Ar Soner a écrit:
Ach, Métrotte, tu as posté tellement de messages intéressants ces derniers jours... et j'ai tellement de peu de temps pour y répondre...
Si tu trouves le temps de répondre à un moment ou un autre, j'en serai ravie, bien sûr. Mais savoir que ça a pu susciter de l'intérêt à un moment ou un autre, c'est déjà chouette (je suis en plus bien consciente que tout le monde n'a pas mon temps et mon rythme de vie : je poste régulièrement sur tout ce qui me stimule et me passe par la tête, mais la suite ne m'appartient plus et c'est tant mieux).
Citer:
Le sujet que tu soulèves est en fait un grand classique de l'incompréhension entre zététiciens et militants féministes, anti-racistes ou intersectionnels au sens large.
J'en ai aussi l'impression. C'était un peu le sens de mon message. Je trouve que c'est un cas d'école ou,
a minima, une illustration assez nette de ce dont on parle souvent ici.
Ar So a écrit:
Et c'est un principe qui, quelque part, relève du bon sens... voire de l'humanisme. S'il n'y a pas de preuves permettant de démontrer la culpabilité d'un accusé, et que le seul élément à charge est un unique témoignage (potentiellement biaisé ou subjectif, voire même inventé de toute pièce : personne n'est dans la tête de la victime pour savoir ce qu'il s'est réellement passé), alors on considère que le risque qu'a la justice de se tromper dans son verdict est trop élevé. On ne détruit pas la vie de quelqu'un, sans preuves et sur la base d'une simple dénonciation. Ou comme le dit l'adage : il vaut mieux avoir un coupable en liberté qu'un innocent en prison... même s'il s'agit d'un violeur potentiel.
Bien sûr. Mon propos n'était (surtout pas) de dire que la justice doit condamner à tour de bras sur la seule base des témoignages. Mais alors pas du tout. Je disais simplement que :
Citer:
en l'espèce, la justice ne peut/doit pas se contenter de cela. Toutefois, si la justice ne le peut pas, je peux moi, en revanche et en tant que citoyenne, décider en conscience d'accorder du crédit à celles et ceux qui se disent victimes. Je peux décider que je suis prête à accueillir et à croire ces témoignages car, en le faisant, je fais un choix politique: celui de prendre au sérieux la parole qui se libère.
Ar So a écrit:
En outre, ce n'est pas comme s'il y avait eu des précédents, avec des personnes injustement accusées par un ensemble de témoignages et écrouées alors qu'elles étaient innocentes (je pense l'affaire d'Outreau par exemple...).
C'est un argument qui revient assez souvent et je comprends bien pourquoi. Il est évident que je ne souhaite pas non plus que l'on mette des tas d'innoncents en prison. En revanche, si l'on se fie à la littérature féministe et à celle sur les violences sexuelles, on constate que ce scénario est en réalité statistiquement très marginal. Ce sont bien plus souvent, à l'inverse, les victimes (réelles) qui se retrouvent en écrasante majorité condamnées (j'emploie le mot à dessein) à voir leur agresseur/violeur couler des jours heureux sans être jamais inquiété, le type pouvant très souvent récidiver à l'envi.
Ici, les féministes te répondraient donc qu'elles aimeraient que celles et ceux qui donnent cet argument aient les mêmes égards et inquiétudes pour les victimes. Je sais très bien que c'est ton cas, mais, ce n'est pas forcément celui de tous.
Par ailleurs, tu cites l'exemple d'Outreau, mais je ne sais pas si tu sais que le verdict d'aquittement a justement été plusieurs fois remis en cause, et notamment par les victimes (aujourd'hui devenue grandes) elles-mêmes. Mon avis (tout personnel et qui n'engage que moi) est que certains accusés ont très certainement été condamnés à tort et c'est terrible (je veux dire,
vraiment). Mais à l'inverse, je pense que quelques-uns d'entre eux n'étaient probablement pas les blanches colombes que l'on nous a présentées suite à l'acquittement. Je ne donnerai pas de noms sur ce forum: ce serait parfaitement déplacé. Mais je t'invite à aller fouiller sur Google si cela t'intéresse: tu devrais trouver sans peine quelques faits un peu dérangeants sortis depuis dans la presse.
Du coup, la question est forcément épineuse, puisqu'en l'absence de preuves, soit on condamne un innocent, soit on condamne une victime à devoir vivre avec l'idée que son agresseur s'en tirera toujours. Pire, dans certains cas, on condamne peut-être la victime à la mort(*). Le dilemme est donc cornélien. (*J'aimerais dire qu'il s'agit d'une exagération, mais même pas: c'est ce que montrait encore récemment
la mort tragique de Julie Douib, par exemple).
Bref, je ne prétends absolument pas avoir la solution idéale (et si c'était le cas, crois bien que je foncerais la partager tout de suite!). Mais, une chose est sûre me concernant, inviter les gens à se méfier d'emblée des témoignages ne me semble pas être la meilleure option politique qui soit.
Citer:
En revanche — et c'est très important, cette nécessité de la justice à procéder avec une extrême prudence a aussi pour pendant l'impératif de prendre la victime au sérieux, de la traiter avec les égards qui lui sont dus et d'accueillir avec bienveillance son témoignage.
Le fait de ne pas pouvoir trancher sur la culpabilité de l'accusé faute d'éléments probants n'implique absolument pas que le victime ait menti. En d'autres termes : la présomption d'innocence pour l'accusé ne s'oppose pas au respect de la victime... Mais c'est une nuance intellectuelle qui n'a pas l'air évidente pour beaucoup de monde.
Absolument.
Ar So a écrit:
Que Leaving Neverland décide de donner intégralement la parole aux victimes, pas de soucis, c'est son droit le plus essentiel... mais cela entraîne nécessairement un biais (ne sont présentés que les éléments allant dans le sens de la thèse défendue par les réalisateurs). Et il n'est pas forcément sûr que le grand public soit conscient du fait qu'il se trouve devant un documentaire avec un parti-pris marqué, et pas un Faîtes Entrer L'Accusé.
Je comprends l'argument. Disons que, dans ce cas, un préambule ne serait peut-être pas de trop, en guise d'introduction à de tels documentaires. Quelque chose qui dirait en substance que "la production et la réalisation ont fait le choix conscient de donner la parole aux victimes - et à elles seules - et que chacun est ensuite libre de se forger une opinion sur la base des éléments qui sont communiqués dans le documentaire et partout ailleurs". Je ne sais pas si cette simple précaution suffirait, mais ce serait peut-être déjà mieux que rien.
Citer:
Tu me diras sûrement que ce parti-pris est évident et que le spectateur moyen n'est pas assez bête pour prendre
Leaving Neverland pour une véritable enquête. Je te répondrai que la majorité des écolos pensent s'être fait une opinion éclairée sur le glyphosate ou les OGMs à partir de la seule vision du documentaire
Le Monde selon Monsanto de M-M Robin...
Tu commences à me connaître et donc, oui, c'est un peu ce que je m'apprêtais à répondre. Mais l'argument qui tu donnes ensuite me convainc que ce n'est pas une réponse satisfaisante.
Là non plus, je n'ai pas de réponse ou de solution toute faite.
Je peux juste te parler ici de ce que j'ai ressenti
moi, pendant le visionnage de
Leaving Neverland. J'ai eu l'impression tout le long que le discours des victimes était ultra-crédible, cela - étonnamment - bien plus en raison de ce qu'elles ne disaient pas qu'en raison de ce qu'elles disaient. Je m'explique: pas une seule fois les deux victimes n'ont parlé de "viol". Pas une seule fois elles n'ont accusé MJ d'être un tortionnaire agressif ou un monstre. Elles ont "juste" décrit des actes, cela de manière très chirugicale (il semble d'ailleurs que ce dernier point soit une constante des témoignages de victimes de violences sexuelles - au point que l'on pourrait penser que c'est
presque une preuve en soi).
Le récit de ces adultes était franchement glaçant, parce qu'il montrait particulièrement bien l'emprise et la manipulation: ces gamins adoraient et idôlatraient MJ. Ils passaient tout leur temps avec lui - cela avec l'assentiment des parents - qui aimaient eux-même beaucoup MJ. Les victimes n'hésitent d'ailleurs pas à dire qu'elles étaient
amoureuses de lui, et qu'en un sens
elles le sont toujours aujourd'hui. Pour résumer: les victimes ne se sentaient pas forcément victimes sur le coup et, aujourd'hui encore, on sent que tout ça n'est pas complètement clair pour elles. Au point que les deux peuvent continuer à sourire parfois à la simple évocation de la star décédée.
Cela n'engage que moi, mais ce sont là, de mon point-de-vue, des éléments qui ne trichent pas.
M'est avis qu'un témoignage monté de toute pièce aurait probablement sonné très différement (j'imagine par exemple que le pédophile aurait sûrement été plus facilement décrit comme un monstre et un tortionnaire, car c'est ce à quoi on s'attendrait intuitivement).
Du coup, difficile, me concernant, de répondre à l'injonction de Mr. Sam de "ne pas se faire un avis".
J'ajoute que l'on peut aussi s'étonner du fait que seuls des petits garçons aient rapportés des viols et des attouchements. Jamais des petites filles n'ont - à ma connaissance - fait état de cela concernant MJ. Je trouve que c'est là un autre indice de la possible véracité des témoignages.
Ar So a écrit:
Je ne suis pas dans la tête de Mr. Sam, mais peut-être réagit-il à cette obsession de « pureté militante » qu'on voit se développer depuis quelques années via les réseaux sociaux : il faudrait interdire les livres de Victor Hugo dans les lycées et collèges car celui-ci a un jour tenu un discours franchement raciste ; Jules Ferry était pro-colonial, il faut donc débaptiser les rues et institutions nommées en son honneur ; etc...
Je sais que tu ne me vises pas ici, mais je précise au cas ou pour les autres: ce n'est évidemment pas ce que je demande. Je trouverais ahurissant que l'on brûle les livres de Hugo ou de Céline et je ne demande pas non plus à ce que l'on fasse disparaître tous les albums de Betrand Cantat de la surface de la planète, quand bien même je n'ai absolument aucune estime pour ce sinistre personnage.
En revanche, à titre personnel, je peux par exemple décider en mon âme et conscience de ne plus
jamais verser un seul un rond à Cantat pour son oeuvre. Je peux décider de ne pas surtout pas acheter un magazine dont il ferait la Une, etc. Ce n'est probablement pas grand chose, mais si tout le monde se mettait à en faire de même, je me dis que ça permettrait qu'il ne soit pas autant mis en lumière et ce serait déjà une petite victoire pour les familles des victimes (je dis "des" victimes car tout porte à croire que le comportement de Cantat n'ait pas été étranger au suicide de Krisztina Rády...)
Citer:
J'ignore la raison pour laquelle les producteurs des Simpsons ont décidé de ne plus diffuser l'épisode dans lequel Michael Jackson réalisait un doublage... mais s'il s'agit d'une auto-censure résultant de la peur anticipée d'une réaction hostile du public, je trouve cela franchement dommage. Ne serait-ce que parce que l'épisode était plutôt amusant (je vois très bien duquel il s'agit

), et savoir que Michael Jackson ait pu être un pédophile ne change pas grand chose à l'appréciation que j'en ai...
De ce que j'en sais,
l'un des producteurs s'est dit que MJ avait peut-être utilisé sciemment la bonne publicité de ce dessin animé pour amadouer les jeunes garçons et ça l'aurait indigné. L'argument ne tient - il est vrai - qu'à moitié la route puisque, MJ étant mort, il n'est plus en mesure d'amadouer grand monde à cette heure... Mais si c'est un choix strictement personnel du producteur, un choix fait par colère ou dégoût, je redis que ça ne me dérange pas plus que cela. Je refuserais résolument, en revanche, qu'on l'y contraigne.
Je reconnais toutefois que l'argument de la pression sociale se situe quelque part entre ces deux possibilités et qu'il n'est pas évident au bout du compte de savoir ce qui aura vraiment motivé ce choix. Bref, là non plus, je n'ai pas de réponse définitive ou toute faite. Je résumerais donc comme suit:
si* le producteur s'est senti libre, c'est l'essentiel de mon point de vue (et c'est ce qu'il faudrait savoir, en réalité, mais c'est impossible, je suis bien d'accord...).
Maintenant, de là à parler d'une "société malade" comme le fait Mr. Sam... j'avoue que non. Pour moi, c'est en fait le signe heureux que la société se questionne enfin sur des sujets qui auraient dû alerter bien avant l'opinion publique. Et je ne peux m'empêcher de me dire que s'il y avait beaucoup moins d'agressions sexuelles, alors il n'y aurait tout simplement pas autant de résistance en face, et ces sujets ne créeraient pas autant l'émoi qu'actuellement. Ce problème n'en serait donc plus vraiment un, ou en tout cas, pas avec cette ampleur. Il faut donc peut être "juste" le voir comme un passage nécessaire dans un premier temps, et qui invite au questionnement et à la réflexion?