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Les dangers potentiels du petit écran
LE MONDE | 17.03.10 | 10h06 •
Il faut d'emblée saluer le "fair-play" des responsables de France 2, qui proposent sur leur antenne une programmation spéciale mettant en garde les téléspectateurs... contre les dangers potentiels du petit écran. Ceux d'entre eux qui auront vu, mercredi 17 mars à 20 h 40, Le Jeu de la mort, le premier volet de cette programmation, ne regarderont plus la télévision comme avant.
Ce film, écrit et produit par Christophe Nick (Yami 2) et réalisé par Thomas Bornot, Gilles Amado et Alain-Michel Blanc, est un documentaire coup de poing. Il met en scène, de manière spectaculaire, une expérience visant à révéler le pouvoir de la télévision sur le cerveau des téléspectateurs.
Prolongé par un débat, à partir de 22 heures, il est suivi, le lendemain à 22 h 45, d'un second documentaire, de Jean-Robert Viallet et Christophe Nick, Le Temps de cerveau disponible, qui pointe les dérives de la télé française depuis les années 1980 jusqu'à nos jours.
S'inspirant des travaux de l'Américain Stanley Milgram, chercheur en psychologie sociale qui, dans les années 1960, avait conçu un dispositif pour analyser les mécanismes de l'obéissance d'un individu face à une autorité jugée légitime, Christophe Nick (à qui l'on doit notamment la série documentaire "Chroniques de la violence ordinaire") l'a transposé à l'univers télévisuel pour mesurer son emprise sur les esprits. Il a imaginé un jeu télévisé, sorte d'avatar du "Maillon faible", dont les candidats seraient amenés à torturer un des leurs (lire Le Monde Magazine du 13 mars).
Quatre-vingts personnes ont été recrutées pour participer à l'enregistrement d'un numéro pilote de "La Zone Xtrême", un jeu de mémoire, présenté par l'animatrice de France 2 Tania Young, où les candidats sanctionnent les erreurs de leur adversaire par une décharge électrique de puissance croissante. Aucun n'a refusé le principe même du jeu. Neuf seulement ont arrêté aux premiers gémissements du joueur, sept ont renoncé avant son évanouissement. Au total, 81 % des candidats ont été jusqu'au bout, envoyant des décharges de 460 volts au "joueur". Celui-ci était un comédien, les décharges étaient factices, mais les candidats l'ignoraient. Ils pensaient participer à un vrai jeu télévisé.
Christophe Nick et les psychosociologues (dont les recherches visent à mieux comprendre le fonctionnement de l'homme en société) qui l'ont accompagné dans ce projet ont été terrifiés par ce résultat. Les responsables de France 2 également. "La télévision peut être un instrument redoutable. On n'avait pas imaginé que ce pouvait être jusqu'à ce point-là, avoue Patricia Boutinard-Rouelle, responsable des documentaires du groupe public. Ce que montre Le Jeu de la mort sur la télévision et sur l'âme humaine fait froid dans le dos."
Pour accompagner ce programme, France 2 a ouvert sur son site un espace où des spécialistes livrent leurs réactions au Jeu de la mort. L'écrivain et journaliste Jean-Claude Guillebaud estime ainsi que cette expérience est plus évocatrice que bien des discours : "Il y a un constat, une vérification expérimentale et scientifique de quelque chose que chacun de nous pressent depuis longtemps, explique l'auteur de La Confusion des valeurs (Desclée de Brouwer, 2009). On pensait bien que la télévision mondialisée est engagée dans un processus de course à l'audience qui fait que la transgression est sans arrêt reculée. Au bout du compte, on se dit que l'ultime étape de la captation de l'audience, c'est la mort en direct."
"L'ŒUVRE" DE LA TÉLÉ-RÉALITÉ
"On voit que le dispositif d'autorité mis en place dans le cadre de cette expérience où la télévision sert de référent a une efficacité redoutable sur le principe de soumission à l'autorité appliquée aux participants", relève pour sa part le sociologue Jean-Louis Missika, qui ajoute que, selon lui, cette expérience n'aurait pas pu être menée il y a dix ans.
Depuis, la télé-réalité a fait son "œuvre", transgressant tous les tabous, comme le montre efficacement le deuxième volet de cette programmation spéciale, Le Temps de cerveau disponible. Exhibitionnisme, humiliation, sadisme, dénonciation, obscénité, cupidité, voyeurisme, pornographie ont progressivement contaminé quantité de programmes, dans le sillage de "Loft Story" (M6), qui, en 2001, a ouvert la voie, sur les chaînes françaises, à la télé-réalité.
On peut émettre des réserves sur les discours et théories relayés par ces deux films. Souligner que plusieurs des participants au Jeu de la mort ont affirmé, après coup, être allés jusqu'au bout parce qu'ils savaient que "ce n'était qu'un jeu", qu'ils agissaient forcément "pour de faux". Cette hypothèse est peu exploitée par les auteurs ; la présence d'un public, les encourageant ou les huant en cas d'hésitation, est également insuffisamment prise en compte. Cependant, malgré le côté radical des conclusions énoncées, Jusqu'où va la télé ? a le mérite de secouer le téléspectateur, dont le cerveau devrait, après cette émission, être un peu moins facilement disponible, pour reprendre une formule de l'ex PDG de TF1, Patrick le Lay.
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"Le Jeu de la mort", mercredi 17 mars à 20 h 40 et "Le Temps de cerveau disponible", jeudi 18 à 22 h 45 sur France 2.
Le livre L'Expérience extrême, de Christophe Nick et Michel Eltchaninoff (Don Quichotte, 2010) prolonge la réflexion.
Philosophie Magazine, partenaire de l'émission, lui consacre un dossier dans son numéro de mars.
Sylvie Kerviel
http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/article/2010/03/17/zone-xtreme-ou-les-dangers-potentiels-du-petit-ecran_1318784_3238.htmlCe soir, France 2 diffusera une vraie-fausse émission sous forme de documentaire, inspirée par l'expérience de Stanley Milgran transposée à la télévision...
Personnellement, je ne pense pas regarder... En fait, même si c'est "pour de faux", ça me met mal à l'aise, ce genre de truc... Mais je pense cela dit qu'il y a matière à débat sur le sujet, et ceux qui l'auront regardée pourront dire ce qu'ils en ont pensé...
