Fichtre, vous n'avez pas été inactifs en 2 jours !
Chimère a écrit:
ça me fait penser que même en France, dans la dénomination de certains lieux tels que "bois de la Dame", "Rocher de la Dame" etc... il y a souvent un mélange entre la païenne présence de fées, d'une Fée en particulier, laquelle Fée peut parfaitement découler d'ailleurs d'un culte primitif lié à une divinité féminine, et la catholique Vierge Marie.
Le souci du "Dame" dans la toponymie, c'est qu'il est très polysémique : il peut faire allusion à une fée ou à la Vierge comme tu le dis, mais aussi à une dame blanche, à un sainte locale quelconque, ou à une femme de la noblesse qui aurait marqué le lieu-dit pour une raison X ou Y.
Chimère a écrit:
Là comme ça, je pense qu'on peut creuser du côté des Vierges Noires, qu'on trouve un peu partout, même surtout en Auvergne / Centre-Sud Ouest... il y a plusieurs auteurs qui rapprochent ce culte particulier de la Vierge à des résurgences d'un culte d'une divinité liée à la Terre nourricière, ou à Isis (à laquelle l'iconographie de la Vierge emprunterait beaucoup).
Pour le coup, je me méfie beaucoup des interprétations modernes d'auteurs plus ou moins inspirés, qui font des liens avec d'hypothétiques religions préhistoriques au sujet desquelles on ne sait presque rien et qu'on réduit souvent à une série de clichés simplistes (la déesse-mère, le dieu cornu, etc).
Et surtout, on oublie qu'un bon paquet des choses qui nous paraissent bizarres dans le catholicisme sont souvent assez récentes, datant du XVème ou du XVIème siècle : ce sont des produits de la Contre-réforme, qui a raffirmé les dogmes catholiques en développant tout une symbolique très riche et en saturant l'iconographie.
Que l'iconographie (et possiblement certaines caractéristiques) de la Vierge proviennent d'Isis, qui avait un culte très développé à Rome (au point qu'on peut considérer qu'à la période de l'Empire, elle est au moins autant une déesse romaine qu'égyptienne), c'est à peu près certain. Les représentations d'Isis allaitant Horus notamment sont trop similaires au motif de la Vierge à l'enfant pour que ce ne soit qu'un pur hasard.
Pour les vierges noires, en revanche, c'est moins évident. J'avais creusé le truc, et il y a peu de sources qui attestent de leur existence vraiment ancienne (même pour des vierges noires très connues comme celles de Rocamadour). Sans oublier que "vierge noire" est un peu un terme fourre-tout rassemblant plein de situations différentes... dont un paquet de statues qui sont noires pour des raisons très prosaïques : vieillissement du bois ou de l'ancienne peinture au plomb, disparition de la peinture polychrome d'origine, sculpture de la statue dans un bois exotique luxueux type ébène, etc. Il y a même des statues qui étaient originellement polychrome, mais furent repeintes en noir pour une raison inconnue à la Renaissance (c'est par exemple le cas de Notre Dame de Bon Espoir de l'église Notre Dame de Dijon), ce qui laisse penser qu'il s'agit d'un phénomène plus récent, peut-être lié à la Contre-Réforme dont je parlais ci-dessus.
En résumé, j'ai l'impression que leur supposée connexion à une culture païenne pré-chrétienne relève essentiellement de la spéculation.
DragoMath a écrit:
Et que dire des dates des fêtes chrétiennes ? N'est-il pas avéré qu'elles ont toutes repris des fêtes païennes ?
patto a écrit:
Mais certainement pas le christianisme, qui a depuis les origines lutté de toutes ses forces pour éliminer toute forme de paganisme ou de croyance autre que la foi évangélique.
En ce qui concerne les fêtes chrétiennes, il est habituel d'entendre ou de lire qu'elles se sont appropriées les dates des fêtes païennes de façon à remplacer et lutter plus efficacement contre les paganismes, mais je pense que les choses sont infiniment plus complexes que cela.
Le christianisme s'est répandu dans l'Ouest de l'Europe à partir de Rome ; entre le IIème et le IVème siècle, les chrétiens européens étaient majoritairement des citoyens romains. Ils avaient donc un héritage culturel païen et il est normal qu'ils aient chercher à incorporer d'une façon ou d'une autre leurs fêtes traditionnelles au sein de leur nouvelle foi.... exactement de la même façon, en somme, que les tous premiers chrétiens du 1er siècles (qui étaient de culture juive) ont trouvé naturel de récupérer certaines fêtes judaïques (Pessah qui est devenu la Pâques chrétienne, Shevouot la Pentecôte, etc).
C'est comme ça qu'on s'est retrouvé avec une naissance du Christ placée sur le solstice d'hiver, moment où avaient lieu les Saturnales ; une annonciation à Marie lors de l'équinoxe de printemps, sur l'Hilaria romaine, etc.
D'ailleurs, on constate les Pères Fondateurs de l'Eglise mentionnent déjà l'existence de la plupart ces fêtes romano-chrétiennes au IIIème et IV siècle ap. J-C, et ils vont même parfois s'écharper (surtout pour des raisons théologiques) sur la date qui convient le mieux pour les célébrer. Or à ce moment là, le christianisme reste encore une religion minoritaire au sein de Rome, et il n'a pas encore entrepris son œuvre d'évangélisation des païens de l'Europe.
Lorsque les missionnaires iront se frotter aux barbares un ou deux siècles plus tard, les fêtes chrétiennes que nous connaissons sont pour la plupart déjà en place. Seule une micro-poignée vont être inventées après coup, ou être déplacées à un jour différent pour des raisons pratiques (comme la Toussaint, que les chrétiens de Rome fêtaient initialement au mois de Mai).
Bref, je ne peux que plussoyer Chimère lorsqu'elle parle de syncrétisme, et du christianisme occidental comme une sorte de "pagano-christianisme". Ça me semble tout à fait approprié.
patto a écrit:
Et je ne parlerai même pas du rôle qu'a joué autrefois l'Eglise dans la répression sanglante contre les sorcières et toutes les formes de (soi-disant) sorcellerie...quand il ne s'agissait parfois que d'herboristerie traditionnelle !
C'est un vieux cliché. L'Inquisition était beaucoup plus occupée à débusquer les hérétiques (musulmans, juifs ou protestants selon le lieu et l'époque) que les sorcières, dont la chasse relevait plutôt du règlement de compte politique ou de l'hystérie collective, dans une Europe traversée par les épidémies, les guerres et une crise spirituelle générale.
En dehors de quelques misogynes illuminés notoires (comme Heinrich Kramer, le rédacteur du célèbre
Malleus malleficarum), l'Eglise catholique romaine se montrait très prudente voire franchement sceptique vis à vis de la question de la sorcellerie et c'étaient plutôt les pouvoirs locaux séculiers qui organisaient les procès expéditifs pour juger les sorcières...
... Sorcières qui, si elles étaient effectivement majoritairement des femmes, provenaient de catégories sociales variées. Les hommes et les enfants n'ont pas échappé à l'accusation de sorcellerie non plus (et à la condamnation à mort) ; localement, c'était parfois même essentiellement des hommes qui étaient mis en cause (comme en Normandie, de mémoire). Bref, les grandes vagues de chasses aux sorcières de l'époque moderne sont très complexes, et ne peuvent pas être réduites à une question de lutte du pouvoir religieux contre "les femmes célibataires qui pratiquaient l'herboristerie" (comme l'affirment parfois certaines écoféministes).