Metronomia a écrit:
L'idée m'a effleurée, en effet.
Mais - grâce à des zététiciens pédagogues - je décide finalement de sortir mon rasoir d'Hanlon et d'attribuer à la non-connaissance par Cravatte de l'oeuvre de Debaz et Chateau ce que j'aurais pu - il est vrai - au départ attribuer à de la malveillance.
Outre le rasoir d'Hanlon, il y a un autre paramètre à prendre en compte : l'étude de Chateauraynaud et Debaz est complètement inconnue parmi les collapsologues. C'est un sujet que je connais bien, que j'explore depuis pas mal d'années, et pourtant je n'en avais jamais entendu parler avant que tu n'attires notre attention dessus. Cravatte a pu passer à côté de l'ouvrage en toute bonne foi.
Metronomia a écrit:
Toi, on voit que tu n'as pas lu
Aux bords de l'irréversible (mais je ne désespère pas de t'en convaincre
)
Je plaide coupable.
Metronomia, citant Cravatte, a écrit:
Les discours de l’effondrement s’inquiètent avant tout du devenir de « notre » civilisation et ils assimilent la fin de celle-ci à la fin du monde. Pour être plus précis, ils s’inquiètent avant tout de l’avenir des classes moyennes des pays industrialisés – c’est-à-dire de moins d’une personne sur cinq dans le monde. [...] Nous sommes en pleine « complainte de l’homme blanc » comme le fait remarquer Émilie Hache.
Puisque tu cites ce passage, je me permet d'y réagir car je trouve que c'est un faux procès.
Si la plupart des collapsologues ont une approche clairement occidentalocentrée (« la fin de notre civilisation »)... c'est tout simplement parce qu'ils s'adressent à un public essentiellement composé de blancs issus des classes moyennes ou supérieures. Et que c'est
nous, qui avons un mode de vie particulièrement élevé et gourmand en énergie, qui allons probablement tomber du plus haut, et avons le plus à nous préparer pour réduire le choc lié à la chute.
Parler d'effondrement à un Somalien qui vit déjà dans la pauvreté dans un pays dirigé par la guerre civile, ou à un Bangladeshi qui évolue dans les montagnes de déchets de Dhaka, n'a effectivement aucun sens. Et la plupart des collapsologues le reconnaissent bien volontiers et n'hésitent pas à avoir un point de vue plus global quand ils en ont l'occasion (Pablo Servigne le fait en général dans ses conférences).
Metronomia a écrit:
Puis, comme Chateauraynaud et Debaz encore, l'auteur remet en cause l'idée du pic pétrolier (qui serait en fait plutôt un plateau).
J'ai l'impression que l'idée du pic pétrolier suivie d'un effondrement brusque des ressources en pétrole, qui était souvent invoquée il y a 10 ans, n'est plus trop avancée par les collapsologues « à la page » (bon, on la retrouve encore chez des gens comme Yves Cochet ou Rob Hopkins, mais pour moi ils auraient sérieusement besoin de remettre leur logiciel à jour).
A l'heure actuelle, on décrit plutôt une lente diminution des réserves facilement accessibles pétrole conventionnel et non-conventionnel, avec un EROI toujours croissant, le tout accompagné d'un accroissement de la demande mondiale en pétrole (s'expliquant notamment par le développement de la voiture en Chine et en Inde, entre autres). Le problème risque d'être donc davantage le prix du baril de pétrole que la production quantitative desdits barils... sans que cela change le constat final : à terme, c'est une énergie qui va devenir moins disponible et il va vraisemblablement falloir apprendre à faire sans.
Métronomia a écrit:
Néolibéralisme et capitalisme étant étroitement liés, on peut souhaiter/espérer que Cravatte se trompe et que Stiegler ait raison.
Le néolibéralisme triomphant dans la mondialisation, et ladite mondialisation étant en grande partie permise par l'énergie facile et abondante (puisque c'est cette dernière qui permet d'avoir des moyens de communication et de transport rapides et efficaces à l'échelle du globe), il semble à peu près évident que le néolibéralisme va être très embêté par une contraction énergétique.
Va-t-il disparaître pour autant ? Sur le long cours, je suis convaincu que oui ; mais à court ou moyen terme, c'est dur à dire. On pourrait imaginer que l'énergie disponible, même si elle est moins abondante, soit intégralement dédiée au maintien des structures existantes ce qui retarderait le chant du cygne.
En revanche, ce qui est évident, c'est que cela ne signifie pas la fin du capitalisme, car celui-ci est au moins partiellement découplé du néolibéralisme.
Je rappelle que le néolibéralisme s'articule autour d'un dogme central : la mise sur un piédestal des lois du marché, qui sont supposées permettre une organisation optimale des choses (à tous les niveaux : social, économique...). Par conséquent, il ne faut les entraver en aucune façon ; c'est la raison pour laquelle le néolibéral moyen va critiquer la régulation des marchés, l'intervention de l'état, la création de services publics, etc... puisque ces derniers sont supposés biaiser la jeu de la libre concurrence.
Or, on a un paquet d'exemple d'économies qui sont capitalistiques sans être pour autant néolibérales. Aussi bien des exemples historiques, comme la France de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle (l'économie n'était pas vraiment organisée de façon libérale, ce qui n'a pas empêché l'émergence de grandes familles de capitaines d'industrie ou de maîtres de forge !) que d'autres tout à fait modernes, comme la Chine (capitalistique mais certainement pas néolibérale vu le haut niveau d'intervention du gouvernement dans l'économie nationale...).
Le néolibéralisme parfait n'existe pas, de toute façon : même les pays les plus ouvertement néolibéraux comme les USA trichent avec les règles, par exemple en subventionnant certains pans de leur économie (l'agriculture) ou en mettant au point des dispositifs pour qu'une partie des ressources publiques partent dans les poches privées (
*tousse* le CICE chez nous *tousse*).
Comme le disent les économistes hétérodoxes : le vrai néolibéralisme, tout le monde le veut chez les autres... mais absolument pas chez soi.
Bref : si le futur du néolibéralisme est incertain, je suis en revanche convaincu que le capitalisme a encore de beaux jours devant lui. Et connaissant la nature humaine, je pense que les grands de ce monde continueront à tirer sur le pis de la vache tant qu'ils n'en auront pas extrait l'ultime dernière goutte de lait ; et ils n'accepteront de le lâcher que lorsque la vache sera raide morte, desséchée comme une momie.
Metronomia, citant Cravatte, a écrit:
À nouveau, l’approche fourre-tout de l’effondrement dépolitise la question écologique appelant, dans un élan de prétendue « lucidité », à faire le deuil de choses inévitables et de choses évitables. S’agit-il de faire le deuil des services publics tout en continuant à payer des impôts, d’un climat tempéré, de la majorité des espèces vivantes, de « nos » proches, de la moitié la plus pauvre ou la plus riche de l’humanité en premier lieu, du « confort » d’un système de santé équitable ou à deux vitesses...?
Disons qu'il y a un peu de tout cela.
D'un côté : oui, il va falloir vraisemblablement faire le deuil de certaines choses. Oui, un monde restreint en terme d'énergie va nous obliger à faire des arbitrages cruels : on ne pourra peut-être pas conserver une éducation de qualité pour tous, tout en ayant à côté une médecine qui pousse jusqu'au bout de leur vie des personnes âgées qui ont cessé d'être productives pour la société.
En bout de chaîne, on se heurte forcément à des questions économiques et énergétiques : qui paye les enseignants ou les soignants ? Comment se déplacent-ils ? Si la nourriture est produite à main d'homme, elle coûte infiniment plus chère, donc qui a les moyens pour entretenir une bouche à nourrir supplémentaire ? Etc... Jancovici explique tout cela bien mieux que moi dans
Dormez tranquilles jusqu'en 2100.
Et de l'autre, le rationnement énergétique ne veut pas dire qu'on doit tout accepter (surtout quand ça sert la soupe au Capital...). Et il faudra se battre pour conserver certaines choses qui peuvent être aisément remplacées par des succédanés low-tech et peu gourmands en ressources (le service postal, par exemple), ou pour lesquelles on décide collectivement de mettre le paquet parce qu'on considère que c'est primordial à la société.
Metronomia, citant Cravatte, a écrit:
Comment les collapsos différencient-ils le deuil du pétrole abondant de l’acceptation de mesures injustifiées ? Ils ne le précisent pas, or c’est là tout l’enjeu.
Je n'ai pas grand chose à dire, à part : « oui ».
Metronomia a écrit:
Mais j'en viens au fait : le point le plus douloureux à lire est probablement celui sur les dérives réactionnaires du discours effondrologue.
De mon expérience, le milieu de la collapso est principalement peuplé de gauchistes (peut-être à cause du profil moyen des gens qui y sont sensibilisés : en général, ils arrivent aux questions d'effondrement en passant par la transition écologique ou la décroissance). Mais il est évident qu'il y a des passerelles avec les milieux d'extrême droite via le survivalisme, qui est un peu « le côté obscur » de la collapsologie (le côté lumineux serait l'effondrement convivialiste proposé par Servigne et Stevens).
Que le discours effondrologue prête à des dérives réactionnaires, c'est relativement normal car certaines des perspectives qu'il offre sont proprement terrifiantes. Si on prend au sérieux les prévisions du modèle World3, on est conduit à accepter que quoi qu'il arrive, quoi qu'on fasse, un effondrement global va
nécessairement entraîner la disparition d'une part conséquente de l'humanité (plus d'1/3 de la population mondiale, nous dit-on). Ce qui ne se fera pas sans heurts ni désordre. Ayant acté cela, on peut se demander : que faire pour être individuellement et collectivement du côté des « gagnants » plutôt que de celui des « perdants » ?
La paix — relative — offerte par la civilisation thermo-industrielle nous a peut-être fait perdre de vue que historiquement, les nations et les peuples ont rarement eu des relations fraternelles entre eux et que la norme était plutôt la compétition violente (en particulier dans les périodes de troubles où les ressources sont rares).
Ce n'est pas la vision des choses que j'ai envie de promouvoir, ni un avenir dans lequel j'ai envie de m'engager... mais je n'ai objectivement rien à dire aux gens qui tirent ces conclusions des données actuelles sur l'effondrement. Je ne peux pas démontrer rationnellement qu'ils ont tort. Seuls les descendants de l'humanité dans 200 ans sauront bien, eux, qui avait raison au final.
Metronomia a écrit:
L'auteur étant de toute évidence anti-nucléaire (et donc virulent à l'égard de Jancovici), je me suis demandée si cela faisait partie des passages qui t'ont gêné (et si oui, pourquoi).
Cela ne m'a pas dérangé outre mesure... parce que c'est très habituel chez les écolos anti-nucléaires (
) mais dire que Jancovici est « pro-nucléaire » est un résumé très grossier d'une réflexion beaucoup plus complexe.
Tenter une résumance de la pensée fulgurante et spiritique de Janco me paraît impossible, mais grosso-modo Jancovici part du principe que le nucléaire à moyen terme est un moindre mal s'il permet de garantir un apport énergétique convenable à la France durant la difficile période de décroissance qui s'annonce.
Notre pays est assez mal loti en matière de ressources naturelles énergétiques (on a très peu de gros court d'eau de montagne pour faire de l'hydraulique, peu de soleil et pas des masses de vent sauf en offshore) et il faut de tout façon conserver des énergies non-renouvelables dans le pool énergétique pour continuer à alimenter le réseau quand il fait nuit ou que le vent ne souffle pas (la joie des énergies intermittentes...).
Le nucléaire présente en outre l'intérêt d'avoir un ratio [production de GES/kW produit] absolument imbattable, et ce
même en prenant en compte l'intégralité du cycle de vie d'une centrale (construction, extraction de l'uranium et démantèlement compris.... voir
cette vidéo très intéressante sur le sujet pour ceux qui se posent la question...). Dans un contexte de réchauffement climatique, c'est à prendre en compte car les autres énergies (charbon ou gaz) sont toutes carbonées et très polluantes.
Autre avantage du nucléaire : on peut faire une centrale nucléaire low-tech, avec des dispositifs de contrôle analogiques, ce qui est impossible avec les éoliennes ou les panneaux solaires nécessitant systématiquement de l'électronique.
Après, il y a toujours :
- la question des déchets.... mais je le rejoins sur le fait qu'on peut les enterrer très profond dans une couche géologique stable et laisser la nature faire son oeuvre (on fait pareil avec tous nos autres déchets, souvent dans des conditions déplorables qui entraînent un vrai risque de pollution... et personne chez les écolos ne bouge un cil).
- et le spectre de l'incident nucléaire... mais Jancovici considère que l'impact d'un tel incident est négligeable tant en terme de vies humaines que d'environnement, et que c'est un moindre mal si cela permet d'éviter une guerre civile entraînée par une pénurie énergétique.
Voilà pourquoi Janco considère que l'on devra sortir du nucléaire sur le long terme, mais qu'à brève échéance, c'est une corde très utile à notre arc énergétique et que nous serions bien mal avisés de vouloir fermer toutes les centrales au plus vite. N'étant pas moi-même un grand spécialiste du nucléaire, j'ai tendance à souscrire à son point de vue, qui est le plus rationnel et le mieux documenté que j'ai pu trouver sur le sujet.
Metronomia a écrit:
Même question à propos du contrôle démographique: est-ce là que tu as décelé des hommes de paille qui t'ont déplu?
Oui : les néo-malthusiens (dont j'avoue partager l'opinion) n'ont que très rarement tendance à invoquer l'exemple de la Chine ou à plaider pour le seul recours à des mesures coercitives légales pour réduire par la force la démographie.
Tous ceux que j'ai pu lire ou entendre reconnaissent qu'il est également indispensable d'agir sur l'émancipation des femmes, de rendre facilement accessibles les moyens de contraception, et de mettre en place des systèmes de retraite pour que les personnes âgées puissent vivre sans être dépendantes de leurs progéniture.