Je viens de regarder une émission sur le triangle des Bermudes, diffusée sur une chaîne maudite : RMC. Pour vous faire une idée de ce que j'ai pu ressentir, imaginez un malade d'Alzheimer, en phase terminale. Le voyez-vous raconter en boucle la même histoire, inlassablement, de la même façon, sans aucune variation ni dans le fond ni dans la forme ? Ben ce documentaire, c'était ça. Format américain oblige, toutes les sept minutes, on redisait la même chose. Je ne vous cache pas que parmi tous les documentaires insupportables que j'ai pu regarder, celui-là tient une place toute particulière dans mon cœur.
Ah, et d'ailleurs, ce malade d'Alzheimer était aussi profondément bipolaire, ce qui n'enlève en rien à ce chef-d'œuvre.
On part de ce constat simple : le triangle des Bermudes, c'est un endroit mystérieux. De nombreux véhicules y ont disparu — notamment : le Cyclops, un navire-charbonnier reliant la Barbade aux USA, porté disparu en 1918 ; l'escadrille Machintruc, partie en patrouille de la base de Fort Lauderdale en Floride et jamais revenue ; un des gros avions envoyés à la recherche de ladite patrouille ; ainsi que le "Wichtchtcraft" (le narrateur avait un peu de difficultés avec ce nom), navire de plaisance disparu en mer dans les années 80.
Mais que est-ce que pourquoi tous ces véhicules disparaissent-ils ?? Selon certains, ce serait dû aux OVNI. Pour d'autres, aux OSNI : des soucoupes-volantes sous-marines. Pour d'autres encore, ce serait dû à des "triangles maudits", « répartis sur tous les océans de la planète » (une carte accompagne ces dires, qui montre des triangles au milieu du Sahara et au Nord de l'Inde). L'hypothèse la plus étrange serait celle d'un "brouillard éléctronique", qui brouillerait les appareils. Apparaissent alors Jean-Cessna et Marie-Avion, deux pilotes amateurs, connus pour avoir survécu au triangle des Bermudes. On aura largement le temps de s'attacher à leurs personnages, car leur récit, émission-Alzheimer oblige, apparaîtra bien sept ou huit fois à l'écran. Marie-Avion a vu un brouillard noir recouvrir son avion, "comme une couverture", ce qui lui a détraqué tous ses appareils. Jean-Cessna, encore plus fort, est rentré dans un vortex temporel qui tournait très vite autour de son appareil tandis qu'une tempête sortie de nulle part l'environnait. Les nuées étaient striées de bande temporelles qui laissaient entrevoir d'autres dimensions. (Jean-Cessna semblait être très informé sur ce qu'il avait vu). Au final, il sera rendu à Miami avec vingt minutes d'avance sur l'horaire, ce qui est indéniablement paranormal, comme en témoigne "Giant Quasar", qui a publié (j'espère sous un nom d'auteur) un ouvrage au sujet du triangle des Bermudes, dans lequel les explications rationnelles sont soigneusement exclues.
Intervient alors une reconstitution historique montrant Christophe Colomb dans sa Santa Maria, relookée pour l'occasion en navire de ligne du début XIXè battant pavillon américain. (L'émission n'avait visiblement aucun consultant en histoire). Colomb, « qui avait déjà du mal à convaincre ses marins qu'ils ne tomberaient pas du bord du monde », constate que le Nord de sa boussole se décale, et entrevoit des OVNI dans les cieux. On se rend alors chez Paul Hutchinson, une sorte de croisement entre un vieux Rolling Stone et un clodo californien, et accessoirement le découvreur de "l'effet Hutchinson", qui fait apparaître des brouillards électroniques, léviter des objets divers, et fondre le métal. Pour être sûr que les téléspectateurs prendront bien la mesure de ces révélations, Marie-Avion et Jean-Cessna racontent encore une fois leur histoire respective.
C'est le moment qu'attendait la deuxième personnalité du réalisateur pour se manifester. Exit les OVNI, le dernier quart d'heure du documentaire sera consacré à un débunking en règle de tout ce qui a été raconté depuis le début. L'effet Hutchinson ? Des foutaises, nous confirme une équipe de sémillants retraités qui recréent dans leur cave toutes ses manifestations, façon "On n'est pas que des cobayes". Christophe Colomb ? C'est normal, le pôle Nord des boussoles est magnétique, pas géographique, donc il varie. Le Cyclops ? Envoyé par le fond par une vague scélérate, un plongeur de la marine américaine a retrouvé l'épave dans les années 70. L'escadrille disparue ? Les pilotes se sont perdus ("Quand on se perd en avion, on a tôt fait d'accuser sa boussole", nous dit un sentencieux officier de marine). Faute de carburant, ils se seront abîmés en mer. L'avion envoyé en secours ? Explosé, c'était un avion connu pour exploser en vol, des pêcheurs l'ont même vu faire. Le Wichtchtcraft ? Sombré à cause d'une trombe, dispersé en mer. En dix minutes, on parle de vagues scélérates, de trombes, de dispersion des débris, de Gulf Stream. "Le coupable, c'est toujours la météo", confirme le sentencieux officier de marine.
La première personnalité du réalisateur bipolaire se réveille alors de nouveau, et alors même que tout le monde était prête à lancer le générique de fin, il se met à expliquer très vite que le triangle des Bermudes c'est trop mystérieux et que à chaque disparition ça l'est encore plus et qu'on n'aura sans doute jamais la réponse tavu c'est trop le mystère quoi mon frère jtejure. Et... fin.
_________________ « C'est une paralysie du sommeil. Ou bien un orbe. » (vieille sagesse zététique).
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