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Science décalée : l'étonnante histoire des contes, multimillénaire, retracée par la phylogénie
Marie-Céline Ray
Publié le 06/10/2018
La Belle et la Bête aurait environ 4.000 ans, Jacques et le Haricot magique, 5.000 et la légende de Faust 6.000 ans : les contes célèbres, toujours populaires et stars des dessins animés, auraient traversé les millénaires et les cultures, d'après une étude phylogénétique, parue en 2016.
Il était une fois, il y a très très très longtemps... C'est peut-être ainsi que devraient commencer certains contes populaires. Au 19e siècle, Wilhelm Grimm pensait déjà que beaucoup d'histoires qu'il avait popularisées étaient plus anciennes que les langues indo-européennes. D'autres les voyaient plus récentes, car il leur semblait improbable que ces histoires se soient transmises sur autant de générations sans support écrit. Mais une recherche suggère qu'un certain nombre de contes existaient dans les traditions orales indo-européennes bien avant qu'ils soient écrits, donnant ainsi raison à Grimm.
En utilisant des méthodes de phylogénétique habituellement employées par les biologistes de l'évolution, pour décrire les liens entre les espèces, Jamshid Tehrani, un anthropologue de l'université de Durham, et Sara Graca Da Silva de la nouvelle université de Lisbonne, ont étudié les liens entre des histoires du monde entier. Leur étude est paru dans Royal Society Open Science. L'objectif était de trouver les origines des contes.
Les contes se sont transmis à la fois verticalement dans les populations ancestrales, des parents aux enfants, mais aussi horizontalement, entre sociétés contemporaines. Dans leur article, les chercheurs montrent que les traditions orales des contes trouvent probablement leur origine bien avant l'émergence de la littérature, comme l'explique Sara Graca Da Silva. « Certaines de ces histoires remontent beaucoup plus loin que les premiers enregistrements littéraires, et bien plus loin que la mythologie classique - certaines versions de ces histoires apparaissent dans des textes latins et grecs -, mais nos résultats suggèrent qu'ils sont beaucoup plus vieux que cela. »
Des histoires racontées dans une langue indo-européenne disparue
Par exemple, des contes comme La Belle et la Bête ou Le nain Tracassin, populaire en Allemagne, remonteraient à plusieurs milliers d'années, même avant l'apparition des langues comme l'anglais ou le français. Ces deux contes ont été écrits aux 17e et 18e siècles et ont des équivalents dans la mythologie grecque et romaine. Mais la reconstruction de l'arbre des contes montre qu'ils sont encore plus anciens.
Le nain Tracassin est un des contes de Grimm et possède de nombreuses variantes. Au Royaume-Uni, il s'appelle Tom Tit Tot et, en France, il est aussi connu sous le nom d'Outroupistache. Tracassin apparaît dans Shrek 4 où il est l'un des principaux personnages. La Belle et la Bête a été écrit pour la première fois par l'auteure française Gabrielle-Suzanne Barbot de Villeneuve et sa version a ensuite été reprise par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Ces contes auraient en réalité environ 4.000 ans.
Jacques et le Haricot magique, quant à lui, trouve ses racines dans un groupe d'histoires regroupées autour du thème d'un garçon qui vole le trésor d'un ogre. Cette histoire aurait environ 5.000 ans. Plus vieux encore : Le Forgeron et le diable, qui raconte l'histoire d'un forgeron qui vend son âme en faisant un pacte avec le diable pour acquérir des pouvoirs surnaturels. Ce thème faustien remonterait à 6.000 ans, c'est-à-dire l'âge de bronze.
Pour Jamshid Tehrani, « nous estimons qu'il est assez remarquable que ces histoires aient survécu sans être écrites. Elles étaient racontées même avant que l'anglais, le français et l'italien existent. Elles ont probablement été dites dans une langue indo-européenne éteinte ».
https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/enfant-science-decalee-etonnante-histoire-contes-multimillenaire-retracee-phylogenie-61336/Les contes ont souvent une image de "contes pour enfants", déclassés par rapport aux mythes antiques... Alors qu'ils sont probablement aussi anciens. Et qu'ils ont autant à nous dire sur notre histoire qu'elle soit purement historique, mais aussi psychique et émotionnelle (j'aime bien l'idée d'interpréter avec des tas de prismes différents... et au final de toujours trouver une forme de "message" derrière toutes ces interprétations).
Et c'est effectivement fascinant, et lourd de sens, que des "histoires" traversent ainsi les âges, de bouches à oreilles, pour parvenir jusqu'à nous...
Un petit exemple...
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Le petit chaperon rouge est bien européen...
Publié le 17/11/2013
Les méthodes utilisées pour classer les êtres vivants ne servent pas qu'aux biologistes. Pour preuve, un anthropologue britannique les a exploitées pour retrouver l'origine du petit chaperon rouge ! Le débat est clos, il trouve ses racines en Europe, dans le conte Le loup et les sept chevreaux.
Reconstruire l'évolution d'un conte, c'est « faire le travail d'un biologiste qui montre par exemple que les humains et les grands singes partagent un ancêtre commun, mais ont évolué dans des espèces distinctes », explique l'anthropologue britannique Jamie Tehrani, de l'université de Durham, au Royaume-Uni. Son étude, publiée mercredi dans la revue scientifique américaine Plos One, retrace la genèse et le cheminement dans le temps et les lieux de contes et croyances populaires pour apporter un nouvel éclairage sur les mouvements de populations dans l'histoire humaine.
Cette étude révèle que Le loup et les sept chevreaux remonte probablement au Ier siècle de l'ère chrétienne, et qu'il a donné naissance 1.000 ans plus tard à une variante devenue Le petit chaperon rouge. Le loup et les sept chevreaux, populaire en Europe et au Proche-Orient, est l'histoire d'un loup déguisé en « mère chèvre » pour dévorer ses petits. Dans Le petit chaperon rouge, le loup mange une petite fille après avoir pris l'apparence de sa grand-mère.
Le petit chaperon rouge figurait dans les ouvrages des frères Grimm publiés au XIXe siècle. Cette version était basée sur celle écrite au XVIIe siècle par le français Charles Perrault. Celui-ci s'était inspiré d'un conte plus ancien transmis par la tradition orale en France et en Autriche. Il en existe de nombreuses variantes en Afrique et en Asie, comme Le tigre grand-mère au Japon, en Chine et en Corée.
Un conte transmit oralement en Europe, puis en Chine
Pour retrouver les origines du conte, Jamie Tehrani a soumis 58 variantes à une analyse phylogénétique, une méthode mathématique utilisée par les biologistes pour la classification des êtres vivants qui permet d'établir le degré de parenté entre les espèces et de comprendre leur évolution. L'analyse s'est concentrée sur 72 scénarios en fonction de différents protagonistes comme le loup, l'ogre, le tigre ou d'autres créatures et les ruses utilisées pour berner les victimes, ainsi que le sort de ces dernières.
Cette étude a aussi permis de démentir une théorie répandue selon laquelle la version la plus ancienne du Petit chaperon rouge était née dans la tradition orale chinoise avant de se répandre en Occident par la route de la soie. « Ma recherche montre l'opposé, à savoir que la version chinoise est dérivée des traditions orales européennes, affirme le chercheur. Les Chinois ont en fait mélangé Le petit chaperon rouge, Le loup et les sept chevreaux et des contes du folklore local pour créer une nouvelle version hybride. »