Chimère a écrit:
Honnêtement, je ne vois pas comment on peut espérer que la société changera d'elle-même, ou même qu'un changement d'organisation sociale aura un quelconque effet, si chacun et chacune, ou disons une certaine "masse critique", ne changeait pas intérieurement...
Je retourne l'idée : je ne vois pas comment on peut espérer que les gens "changent intérieurement" spontanément, sans avoir préalablement reçus l'éducation ou la sensibilisation qui va bien. Et pour mettre en place cette éducation/sensibilisation, il faut une organisation sociale dédiée.
La vaste majorité des grands changements de société ont été impulsés par la lutte d'une minorité motivée, qu'il s'agisse du droit de vote ou de l'émancipation des femmes, de la reconnaissance de l'homosexualité, ou des divers acquis sociaux du 20ème siècle.
Même Gandhi que tu cites n'est arrivé à obtenir ses victoires que parce qu'il était suivi par un certain nombre de partisans enthousiasmés par sa doctrine de désobéissance civile par la non-violence, et parce qu'il avait réussi à convaincre une masse de travailleurs pauvres qu'ils devaient s'organiser contre les oppressions économiques et sociales dont ils étaient victimes. Gandhi tout seul, sans cette foule d'activistes anonymes dont on a tendance à a oublier l'importance, n'aurait jamais été bien loin.
La stratégie du « on travaille sur nous intérieurement pour, en temps et en heure, faire masse et changer le paradigme de la société », c'est grosso-modo la stratégie du colibri de Pierre Rabhi et on voit très bien que ça ne marche pas. Ou alors, lorsque ça marche, c'est horriblement long : c'est grosso-modo ce qui s'est passé vis-à-vis de l'abolition de l'esclavage en Occident, et ce fut un processus chaotique qui a quasiment pris 500 ans.
Pire : pendant le temps qu'on aura été occupé à atteindre l'illumination spirituelle, les structures de pouvoir auront eu le temps de continuer leur petit train-train, rien n'aura changé ou tout ce qui est important pour nous aura été défait.
Je suis convaincu que pour impulser un changement, il faut réinvestir la vie politique, le plus facile étant sûrement de le faire à un niveau local. Et il y a plein de façons de procéder : aller interpeler les élus sur les sujets qui semblent important, manifester, participer à une association... Qu'importe la façon (chacune a ses défauts et ses qualités), mais il faut s'exprimer.
Alors, oui, c'est sûr que c'est pénible d'aller se frotter à ses semblables (en bon introverti individualiste, je suis bien placé pour le savoir). Mais si on ne le fait pas, il ne faut pas s'attendre à ce que le gouvernement aille tendre spontanément l'oreille.
Pochel a écrit:
Attention avec Gandhi, hein ! N'oublie pas qu'il était très raciste, et qu'il avait considéré l'alliance avec le troisième Reich
Je n'arrive pas à savoir si c'est ironique ou pas, mais je n'ai jamais lu nul part que Gandhi avait recherché une alliance avec l'Axe ou le 3ème Reich. Il a bien envoyé quelques courriers à Hitler pour essayer de le convaincre d'arrêter la guerre, mais sans jamais obtenir de réponses en retour et ça n'a bien entendu pas changé grand chose...
EDIT : Damnation, avec tous ces messages qui s'éditent dans tous les sens, je passe à côté de plein de réponses !
Metronomia a écrit:
Est-ce la peur de voir des hordes de gens déraisonner/devenir "zinzins" ou "idiots" après avoir entendu un tel récit?
Pas vraiment.
Comme je l'ai dit, je trouve surtout cela très révélateur du fait que, contrairement à ce qu'on pourrait penser, la rationalité n'est pas une valeur cardinale de nos sociétés occidentales post-modernes.
Après, oui, subjectivement, ça me chagrine un peu. Pas au point de me mettre de mauvaise humeur ou d'envoyer un courrier de réclamation à la rédaction de FranceCul (je l'ai déjà fait, mais pas pour cette raison
). Ça m'embête pour deux raisons principales :
- pour le deux poids, deux mesures expliqués plus haut. On ne trouverait pas normal que la radio diffuse sans remise en contexte le témoignage d'un catholique racontant comment il a eu une épiphanie un jour et Jésus Christ est venu lui parler. De la même façon, beaucoup de dents grinceraient si au cours d'un interview sur un sujet complètement différent, un musulman expliquait librement que sa conversion lui était venu un soir alors qu'il avait été possédé par un djinn, et qu'il avait réalisé que le contenu du Coran était vrai sur toute la ligne. Entendre ce genre de chose sur une radio de grande écoute me semble très improbable.
Par contre, un gonze qui t'annonce à brûle-pourpoint qu'il a pris de l'ayahuasca et que cela lui a permis d'accéder à des plans supérieurs d'existence et de rencontrer l'esprit de Grand Coyote, ça passe crème. C'est une bonne illustration du fait que
quand on est face à un truc exotique, l'esprit critique saute complètement... et ça m'agace. Surtout sur le service public.
- je pense que ce genre de récit n'est pas complètement innocent, car il participe à alimenter le "fond diffus culturel", c'est-à-dire les vieux clichés et les vagues certitudes qu'on a sur tous les sujets qu'on ne connaît pas très bien. On a tellement représenté les Gaulois avec des casques à cornes (quand bien même c'est une pure invention sans réalité historique) dans les BDs et les films que maintenant, si tu demandes à un Français moyen de te décrire un Gaulois, il te parlera du casque à cornes.
C'est pareil avec l'ayahuasca : je l'entends systématiquement décrit comme un truc génial qui te fait vivre une expérience mystique et introspective, qui joue avec les âmes et ouvre les volets de la perception, mais jamais personne ne rappelle les risques psychiques (bien réels) liés à son usage. Ni ne mentionne le commerce touristique lucratif à l'intention des toubabs en manque de repères qui s'est mis en place depuis 50 ans en Amazonie. A force de répéter toujours les mêmes choses, ça devient une sorte de réalité pour beaucoup de gens... et ça m'embête. Surtout sur le service public.
Note que je ne sais pas trop quoi proposer pour résoudre ce souci. La censure n'est pas envisageable, c'est toujours la pire des choses à faire. Diffuser un rappel (« l'abus d'ayahuasca est dangereux pour la santé, à consommer avec modération ») ne me semble guère plus efficace.
Metronomia a écrit:
Regarde un peu toutes ces pincettes que je prends pour t'énoncer toute ma subjectivité. C'est vraiment ça que tu veux?
Ce n'était pas du tout le but... mais c'est quand même un petit drôle à lire...