Ar Soner a écrit:
Malgré tout, et tu l'auras sûrement compris à la lecture de mes messages, je ne lui en tiendrai pas plus rigueur que cela et mon point de vue sur MPC restera globalement le même avant et après "l'affaire Hold Up" (c'est un choix personnel, hein, pas une injonction que tout le monde devrait suivre).
Là-dessus, je suis d'accord avec toi. Il n'était pas question, dans mon esprit, d'en tenir rigueur par-dessus tout et pour toujours à MPC. Ce n'est pas comme ça que j'envisage les choses. Je répondais juste à la base à ton message qui disait que MPC avait été manipulée et je te faisais remarquer que non, que ses propos n'ont pas été travestis, qu'elle en avait déjà tenu des similaires par le passé, etc. J'en veux à MPC de ce fait précis (i. e. ses interventions outrancières sur la Shoah), parce qu'elle s'est vraiment fourvoyée et que ça a des conséquences sur la sociologie en tant que discipline, mais ça n'impacte pas pour moi le reste de son travail. C'est un peu comme les Montagnier ou les Benveniste. Personne n'est parfait, ni fait d'un seul bloc. On peut être très compétent par moments et se fourvoyer à d'autres, ainsi va la vie.
Et au contraire, ça me rassure de lire que tout le monde ne mettra pas MPC au ban après ça. J'espère qu'elles et ils seront nombreux à penser comme toi.
Ar Soner a écrit:
En revanche, je me réserve le droit de me tromper très circonspect vis à vis des personnes qui se comportent en gardiens du temple (et j'ai surtout l'impression d'avoir vu de cette dernière catégorie sur les réseaux sociaux !).
D'accord, mais du coup, c'est difficile pour moi de savoir de quoi tu parles et à quoi tu penses précisément puisque tu ne sources pas/ne donne pas de liens. Du coup, je te réponds depuis le début par des idées un peu abstraites là où tu sembles avoir quant à toi des choses très précises en tête. Bref, difficile de se comprendre dans ces conditions.
Et puis ce n'est d'après moi pas la même chose de dire qu'on est "circonspect" (ce que je peux tout à fait comprendre) et de dire que ceux qui s'offusquent sont "absolument ridicules". Ca n'a pas, à mes yeux en tout cas, du tout la même portée. Pour le dire très clairement: quand tu te dis circonspect, je suis tout à fait prête à essayer de me mettre à ta place pour comprendre ton point-de-vue. Tandis que quand tu dis que ceux qui s'offusquent sont "absolument ridicules", je me sens en quelque sorte visée car je fais partie de ces autres et suis d'accord avec leurs arguments. Je me sens donc jugée (même si ce n'était probablement pas du tout ton intention à l'origine) et ce ne sont pas des bases saines pour avoir une discussion fructueuse. En tout cas, personnellement, ce genre de choses à tendance à me mettre sur la défensive. Surtout quand on me fait comprendre dans la même discussion que je manque de vocabulaire (ce qui relève de la violence symbolique. Oui, je sais, j'ai l'air d'employer de grands mots, mais je le pense vraiment et je préfère le dire pour crever l'abcès et faire en sorte que la discussion reparte sur de meilleures bases).
Citer:
je pense, est de laisser d'autres parler à ma place ; aussi, je te conseille la lecture de cet article :
Une mémoire saturée ? de Anne Grynberg, dans Les Cahiers de la ShoahJe n'ai lu que la partie que tu recommandes sur les questions fondamentales et j'avoue avoir été assez mal à l'aise.
Mais pour commencer avec les choses avec lesquelles je pourrais être d'accord, il y a ça:
Citer:
la singularité est le propre de tout événement historique, aucun n’étant identique à un autre. Il ne saurait s’agir évidemment de tracer un signe égal entre ces événements, ni de considérer qu’ils sont en tout point comparables, voire superposables, mais bien plutôt de mettre l’histoire de la Shoah en perspective, dans le cadre d’analyses comparatives – ce qui n’a rien à voir avec une quelconque tentative de banalisation sur fond d’amalgame.
Ca pourrait me sembler assez juste dans l'absolu. Après, j'aurais besoin que ce soit illustré d'exemples et que le propos soit plus concret. Parce que si je saisis intellectuellement le sens de ce qui est dit, je demande quand même à voir ce que veut dire concrètement pour l'auteur "mettre en perspective" et "faire des analyses comparatives". Là, pour moi, en l'état, c'est trop abstrait pour que je puisse me faire un avis définitif. (Mais sûrement que tout cela est développé dans les bouquins de Novick?)
Ensuite, concernant le fait que "Auschwitz ne peut être ni expliqué ni montré", là encore, je rejoins Novick qui s'oppose à cette idée. Comme lui, je crois au contraire fermement qu'il faut montrer et faire tout son possible pour expliquer l'inexplicable car c'est, d'après moi, de nature à faire en sorte que ça ne se reproduise pas.
Sur mes désaccords maintenant:
Très vite, il y des choses qui me mettent mal à l'aise, des trucs qui sont décrits comme antagonistes alors que ça me semble juste être de gros raccourcis de l'auteur. Par exemple, quand il écrit:
Citer:
Tout en relevant le paradoxe qu’il y a à s’exprimer sans cesse sur le sujet depuis plus de cinquante ans et à avoir impulsé la création du musée de Washington après avoir tenu de tels propos, il soutient que cela revient à dire au reste du monde : « Votre catastrophe, contrairement à la nôtre, est ordinaire ; contrairement à la nôtre, elle est compréhensible ; et contrairement à la nôtre, elle est représentable » (p. 17).
J'ai envie de dire: mais qu'est-ce que c'est que cette course à l'indécence? On dirait presque le discours de quelqu'un qui serait jaloux que d'autres aient vécu des choses abominables que lui n'a pas vécues... J'avoue que ça me dépasse totalement. Si un survivant de l'Holocauste venait me raconter son histoire, il ne me viendrait pas une seconde à l'esprit de faire jouer les comparaisons et de lui répondre que "Certes, ce qu'il a vécu est très dur, mais que d'autres expériences le sont tout autant". Tu imagines un peu la violence du propos? Et à quel point c'est déconnecté/déplacé? Parce que c'est exactement ce qui est fait ici.
Car il me semble évident que dire que la Shoah n'a pas d'équivalent et qu'il n'existe rien de comparable dans l'histoire (à cette échelle en tout cas), n'enlève strictement rien aux autres expériences (et encore une fois, j'aimerais savoir à quoi pense l'auteur précisément quand il parle des "autres expériences") ni ne revient à minimiser ou banaliser ces mêmes expériences. Il s'agit juste de dire que ce sont des choses différentes, d'une nature autre, et qui répondent parfois à une logique plus clairement identifiable immédiatement (mais pas pour autant que ce sont des expériences plus acceptables ou moins graves, hein!).
Et quand je lis ensuite que Novick parle de "la « compétition » entre groupes ethniques pour la « médaille d’or aux Olympiades de la victimisation(*) » ou encore de "servilité des juifs américains"... je suis désolée mais là, j'y vois quant à moi clairement des propos qui flirtent avec l'extrême droite (pour préciser: je ne dis pas que Novick est d'extrême droite mais qu'il en utilise en tout cas certains termes favoris). Je ne suis pas cultivée, ne connais pas Novick et je manque très clairement de billes pour argumenter solidement, mais une chose est sûre: il y a des manières d'être au monde, aux autres et aux choses très différentes. Or, les termes employés ici me font clairement dire que celle de Novick n'est pas
du tout ma tasse de thé et que je n'ai
aucune envie de m'approcher (humainement/intellectuellement) de près ou de loin de ces façons d'être, de parler, de penser.
*(Ce terme de "victimisation" a le don de me filer des boutons et sonne pour moi comme une grosse alerte rouge en général. Et en particulier, ici, l'auteur — qui a l'air obsédé par la banalisation des expériences autres que la Shoah — n'a pourtant pas peur, à l'évidence, de banaliser, lui, les expériences vécues par les minorités en parlant de "victimisation". Personnellement, comme déjà dit, et contrairement à Novick, parler du caractère extraordinaire et unique de la Shoah ne m'empêche
absolument pas d'accorder un intérêt humain et politique plein et entier aux expériences vécues par les différents "groupes ethniques" ni de m'indigner de ce qu'ils endurent. On voit donc clairement ici que celui qui banalise et hiérachise, c'est Novick en fait, mais qu'il essaie de cacher ça sous un vernis à la logique supposément implacable alors qu'en fait, on comprend qu'il n'est juste pas capable de penser et d'envisager les choses de manière autre que verticale).