Un jeu que j'ai pu tester tout récemment et qui m'a vraiment beaucoup, beaucoup plu (j'y ai joué deux fois à la suite et ai récupéré l'OST, un signe qui ne trompe pas
), raison pour laquelle il a droit à son propre topic.
Blasphemous est un jeu de plateforme/combat de type Metroidvania, en pixel-art, sorti tout récemment (2019) et développé par le studio espagnol The Game Kitchen. La mécanique et la jouabilité sont tout à fait classiques mais bien foutues pour autant que je puisse en juger (je confesse que ce style de jeu vidéo n'est pas ce à quoi je joue habituellement), de même que la difficulté que j'ai trouvé correcte (le jeu est dur, mais pas à s'en taper la tête contre les murs comme d'autres Metroidvania peuvent l'être).
Bref, on est globalement sur du classique ; ce qui fait sortir
Blasphemous du lot, c'est son univers.
L'histoire se passe dans le pays imaginaire de Cvstodia, grosso-modo basé sur l'Espagne de la Renaissance. Cvstodia a été frappée 100 ans auparavant par un évènement mystérieux, le Miracle : les péchés spirituels des habitants ont commencé à se manifester physiquement, entraînant tout un tas de phénomènes surnaturels et changeant une partie d'entre eux en monstres.
Le joueur incarne le Pénitent, un moine-guerrier (il porte une armure et un
capirote de métal sur le visage, la grande classe) qui est le dernier membre de la Fraternité de la Tristesse Silencieuse, une congrégation décimée par la théocratie au pouvoir à Cvstodia. Armé d'une épée surnaturelle nommée Mea Culpa (oui), Le Pénitent part mettre les choses en ordre et accomplir sa propre pénitence : il devra subir les épreuves des Trois Humiliations et atteindre le Berceau de l'Affliction, une relique à la source du Miracle qui lui permettra de mettre un terme au pouvoir religieux corrompu.
https://www.youtube.com/watch?v=T3SxYMu5qGYVous le savez, la religion catholique peut être franchement bizarre — et je ne dis pas juste cela parce qu'elle incite à insulter les arbres qui ne donnent pas de fruits en hiver.
C'est quelque chose qu'on a un peu perdu de vue, surtout depuis Vatican II et son côté très 'pipou-œcuménique', mais le catholicisme de la fin Moyen-Age jusqu'au début de l'époque moderne était sacrément gratiné, entre ses aspects parfois franchement morbides (la vénération des reliques, les
saints des catacombes, et je ne parle pas du principal symbole de la religion qui consiste en un homme squelettique et agonisant cloué à un instrument torture), son rapport à la douleur que je qualifierais pudiquement de
particulier (pénitence, mortifications) et son obsession maladive de la pureté.
Vous pensez qu'il serait très difficile de baser un jeu vidéo sur cette facette trash du catholicisme ? Les gens de The Game Kitchen ont relevé le défi !
L'intégralité des éléments du jeu : les décors, les PNJ, les ennemis, etc... sont directement inspirés du catholicisme ou de son iconographie (et plus particulièrement des traditions autour de
la Semaine Sainte à Séville, mais pas que).
Les points de sauvegarde sont ainsi des prie-dieu devant lesquels le Pénitent vient s'agenouiller ; les points de vie sont redonnés en se maculant le visage avec le contenu de flasques biliaires, que l'on remplit dans des fontaines miraculeuses laissant couler du sang ; les capacités du Pénitent peuvent être personnalisées en collectant des perles pour son chapelet ; lorsque le joueur meurt, il n'a pas droit à un
'game over' mais à un
'exemplaris excomunicationis' ; etc...
Un certain nombre de quêtes annexes gravitent autour de la recherche de reliques (genre les poumons en argent de Saint Théodule ou le cœur momifié de Sainte Thérèse) ; quant aux lieux visités, on a droit à du 'Pont des Trois Calvaires' et autre 'Couvent de Notre-Dame au Visage Brûlé'. Le ton est donné.
Les boss sont bien entendu à l'avenant :
Je m'arrête ici car la liste de toutes les inspirations et allusions au catholicisme serait encore très longue ; les développeurs ont fait un remarquable boulot de documentation et j'avoue avoir découvert pas mal de choses en allant chercher la source de tel monument ou tel personnage du jeu.
Et un si beau travail fait plaisir :
- d'une part, parce que s'il y a déjà une foultitude de jeux vidéos qui se passent dans un contexte culturel japonais, inuit, scandinave... il y en a peu qui osent s'aventurer du côté des traditions religieuses européennes ;
- d'autre part, dans le jeu vidéo, le Moyen-Age et la Renaissance ne sont souvent qu'un prétexte à avoir un décors sympathique mais la reconstitution de ces périodes ne tient pas la route deux secondes dès qu'on gratte un peu le vernis superficiel. J'ai pu jouer dernièrement à A Plague Tale : Innocence, un jeu se passant durant l'épidémie de peste de 1348 ; bien qu'essayant de présenter un Moyen-Age réaliste, le jeu se vautre complètement en tombant dans les pires clichés du genre (la légende noire de l'Inquisition, l'alchimie en discipline secrète interdite par l'Eglise, etc).
A l'inverse, Blasphemous ne prétend pas être une reconstitution de la Renaissance et de sa vie religieuse, mais je trouve qu'il se retrouve finalement à être fidèle à l'esprit qui a animé le catholicisme lors de la Contre-Réforme.
Bref. Ajoutez à cela que la musique est très bien (une sorte de dark ambient avec des sonorités de métal, de flamenco et de baroque), que le jeu est BEAU et que les PNJ s'expriment (en anglais) dans un langage volontairement très désuet (
« Prithee taketh nay affront in my not looking at thy visage, for we at each moment lean forth, so as not to divert our eyes from the path. Such is our olde precept » )...
... Si vous aimez ce type de jeu vidéo, ou que vous vous intéressez comme moi à tout ce que la catholicisme peut avoir de chelou : foncez !
EDIT : J'allais oublier de le mentionner car c'est devenu un peu anodin de nos jours (alors que ça ne l'est pas du tout, en fait...) : le jeu est bien violent. Le graphisme en pixel-art gomme un peu la violence, mais le Pénitent lacère, émonde et étripe à tout va autour de lui ; ce n'est donc pas (logiquement) un jeu vidéo à mettre entre toutes les mains.