blanc » comme le fait remarquer Émilie Hache.

Puisque tu cites ce passage, je me permet d'y réagir car je trouve que c'est un faux procès.
Si la plupart des collapsologues ont une approche clairement occidentalocentrée (« la fin de notre civilisation »)... c'est tout simplement parce qu'ils s'adressent à un public essentiellement composé de blancs issus des classes moyennes ou supérieures. Et que c'est nous, qui avons un mode de vie particulièrement élevé et gourmand en énergie, qui allons probablement tomber du plus haut, et avons le plus à nous préparer pour réduire le choc lié à la chute.
Parler d'effondrement à un Somalien qui vit déjà dans la pauvreté dans un pays dirigé par la guerre civile, ou à un Bangladeshi qui évolue dans les montagnes de déchets de Dhaka, n'a effectivement aucun sens. Et la plupart des collapsologues le reconnaissent bien volontiers et n'hésitent pas à avoir un point de vue plus global quand ils en ont l'occasion (Pablo Servigne le fait en général dans ses conférences).

Metronomia a écrit:
Puis, comme Chateauraynaud et Debaz encore, l'auteur remet en cause l'idée du pic pétrolier (qui serait en fait plutôt un plateau).

J'ai l'impression que l'idée du pic pétrolier suivie d'un effondrement brusque des ressources en pétrole, qui était souvent invoquée il y a 10 ans, n'est plus trop avancée par les collapsologues « à la page » (bon, on la retrouve encore chez des gens comme Yves Cochet ou Rob Hopkins, mais pour moi ils auraient sérieusement besoin de remettre leur logiciel à jour).
A l'heure actuelle, on décrit plutôt une lente diminution des réserves facilement accessibles pétrole conventionnel et non-conventionnel, avec un EROI toujours croissant, le tout accompagné d'un accroissement de la demande mondiale en pétrole (s'expliquant notamment par le développement de la voiture en Chine et en Inde, entre autres). Le problème risque d'être donc davantage le prix du baril de pétrole que la production quantitative desdits barils... sans que cela change le constat final : à terme, c'est une énergie qui va devenir moins disponible et il va vraisemblablement falloir apprendre à faire sans.

Métronomia a écrit:
Néolibéralisme et capitalisme étant étroitement liés, on peut souhaiter/espérer que Cravatte se trompe et que Stiegler ait raison.

Le néolibéralisme triomphant dans la mondialisation, et ladite mondialisation étant en grande partie permise par l'énergie facile et abondante (puisque c'est cette dernière qui permet d'avoir des moyens de communication et de transport rapides et efficaces à l'échelle du globe), il semble à peu près évident que le néolibéralisme va être très embêté par une contraction énergétique.
Va-t-il disparaître pour autant ? Sur le long cours, je suis convaincu que oui ; mais à court ou moyen terme, c'est dur à dire. On pourrait imaginer que l'énergie disponible, même si elle est moins abondante, soit intégralement dédiée au maintien des structures existantes ce qui retarderait le chant du cygne.

En revanche, ce qui est évident, c'est que cela ne signifie pas la fin du capitalisme, car celui-ci est au moins partiellement découplé du néolibéralisme.
Je rappelle que le néolibéralisme s'articule autour d'un dogme central : la mise sur un piédestal des lois du marché, qui sont supposées permettre une organisation optimale des choses (à tous les niveaux : social, économique...). Par conséquent, il ne faut les entraver en aucune façon ; c'est la raison pour laquelle le néolibéral moyen va critiquer la régulation des marchés, l'intervention de l'état, la création de services publics, etc... puisque ces derniers sont supposés biaiser la jeu de la libre concurrence.
Or, on a un paquet d'exemple d'économies qui sont capitalistiques sans être pour autant néolibérales. Aussi bien des exemples historiques, comme la France de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle (l'économie n'était pas vraiment organisée de façon libérale, ce qui n'a pas empêché l'émergence de grandes familles de capitaines d'industrie ou de maîtres de forge !) que d'autres tout à fait modernes, comme la Chine (capitalistique mais certainement pas néolibérale vu le haut niveau d'intervention du gouvernement dans l'économie nationale...).

Le néolibéralisme parfait n'existe pas, de toute façon : même les pays les plus ouvertement néolibéraux comme les USA trichent avec les règles, par exemple en subventionnant certains pans de leur économie (l'agriculture) ou en mettant au point des dispositifs pour qu'une partie des ressources publiques partent dans les poches privées (*tousse* le CICE chez nous *tousse*).
Comme le disent les économistes hétérodoxes : le vrai néolibéralisme, tout le monde le veut chez les autres... mais absolument pas chez soi. :mrgreen:

Bref : si le futur du néolibéralisme est incertain, je suis en revanche convaincu que le capitalisme a encore de beaux jours devant lui. Et connaissant la nature humaine, je pense que les grands de ce monde continueront à tirer sur le pis de la vache tant qu'ils n'en auront pas extrait l'ultime dernière goutte de lait ; et ils n'accepteront de le lâcher que lorsque la vache sera raide morte, desséchée comme une momie.

Metronomia, citant Cravatte, a écrit:
À nouveau, l’approche fourre-tout de l’effondrement dépolitise la question écologique appelant, dans un élan de prétendue « lucidité », à faire le deuil de choses inévitables et de choses évitables. S’agit-il de faire le deuil des services publics tout en continuant à payer des impôts, d’un climat tempéré, de la majorité des espèces vivantes, de « nos » proches, de la moitié la plus pauvre ou la plus riche de l’humanité en premier lieu, du « confort » d’un système de santé équitable ou à deux vitesses...?

Disons qu'il y a un peu de tout cela.

D'un côté : oui, il va falloir vraisemblablement faire le deuil de certaines choses. Oui, un monde restreint en terme d'énergie va nous obliger à faire des arbitrages cruels : on ne pourra peut-être pas conserver une éducation de qualité pour tous, tout en ayant à côté une médecine qui pousse jusqu'au bout de leur vie des personnes âgées qui ont cessé d'être productives pour la société.
En bout de chaîne, on se heurte forcément à des questions économiques et énergétiques : qui paye les enseignants ou les soignants ? Comment se déplacent-ils ? Si la nourriture est produite à main d'homme, elle coûte infiniment plus chère, donc qui a les moyens pour entretenir une bouche à nourrir supplémentaire ? Etc... Jancovici explique tout cela bien mieux que moi dans Dormez tranquilles jusqu'en 2100.

Et de l'autre, le rationnement énergétique ne veut pas dire qu'on doit tout accepter (surtout quand ça sert la soupe au Capital...). Et il faudra se battre pour conserver certaines choses qui peuvent être aisément remplacées par des succédanés low-tech et peu gourmands en ressources (le service postal, par exemple), ou pour lesquelles on décide collectivement de mettre le paquet parce qu'on considère que c'est primordial à la société.

Metronomia, citant Cravatte, a écrit:
Comment les collapsos différencient-ils le deuil du pétrole abondant de l’acceptation de mesures injustifiées ? Ils ne le précisent pas, or c’est là tout l’enjeu.

Je n'ai pas grand chose à dire, à part : « oui ».

Metronomia a écrit:
Mais j'en viens au fait : le point le plus douloureux à lire est probablement celui sur les dérives réactionnaires du discours effondrologue.

De mon expérience, le milieu de la collapso est principalement peuplé de gauchistes (peut-être à cause du profil moyen des gens qui y sont sensibilisés : en général, ils arrivent aux questions d'effondrement en passant par la transition écologique ou la décroissance). Mais il est évident qu'il y a des passerelles avec les milieux d'extrême droite via le survivalisme, qui est un peu « le côté obscur » de la collapsologie (le côté lumineux serait l'effondrement convivialiste proposé par Servigne et Stevens).

Que le discours effondrologue prête à des dérives réactionnaires, c'est relativement normal car certaines des perspectives qu'il offre sont proprement terrifiantes. Si on prend au sérieux les prévisions du modèle World3, on est conduit à accepter que quoi qu'il arrive, quoi qu'on fasse, un effondrement global va nécessairement entraîner la disparition d'une part conséquente de l'humanité (plus d'1/3 de la population mondiale, nous dit-on). Ce qui ne se fera pas sans heurts ni désordre. Ayant acté cela, on peut se demander : que faire pour être individuellement et collectivement du côté des « gagnants » plutôt que de celui des « perdants » ?
La paix — relative — offerte par la civilisation thermo-industrielle nous a peut-être fait perdre de vue que historiquement, les nations et les peuples ont rarement eu des relations fraternelles entre eux et que la norme était plutôt la compétition violente (en particulier dans les périodes de troubles où les ressources sont rares).

Ce n'est pas la vision des choses que j'ai envie de promouvoir, ni un avenir dans lequel j'ai envie de m'engager... mais je n'ai objectivement rien à dire aux gens qui tirent ces conclusions des données actuelles sur l'effondrement. Je ne peux pas démontrer rationnellement qu'ils ont tort. Seuls les descendants de l'humanité dans 200 ans sauront bien, eux, qui avait raison au final.

Metronomia a écrit:
L'auteur étant de toute évidence anti-nucléaire (et donc virulent à l'égard de Jancovici), je me suis demandée si cela faisait partie des passages qui t'ont gêné (et si oui, pourquoi).

Cela ne m'a pas dérangé outre mesure... parce que c'est très habituel chez les écolos anti-nucléaires ( :P ) mais dire que Jancovici est « pro-nucléaire » est un résumé très grossier d'une réflexion beaucoup plus complexe.

Tenter une résumance de la pensée fulgurante et spiritique de Janco me paraît impossible, mais grosso-modo Jancovici part du principe que le nucléaire à moyen terme est un moindre mal s'il permet de garantir un apport énergétique convenable à la France durant la difficile période de décroissance qui s'annonce.
Notre pays est assez mal loti en matière de ressources naturelles énergétiques (on a très peu de gros court d'eau de montagne pour faire de l'hydraulique, peu de soleil et pas des masses de vent sauf en offshore) et il faut de tout façon conserver des énergies non-renouvelables dans le pool énergétique pour continuer à alimenter le réseau quand il fait nuit ou que le vent ne souffle pas (la joie des énergies intermittentes...).
Le nucléaire présente en outre l'intérêt d'avoir un ratio [production de GES/kW produit] absolument imbattable, et ce même en prenant en compte l'intégralité du cycle de vie d'une centrale (construction, extraction de l'uranium et démantèlement compris.... voir cette vidéo très intéressante sur le sujet pour ceux qui se posent la question...). Dans un contexte de réchauffement climatique, c'est à prendre en compte car les autres énergies (charbon ou gaz) sont toutes carbonées et très polluantes.
Autre avantage du nucléaire : on peut faire une centrale nucléaire low-tech, avec des dispositifs de contrôle analogiques, ce qui est impossible avec les éoliennes ou les panneaux solaires nécessitant systématiquement de l'électronique.

Après, il y a toujours :
- la question des déchets.... mais je le rejoins sur le fait qu'on peut les enterrer très profond dans une couche géologique stable et laisser la nature faire son oeuvre (on fait pareil avec tous nos autres déchets, souvent dans des conditions déplorables qui entraînent un vrai risque de pollution... et personne chez les écolos ne bouge un cil).
- et le spectre de l'incident nucléaire... mais Jancovici considère que l'impact d'un tel incident est négligeable tant en terme de vies humaines que d'environnement, et que c'est un moindre mal si cela permet d'éviter une guerre civile entraînée par une pénurie énergétique.

Voilà pourquoi Janco considère que l'on devra sortir du nucléaire sur le long terme, mais qu'à brève échéance, c'est une corde très utile à notre arc énergétique et que nous serions bien mal avisés de vouloir fermer toutes les centrales au plus vite. N'étant pas moi-même un grand spécialiste du nucléaire, j'ai tendance à souscrire à son point de vue, qui est le plus rationnel et le mieux documenté que j'ai pu trouver sur le sujet.

Metronomia a écrit:
Même question à propos du contrôle démographique: est-ce là que tu as décelé des hommes de paille qui t'ont déplu?

Oui : les néo-malthusiens (dont j'avoue partager l'opinion) n'ont que très rarement tendance à invoquer l'exemple de la Chine ou à plaider pour le seul recours à des mesures coercitives légales pour réduire par la force la démographie.
Tous ceux que j'ai pu lire ou entendre reconnaissent qu'il est également indispensable d'agir sur l'émancipation des femmes, de rendre facilement accessibles les moyens de contraception, et de mettre en place des systèmes de retraite pour que les personnes âgées puissent vivre sans être dépendantes de leurs progéniture.

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MessagePublié: 06 Avril 2019, 12:46 
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La paix — relative — offerte par la civilisation thermo-industrielle nous a peut-être fait perdre de vue que historiquement, les nations et les peuples ont rarement eu des relations fraternelles entre eux et que la norme était plutôt la compétition violente (en particulier dans les périodes de troubles où les ressources sont rares).

Ce n'est pas la vision des choses que j'ai envie de promouvoir, ni un avenir dans lequel j'ai envie de m'engager... mais je n'ai objectivement rien à dire aux gens qui tirent ces conclusions des données actuelles sur l'effondrement. Je ne peux pas démontrer rationnellement qu'ils ont tort. Seuls les descendants de l'humanité dans 200 ans sauront bien, eux, qui avait raison au final.


C'est étrange parce que j'ai l'impression que c'est un peu l'inverse de ce qui m'a été dit plus avant dans le topic ? Ou alors, il y a un truc que j'ai mal compris ?...

Après, pour moi, clairement... je pense que quand la dite "civilisation thermo-industrielle" (ah, les joies du jargonnage... :mrgreen: ) ce cassera la tronche après avoir scié allègrement la branche sur laquelle elle était assise, toute seule comme une grande, ça ne se passera pas bien... parce que ça ne peut pas se passer bien.
Il n'y a qu'à regarder ce qui se passe actuellement, et ce qui s'est passé par le passé, pour arriver à la conclusion qu'à moins d'une sorte de révolution des consciences quasi-miraculeux, le mode de fonctionnement des êtres humains (dans leur grande majorité ou en terme de "grande masse collective") est un mode de fonctionnement basé sur la compétition et l'écrasement de l'autre... donc, je ne vois pas comment ça peut juste au moins "pas trop mal" se passer.

Je ne dis pas qu'il n'y a pas de belles initiatives collectives, par moment... mais pour moi, elles ne sont que de la poudre aux yeux, une manière de se donner bonne conscience, de se donner l'illusion d'appartenir à un collectif positif... mais le changement durable et profond d'une masse critique, je ne le vois pas. (peut-être que je ne suis pas assez "positive attitude" et trop exigeante et entière vis à vis de tout ça, peut-être...)

Mon seul soulagement est de me dire qu'avec un peu de chance, je me serai libérée de mon corps physique pour aller voler vers d'autres cieux autrement plus favorables... et que je n'aurais pas d'enfant à qui infliger une existence dans ce monde en déliquescence... :think:

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Même si on ne nous laisse qu'une ruelle exiguë à arpenter, au-dessus d'elle il y aura toujours le ciel tout entier.
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MessagePublié: 06 Avril 2019, 19:19 
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Chimère a écrit:
C'est étrange parce que j'ai l'impression que c'est un peu l'inverse de ce qui m'a été dit plus avant dans le topic ? Ou alors, il y a un truc que j'ai mal compris ?...

Si tu fais bien allusion à la discussion qu'on avait pu avoir sur l'entraide, qui est plus répandue que l'on pense en temps de catastrophe, je te dirais qu'on ne parle pas du tout de la même échelle.

L'entraide peut bien fonctionner au niveau d'une petite communauté, qui se retrouve et se soude autour d'un certain nombre de choses en commun (une langue, une culture, des valeurs, ou juste une cohabitation assez longue qui a permis de tisser des liens).
A un niveau plus large, par exemple à l'échelle d'un continent voire à l'échelle du globe, ce levier ne fonctionne plus vraiment et la dynamique relationnelle change. L'autre cesse de nous ressembler ; il n'est plus un proche ou un voisin mais devient un parfait étranger (c'est ce qui explique qu'on soit davantage touché par les catastrophes qui arrivent près de chez nous que par celles qui se produisent à l'autre bout du monde). De fait, les relations « positives » qu'on peut tisser avec lui sont plutôt de l'ordre de l'échange commercial que de l'entraide.

Chimère a écrit:
Après, pour moi, clairement... je pense que quand la dite "civilisation thermo-industrielle" (ah, les joies du jargonnage... :mrgreen: )

Touché. :mrgreen: Il s'agit effectivement d'un terme de jargon collapsologique, mais pour ma défense, l'expression est assez transparente (et je l'aime bien, donc voilà...).

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MessagePublié: 06 Avril 2019, 19:30 
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L'entraide peut bien fonctionner au niveau d'une petite communauté, qui se retrouve et se soude autour d'un certain nombre de choses en commun (une langue, une culture, des valeurs, ou juste une cohabitation assez longue qui a permis de tisser des liens).
A un niveau plus large, par exemple à l'échelle d'un continent voire à l'échelle du globe, ce levier ne fonctionne plus vraiment et la dynamique relationnelle change. L'autre cesse de nous ressembler ; il n'est plus un proche ou un voisin mais devient un parfait étranger (c'est ce qui explique qu'on soit davantage touché par les catastrophes qui arrivent près de chez nous que par celles qui se produisent à l'autre bout du monde). De fait, les relations « positives » qu'on peut tisser avec lui sont plutôt de l'ordre de l'échange commercial que de l'entraide.


Donc, on va s'entre-tuer entre groupes soudés mais s'entre-tuer quand-même, mais dans la joie et la bonne humeur, entre potes... :arrow:

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MessagePublié: 04 Mai 2019, 10:33 
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https://www.huffingtonpost.fr/entry/survivre-serie-francais-apocalypse_fr_5ccaa74ae4b0913d078cac40?utm_hp_ref=fr-homepage

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"Survivre", la série documentaire qui s'intéresse aux Français se préparant à l'apocalypse
Bunker, autonomie alimentaire totale grâce à l'aquaponie, si demain le monde tel qu'on le connaît venait à s'écrouler, les survivalistes seront prêts.
Par Marine Le Breton

En cinq épisodes, Alexandre Pierrin dresse le portraits des survivalistes sur FRANCETV SLASH

SURVIVALISME - Si la fin du monde est demain, ils seront prêts. Guerre, catastrophe naturelle, crise économique, effondrement généralisé de la société: les survivalistes sont prêts à tout. C’est à eux que s’intéresse la série documentaire “Survivre”, lancée dimanche 5 mai sur France TV Slash.

Réalisé par Alexandre Pierrin, ce documentaire en cinq épisodes de quinze minutes se penche sur ce mouvement qu’on situe surtout aux États-Unis. Celui-ci, qui a émergé dans les années 60 outre-Atlantique, est fondé sur la survie.

Comme vous pouvez le voir dans le premier épisode de la série, en exclusivité pour Le HuffPost (voir vidéo ci-dessous), les survivalistes existent aussi en France. Leur question principale -“Et si notre société s’effondrait?”- les entraîne à se préparer au pire.

Confection d’un bunker, préparation d’un sac de survie ou encore fonctionnement en autonomie totale grâce à l’aquaponie, les Français rencontrés par Alexandre Pierrin sont prêts à tout.


Autonomie alimentaire
Contacté par Le HuffPost, Alexandre Pierrin explique comment il s’est retrouvé à enquêter sur les survivalistes français. Parti d’un article sur les survivalistes de la Silicon Valley qui créaient un bunker, le réalisateur a commencé à faire des recherches. Sur Youtube notamment, il découvre une vraie mine d’or. Ils sont des centaines à partager leurs conseils sur différentes chaînes et tout autant à les regarder. Il découvre ensuite, sur Facebook, plusieurs pages et groupes dédiés à cette mouvance.

Il a toutefois noté une différence de taille entre les Français et les Américains: “ils se veulent moins extrêmes et reprochent notamment aux Américains la place accordée à l’armement”, souligne-t-il.

Ce qui l’a le plus marqué chez ces survivalistes, c’est “l’aspect autonomie alimentaire”. Certains sont devenus tellement auto-suffisants qu’en cas de crise, ils pourraient vivre plusieurs mois sans mettre le nez dehors. “Mais attention, il ne faut pas les confondre avec les décroissants, qui cherchent à adopter un autre mode de vie dans le monde tel qu’il est”. Les survivalistes, eux, sont prêts au nouveau monde s’il doit changer.

Peur d’être pillés le jour de la catastrophe
Trouver ces témoignages n’a pas été de tout repos pour le réalisateur. Après avoir posté des messages et contacté les administrateurs de différents groupes Facebook, Alexandre Pierrin a reçu beaucoup d’insultes et de menaces. “Certains réactions étaient délirantes voire paranoïaques”, se souvient-il.

Au-delà de ces réactions défensives, certains avaient peur de passer devant la caméra. D’une part peur d’être reconnus. D’autre part, peur d’être pillés par des “zombies” le jour de la catastrophe. Les zombies, ce sont vous et moi. Tous ceux qui ne sont pas prêts. “Tous m’ont imposé des conditions. Je n’ai par exemple pas pu filmer de façades ni de fenêtres donnant sur l’extérieur”, explique-t-il.

Certains ont annulé leur participation au projet à la dernière minute. En tout, le réalisateur a passé environ un an rien que sur cette phase d’enquête.

Combien sont-ils? Difficile de le savoir. Le nombre de 100.000 à 150.000 est souvent évoqué. Alexandre Pierrin ne saurait pas dire si c’est exact. Lui se réfère à la fréquentation du salon du survivalisme: en 2018 ils étaient 15.000 à s’y rendre.


Je mets ça là, je crois que c'est dans ce post qu'on avait parlé du survivalisme...
Je n'ai pas encore pris le temps de regarder l'épisode, mais je pense que ça peut intéresser certains d'entre vous...

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MessagePublié: 07 Mai 2019, 09:05 
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Pour préserver la biodiversité, faut-il sauver toutes les espèces en danger?

Le rapport de l'IPBES, le “Giec de la biodiversité”, premier du genre, met en garde contre une extinction massive, avec un million d'espèces menacées. Si des solutions existent, faut-il pour autant tenter de toutes les sauver?
Par Grégory Rozières

ENVIRONNEMENT - C’est un gigantesque signal d’alarme. Dans un rapport international, le premier du genre réalisé par l’IPBES, le “Giec de la biodiversité”, 150 chercheurs mettent en garde contre une extinction des espèces “sans précédent” et qui s’accélère.

Un million d’espèces sont menacées d’extinction, sur les huit millions qui peuplent la Terre, selon les estimations publiées dans ce rapport de plus de 1500 pages réalisé par un groupement international de scientifiques. Et les choses devraient empirer d’ici 2050 dans tous les scénarios envisagés, “sauf dans ceux qui proposent un changement transformateur”, affirme l’IPBES.

“On entend un changement fondamental à l’échelle d’un système, qui prend en considération les facteurs technologiques, économiques et sociaux, y compris en termes de paradigmes, objectifs et valeurs”, précise l’organisation. Et d’être plus clair encore sur le besoin d’un changement global de la société: “En vue de créer une économie mondiale durable, l’évolution des systèmes financiers et économiques mondiaux a également été identifiée comme un élément clé des politiques futures plus durables. Elle s’éloigne du paradigme actuel trop limité de la croissance économique”.

Un changement gigantesque qui rappelle fortement celui nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais même si l’humanité arrivait à relever le défi, les modifications nécessaires pour rétablir les écosystèmes n’arriveront certainement pas à temps pour sauver toutes ces espèces en danger. Reste à savoir s’il faut vraiment tenter de toutes les sauver. Une question qui peut sembler étrange, mais qui fait réellement débat dans la communauté scientifique.

L’extinction, un phénomène naturel?

Le cas du rhinocéros blanc du Nord est intéressant à ce propos. L’espèce a été décimée en une vingtaine d’année, notamment suite au braconnage, et en mars 2018, le dernier mâle est mort. Des scientifiques ont, quelque temps avant, mis en place un plan un peu fou pour tenter de sauver l’espèce. Une fécondation in-vitro. Pour certains biologistes, c’est une mauvaise idée, trop coûteuse, ou qui pourrait donner l’idée que la technologie peut tout résoudre.

De même, certains chercheurs espèrent pouvoir sauver ou presque ressusciter des espèces grâce aux modifications de l’ADN (par exemple, donner naissance à un hybride éléphant-mammouth). Encore une fois, un projet très critiqué.

Soit. Mais en dehors de ces cas un peu extrêmes, tous les scientifiques sont d’accord pour sauver toutes les espèces possibles d’êtres vivants, non? Eh bien, c’est plus compliqué. En novembre 2017, dans le Washington Post, le biologiste Alexander Pyron avait mis les pieds dans le plat avec une tribune carrément titrée “Nous n’avons pas besoin de sauver les espèces en danger, l’extinction fait partie de l’évolution”.

“La seule raison pour laquelle nous devrions conserver une biodiversité est nous même, pour créer un futur stable pour les êtres humains”, estime-t-il. Des extinctions ont eu lieu avant et auront lieu après le règne de l’Homme. Circulez, il n’y a rien à voir.

Quant au fait de dire que c’est l’homme et non la nature qui a décimé certaines espèces? “Mais nous faisons partie de la biosphère comme toutes les autres créatures, et nos actions sont tout aussi volitives, leurs conséquences aussi naturelles”, estime-t-il.

Pyron allait même jusqu’à dire qu’après tout, le réchauffement climatique n’est pas si catastrophique, la Terre ayant déjà connu des températures bien plus élevées.

Volée de bois vert

Un texte provocateur et porté sur l’exagération qui a valu à Alexander Pyron de nombreux commentaires désabusés et très critiques de ses confrères. Une lettre ouverte signée par plus de 3900 personnes dont 3400 scientifiques à même été publiée en réaction dans le Washington Post.

Celle-ci rappelle que si l’extinction d’espèces fait partie de l’évolution de la vie, celle que l’être humain a enclenchée, la sixième, semble mille fois plus rapide que les précédentes. Carl Safina, chercheur en écologie et auteur de nombreux ouvrages, précise de son côté qu’il faudra des millénaires, au mieux, pour que d’autres espèces s’imposent.

Surtout, “de nouvelles espèces ne ‘surgissent’ pas soudainement, elles ne sont pas vraiment neuves. Elles sont l’évolution d’espèces existantes, entraînées par le changement de leurs gènes”, explique-t-il. Les dinosaures ont disparu, certes, mais leurs descendants ne sont autres que les oiseaux. Laisser des héritages génétiques si vieux s’éteindre si vite est une faute morale pour Carl Safina.

“Quand j’entends parler de la destruction d’une espèce, je me sens comme lorsque toutes les oeuvres d’un grand écrivain disparaissent” Theodore Roosevelt

Quelques jours après la publication de sa tribune, le biologiste s’est excusé, précisant n’avoir pas écrit le titre provocateur de l’article. Quant au contenu, il le nuance alors, expliquant que la sauvegarde d’espèces pour créer une biodiversité et un “monde stable pour nous-mêmes et les futures générations” est évidemment une nécessité.

Des espèces méritent-elles plus de survivre ?

Fin de l’histoire? Pas vraiment. Si la tribune de Pyron prenait trop de raccourcis, son propos général n’est pas dénué de sens. Face aux multiples défis climatiques et écologiques vers lesquels notre monde fonce, peut-on tout affronter de front? Et si la réponse est négative, sur quoi faut-il alors concentrer nos efforts?

Certains scientifiques se sont posé la question dans des termes assez proches. Ainsi, Chris Thomas, écologiste et biologiste de l’évolution, se demande dans le New York Times si le fait qu’une espèce d’oiseau disparaisse sur une île est un problème. Car leur disparition fait suite à l’arrivée, via le commerce et le tourisme, d’oiseaux venus d’autres horizons qui sont plus résistants (à la malaria, dans l’exemple cité) que les volatiles locaux.

Bref, est-ce que la recherche d’un maximum de diversité, d’un maximum d’espèces différentes est si importante? “Même si nous perdions 10% du total des espèces dans le prochain siècle, est-ce que la biologie, l’écologie s’arrêteraient? Non. En fait, la plupart des gens ne seraient même pas au courant de cette perte”, affirme Chris Thomas.

Peter Kareiva, chercheur dans l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), a une théorie assez proche. Ce n’est pas n’importe qui: il fut le directeur de “The Nature Conservancy”, une ONG américaine de protection de l’environnement dotée de plus de 500 millions de dollars de financement. Il est l’un des 30 chercheurs en biologie de la conservation les plus cités dans le monde.

Quand on l’interroge sur l’étude qui l’a le plus influencé, il cite celle d’un collègue qui se demandait ce qu’il se passait quand une espèce disparaît. “Il a isolé le cas du châtaignier d’Amérique, qui recouvrait autrefois 40 à 50% du nord-est de l’Amérique, et dont l’impact de sa disparition ne peut pas être mesuré”.

“Je veux empêcher les extinctions. Mais je pense que ce qui aurait dû être une préoccupation raisonnable pour la biodiversité s’est transformé en un simple comptage d’espèces”, estime-t-il. “Revenons-en à l’écologie, c’est-à-dire comprendre comment les systèmes fonctionnent, quelles dynamiques les contrôlent, le rôle d’espèces en particulier plutôt que le nombre d’espèces, à quel point les écosystèmes compensent les pertes d’espèces...”, détaille Peter Kareiva.

Derrière, il y a un concept qui fait débat au sein des chercheurs en conservation: les “services écosystémiques”. Pour faire simple, l’idée consiste à se demander quelles sont les caractéristiques qui font qu’un écosystème est utile et nécessaire pour l’espèce humaine.

Il y a des liens directs, comme ce que nous mangeons, l’air que nous respirons, mais les scientifiques ne se limitent pas à cela. Il faut également comprendre l’impact des différentes espèces sur leur milieu. Car celui-ci touche souvent, par ricochet, l’être humain.

Dans une tribune publiée en 2011, Peter Kareiva mettait ainsi en avant certaines espèces dont l’impact est très important sur leur écosystème. Les prédateurs en haut de la chaîne alimentaire, les grands herbivores... On pourrait également citer les abeilles, nécessaires à la reproduction des plantes et, donc, à l’agriculture humaine. Tous, évidemment, sont plus ou moins menacés d’extinction, c’est bien le problème, selon le biologiste.

Des espèces menacées devenues “conservation-dépendantes”

Derrière tout cela, il y a l’idée que face à l’urgence et à l’ampleur du problème, il serait peut-être judicieux de savoir, avant d’agir, sur quoi concentrer nos efforts, scientifiques, humains et financiers. Surtout quand on sait que certaines espèces sauvées de l’extinction ne survivront jamais sans notre aide.

Une étude de 2010 estime ainsi que 84% des espèces menacées sauvées de la disparition aux États-Unis depuis 30 ans sont “conservation-dépendantes”. Cela veut dire qu’elles ne pourront survivre sans une aide, un aménagement humain constant de leur habitat. Faut-il alors, comme le proposent certains chercheurs, faire le “tri” dans les espèces à sauver?

Le problème, c’est qu’il est très difficile de prévoir l’impact sur son environnement de la disparition d’une espèce, notent les opposants à cette théorie. Tout choix de laisser s’éteindre une espèce est irrémédiable. Qui aurait pu dire, il y a 200 ans, que cette moisissure inutile donnerait naissance à la pénicilline et sauverait tant de personnes?

On pourrait choisir les espèces avec le plus de divergences génétiques, comme le proposent certains. Sauf que derrière la question pratique et “utilitaire”, visant à assurer la survie de l’espèce humaine et des écosystèmes actuels en général, il y en a une autre plus morale, moins palpable. Qui peut se résumer avec cette phrase de Carl Safina, qui est opposé à cette idée de tri.

Les choses dont nous “dépendons” rendent notre vie possible, évidemment. Mais les choses dont nous n’avons pas besoin rendent la vie digne d’être vécue. Carl Safina

Le risque d’une politisation du débat

Il y a également un autre problème, comme le rappelle le chercheur dans son billet, ou encore l’article du New York Times. Depuis l’élection de Donald Trump, les critiques de la conservation de la biodiversité telle qu’elle est réalisée jusqu’à maintenant ont gagné du terrain.

Plusieurs projets été proposés au Parlement américain pour modifier la loi qui oblige les États à protéger les espèces en danger, datant de 1973. Comme le précise le quotidien américain, si certains biologistes concèdent que la loi mériterait d’être amendée, certaines propositions, provenant d’élus républicains, laissent songeurs.

Par exemple, deux d’entre elles donnent aux collectivités locales une sorte de droit de veto sur le choix des espèces classées comme menacées. De quoi laisser la possibilité aux entreprises locales, qui n’ont parfois pas du tout envie de voir leur activité encadrée, d’influencer la décision, dénoncent des ONG.

D’ailleurs, l’IPBES concède que le changement nécessaire pour sauver la biodiversité “peut susciter une opposition de la part de ceux qui ont des intérêts attachés au statu quo”, tout en espérant que cette opposition soit “surmontée pour le bien de tous”. Ce serait un comble que des hommes politiques conservateurs profitent d’un débat nécessaire entre scientifiques pour tenter d’annihiler toutes nos chances de sauvegarder la biodiversité terrestre. Ou au moins une partie.



https://www.huffingtonpost.fr/entry/pour-preserver-la-biodiversite-faut-il-sauver-toutes-les-especes-en-danger_fr_5cd0210ae4b04e275d4d5b27?utm_hp_ref=fr-homepage


Questionnement intéressant... Si j'entends parfaitement la nécessité de réfléchir à la préservation de "systèmes" biologiques et environnementaux... si je conçois bien que la disparition d'espèces fait partie "du jeu" de la Vie, il ne faut pas perdre de vue qu'à l'heure actuelle, les règles du jeu sont faussées par une seule espèce : l'Homme... Du coup, je trouve que cet argument est un poil de mauvaise foi... :think:

D'autre part, ce genre de phrase "La seule raison pour laquelle nous devrions conserver une biodiversité est nous même, pour créer un futur stable pour les êtres humains" me dégoûte au plus haut point... surtout dans la bouche d'un scientifique qui devrait avoir une hauteur de vue, une réflexion éthique et holistique supérieure à celle des politiciens ou de Jojo du Café du Commerce... :| (mais je dois être trop idéaliste...)
Parce que pour moi, préserver une espèce animale/végétale ou plus généralement la biodiversité (je préfère parler de Vie et de vies... c'est moins technique, et on se rend mieux compte de quoi on parle... d'êtres vivants, aussi vivants que vous et moi...), ne devrait pas, SURTOUT PAS, se faire dans une logique utilitariste et anthropocentrée... parce que c'est précisément cette logique qui est en train de nous envoyer dans le mur... Au contraire, on devrait préserver une espèce, un environnement pour eux-mêmes, en tant qu'altérité aussi précieuse que la Vie elle-même. Tant qu'on ne verra dans un hêtre ou un chêne pédonculée qu'une réserve de bois et une machine à traiter le C02, tant qu'on ne verra dans les abeilles que des machines à polliniser nos cultures et à fabriquer du miel, tant qu'on ne verra dans la protection des espèces le moyen de nous sauver nous-mêmes (alors que nous sommes sur cette planète l'espèce sans doute la moins digne d'être sauvée...), on pourra faire tous les rassemblements, toutes les belles déclarations du monde, ça n'avancera pas d'un pouce...
Toutes les espèces animales et végétales, individus par individus, ont un droit et une légitimité intrinsèque à l'existence, ce n'est pas à nous de décider qui doit vivre, pour notre propre intérêt, et qui peut, raisonnablement, mourir ; nous n'avons pas à décider cela... nous avons juste le devoir de préserver et de faire le moins de mal possible... parce que sans ça, notre propre légitimité à l'existence, à nous, seule espèce douée du logos, de raison et d'éthique, n'est plus qu'un mensonge... nous ne la méritons même plus.


Les choses dont nous “dépendons” rendent notre vie possible, évidemment. Mais les choses dont nous n’avons pas besoin rendent la vie digne d’être vécue. Carl Safina

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