Metronomia a écrit:
Bref: la communauté sceptique fait parfois des choix étonnants dans ses têtes d'affiche et, à l'inverse, dans les chercheur-se-s qu'elle décide de pointer du doigt et ça ne reflète pas forcément la réalité du terrain, ce qui est quand même un peu embêtant quand on prétend s'en faire les porte-parole.
Que la communauté sceptique ne connaisse guère que Bronner comme sociologue, c'est regrettable (surtout vu la tendance du personnage à servir la soupe au pouvoir), je ne dis absolument pas le contraire. Regrettable mais assez logique : le zététicien moyen n'est pas typiquement issu des SHS, et il ne se penche sur la production de ces dernières que lorsqu'elle concerne directement ses champs d'intérêt (Bronner s'est fait connaître au sein du milieu sceptique via son livre sur les théories du complot).
Que la communauté sceptique étrille Lagrange, en revanche c'est plutôt attendu, vu tout ce que celui-ci a pu écrire de douteux à son sujet et qu'il lui dénie la légitimité à s'intéresser aux phénomènes paranormaux.
Et que les sociologues que tu fréquentes ne perçoivent pas cette facette discutable du travail de Lagrange ou soient OK avec celle-ci, c'est un problème distinct selon moi. En même temps (et c'est une vraie interrogation, pas de la rhétorique) : est-ce que des sociologues ont déjà enquêté sur les milieux sceptiques,
a fortiori pour y étudier autre chose que leur scientisme ou leurs liens avec les lobbies et instances de pouvoir ?..
Metronomia a écrit:
Néanmoins, j'ai quand même envie de glisser ici une référence à un article de Dalloz sorti à l'époque de la polémique Polanski et que j'avais trouvé vraiment bien. Il y est notamment rappelé que :
Citer:
Outre que la présomption d'innocence n’a jamais supposé pour exister une présomption de non-crédibilité des victimes, la présomption d’innocence est une règle qui n’a de sens que dans la sphère de l’enquête et du procès pénal.
Ce qui revient d'après moi à dire que croire une victime ne revient aucunement à bafouer la présomption d'innocence au pénal (soit là où elle prend tout son sens et a toute son importance) comme c'est pourtant souvent objecté à grands renforts de raccourcis dans les discussions à ce sujet.
Je suis plutôt d'accord avec cela. Idéalement et tant que les choses n'ont pas été éclaircies par une enquête, il faudrait arriver à accorder toute la considération qu'elle mérite à la victime présumée, tout en respectant la présomption d'innocence du coupable présumé
en même temps. Mais pour beaucoup de personnes, cela revient à demander de faire une sorte de 'grand écart' intellectuel désagréable.
Je suis moyennement convaincu par l'affirmation « la présomption d’innocence est une règle qui n’a de sens que dans la sphère de l’enquête et du procès pénal », qui semble sous-entendre que la présomption d'innocence, c'est bien pour le cadre judiciaire mais qu'on s'en fout dans la vraie vie. Personnellement, je trouve qu'appliquer ce principe hors de la sphère pénale évite de courir le risque de ruiner la vie d'une personne alors que l'enquête révèlera après coup qu'elle était innocente. Mais c'est un choix politique, là encore : dans les milieux intersectionnels, on préfère typiquement prendre ce risque par crainte d'alimenter un système qui tend à nier ou dévaloriser la parole des victimes.
Metronomia a écrit:
Pour le coup, je connais très mal le milieu négationniste mais si on prend l'exemple de Blanrue (puisque c'était l'objet de notre conversation), il était sufisamment malin pour ne pas nier totalement les faits. Il se "contentait" de les questionner en mettant par exemple en avant le fait que les chiffres n'étaient sûrement pas ceux donnés et que l'on pouvait légitimement douter du nombre de juifs exterminés.
Je ne suis pas sûr que Blanrue ait jamais été au fond de lui même un vrai bon zététicien. Il a d'abord commencé comme sceptique, puis s'est converti à l'Islam une dizaine d'années après ; il a écrit une anthologie de l'antisémitisme en France, puis est devenu antisioniste et a apporté son soutien à des auteurs négationnistes... J'ai surtout l'impression que c'est une méga-girouette, et son parcours intellectuel ressemble à la piste d'un apache qui essayerait de semer les tuniques bleues.
Metronomia a écrit:
Je pense quant à moi que c'est beaucoup plus compliqué que ça. D'abord, et à grands traits (j'ai un p'tit peu la flemme de tout détailler par écrit...

), il y a les habitus (les vêtements, les gestes, le vocabulaire employé, ou - à tout hasard - le genre de téléphone portable qu'on utilise (suivez mon regard

) qui peuvent donner tout un tas de petits indices sur d'où l'on vient et donc aussi sur ce qu'il est probable que l'on vote en conséquence
[...]
Ensuite, les choses et les gens étant toujours situés et parlant toujours "de quelque part", on ne s'en rend pas toujours compte mais il y a tout un tas d'énoncés que l'on prononce et qui n'ont pas du tout la neutralité que l'on pense.
Bien sûr, et c'est pour cette raison que j'ai écrit qu'il était possible de faire une intervention zététique dans laquelle l'inclinaison politique ne se décèlerait
*quasiment* pas. Il restera effectivement toujours quelque chose de nos opinions, puisque comme tu le dis, on part tous de quelque part.
En revanche, je considère que cela s'exerce complètement à la marge, et quand on voit sur 1 heure d'intervention la quantité très relative d'informations que peut retenir le public, je ne pense pas que le choix d'une tournure de phrase plutôt que d'une autre ait tellement d'importance que cela.
Ce phénomène de 'percolation de l'opinion politique dans le discours' n'ayant qu'un impact marginal, je considère qu'il ne justifie pas qu'on mette à la porte une personne sous le seul prétexte qu'elle n'aurait pas dans son for intérieur les opinions qu'on attendrait idéalement d'elle. Pour moi, je le répète, ce qui compte ce sont les comportements et les paroles : tant qu'ils respectent les règles fixées, c'est tout ce qui m'importe.
Metronomia a écrit:
Il existe en effet une myriade de moyens par lesquels l’idéologie d’une société se retrouve infusée dans la production scientifique de connaissance. Prenons par exemple la biologie, et plus exactement la reproduction sexuée.
Arf, cette histoire de spermatozoïdes et d'ovules qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux féministes et qui m'a valu une discussion (très) houleuse avec celle qui partage mon toit...
Je ne partage pas du tout le point de vue selon lequel cette affirmation (« un fœtus est formé par la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde ») serait l'expression d'une science insidieusement machiste. Il s'agit plutôt pour moi d'une simplification un poil caricaturale pour décrire la réalité... car ce que beaucoup de gens oublient, c'est que biologiquement, un spermatozoïde est une cellule mobile, équipée pour se déplacer (flagelle et moteur cellulaire) et qui va effectivement parcourir une distance représentant 20 000 fois sa taille, là où l'ovule est une cellule immobile (au mieux, il se laisse porter par l'aspiration des tubes utérins). Dans l'affaire, il y en a donc bien un qui est plus 'actif' que l'autre.
Mais bref, ce n'est pas le débat. Là encore et comme je le dis ci-dessus, je pense que quand la vulgarisation est bien faite (car il y a de la mauvaise vulgarisation !), ce genre de biais idéologique se limite à des petits détails soumis à interprétation. Je ne crois pas que l'affirmation sur 'le spermatozoïde etc' influence réellement les gens en appuyant sournoisement des stéréotypes sexistes ; il me semble qu'il y a des affirmations pseudo-scientifiques bien plus ouvertement sexistes et dangereuses contre lesquelles il faut clairement lutter (une partie de ce qui sort de la psychologie évolutionniste, par exemple...).
Metronomia a écrit:
J'avoue que je ne sais pas pour ne pas avoir suffisamment réfléchi à la question. Mais je suppose que ça a déjà dû être discuté pas mal de fois dans le milieu sceptique?
Je ne sais pas si cela a été discuté dans le milieu. Les féministes ne débattent pas entre elles pour savoir si telle ou telle personne mérite de se revendiquer du féminisme ou non : est féministe celle qui se revendique de ce mouvement, point. Au mieux, on peut classer la personne dans un courant de féminisme précis (féminisme radical, écoféminisme, féminisme post-colonial, etc).
C'est d'ailleurs souvent dans ce cadre-là qu'on voit apparaître des termes supposés descriptifs mais en réalité utilisés comme des insultes dépréciatives : TERF (féminisme radical), féminisme bourgeois (féminisme de 1ère génération), féminisme blanc (féminisme de 2ème génération), etc. J'attends avec impatience le moment où les zététiciens se balanceront des 'suppôts de Broch' (zététiciens de l'ancienne génération), 'Norman fait de la zététique' (youtubeurs style TeB) et autres "zététicien crypto-machiste" (Mr. Sam et Astronogeek)...
Metronomia a écrit:
Et je pense que c'est probalement parce qu'ils ont entendu les arguments du "camp d'en face" et qu'ils ont compris que cette posture n'était pas vraiment tenable. (Bon, j'ai bien saisi que ce n'est pas le point-de-vue que tu défends, mais mes paragraphes ci-dessus t'auront, eux, fait comprendre que je ne partage pas vraiment ta vision des choses).
J'aurais dû mal à te confirmer que c'est bien "le point de vue que je défends"... car je ne suis pas sûr de voir exactement de quel point de vue tu parles.
Sur la question de mêler zététique et sujets de sociétés, je suis partagé et je ne sais pas si j'ai un avis définitif sur la question.
Je trouve que la zététique se prête très bien à la critique des médias, exactement comme le fait l'association Acrimed, ou bien pour développer un recul sur les informations supposément factuelles qu'ils présentent, ou bien pour pointer du doigt leurs propres ambiguïtés (par exemple, lorsqu'un pseudo-libre penseur prétend qu'on bâillonne sa liberté d'expression, alors qu'il est invité tous les deux jours à la TV).
Sur les questions de société, c'est plus embêtant car il y aura nécessairement des tris et des arbitrages qui se feront entre des sujets 'discutables' et d'autres jugés 'non-discutables' : aborder la question de l'immigration, de la transidentité ou du sionisme avec les outils de la zététique (juste pour analyser la logique intérieure des thèses, leurs contradictions et à quel point elles collent avec les faits) consisterait en un véritable suicide social de la part du zététicien qui le ferait. Ce sont juste des sujets qu'il n'est pas possible d'aborder de façon dépassionnée. Et je ne suis pas fan du tout de cet arbitraire : pour moi, ou on peut discuter de tous les sujets sociaux, ou on ne peut pas et dans ce cas il vaut mieux ne pas commencer à rentrer dans ce jeu-là.
Les gens à qui on aura présenté les outils de la zététique sur des sujets de démonstration moins houleux (comme le paranormal) seront à même de faire ce travail-là, s'ils le souhaitent.
Metronomia a écrit:
Bah euh, oui et non. Pour bien exercer la deuxième, il me semble qu'il faut quand même nécessairement bien connaître la première. Sinon, comme en politique, ces décrochages sont la porte ouverte à toutes les dérives car il devient vite évident qu'on ne sait pas de quoi on parle.
(...) Par contre, être proche du terrain d'une manière ou d'une autre me semble indispensable (et ça peut passer par plein de moyens).
Je pense que c'est mieux, effectivement, pour prendre du recul et avoir un point de vue plus 'meta' vis à vis du travail que l'on fait en tant que vulgarisateur.
En revanche, je ne suis pas de l'avis que ce soit absolument indispensable : ça dépend déjà du niveau de vulgarisation qu'on effectue. Je ne pense pas que quelqu'un comme Jamy Gourmaud ait nécessairement besoin de connaître le fonctionnement du monde de la recherche pour parler des abeilles ou de la fonte des glaciers. Ou moi-même, lorsque je fais une intervention de zététique 'basique' sur les crop-circles ou le yéti. C'est plus utile lorsqu'on aborde des questions scientifiques pointues ou des sujets soumis à controverse.
Enfin, dans le pire des cas, ce n'est pas dramatique non plus : ça veut juste dire qu'on prend le risque de se planter ponctuellement... mais il est toujours possible de se rattraper et de profiter de ce plantage pour offrir un éclairage sur les conditions qui ont rendu possible ce plantage. Le cas du LancetGate est un bon exemple : qu'un vulgarisateur reprenne les résultats de l'étude et se vautre en beauté, c'est normal. A ce moment-là, il ne pouvait pas savoir que les données étaient bidons. En revanche, s'il est un minimum compétent, il reconnaîtra cette erreur et proposera à son public une explication du système vérolé derrière l'étude pipeauté du Lancet. Mr. Sam lui s'est contenté d'effacer la vidéo, de faire un vague
mea culpa et de dire qu'il allait repenser le format de ses émissions 'coup de gueule'... ce qui montre qu'il n'est pas un très bon vulgarisateur.
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En fait, je vois tout-à-fait ce que tu veux dire (à propos de la production de l'information scientifique qui n'est pas neutre, mais potentiellement biaisée puisque produite par des humains) ; j'approuve l'idée qu'il soit utile d'avoir un recul épistémologique vis à vis de la Science et de la façon dont elle faite... mais je ne vois pas vraiment ce que tu attends de plus de la part des zététiciens. Je veux dire, les
vrais zététiciens au sens noble du terme, ceux qui sont ouverts d'esprit et prêts à discuter des alternatives (car il y en a, même s'ils sont un peu en dehors du star-system).
Si tu attends de nous* une posture publique hyper prudente comme celle que tes collègues sociologues proposent (je pense notamment au document que ton chef avait écrit sur les risques sanitaires liés aux ondes électromagnétiques), je crois te l'avoir déjà dit : c'est juste intenable dans la pratique. C'est complètement inaudible par le grand public.
J'ai pu le constater à plusieurs reprises, mais un discours trop nuancé et complexe (surtout sur une thématique sensible) n'est pas compris par la plupart des gens. Ça les perturbe plus qu'autre chose : eux veulent une réponse claire et précise, et nous on leur apporte un « oui mais non, en fait on est pas complètement sûrs, partez du principe que ». Ça les laisse profondément insatisfait, et le risque est réel qu'ils se tournent vers le type d'à côté qui lui a des explications simplissime et qui frappent l'esprit (« les ondes électromagnétiques provoquent le cancer, c'est prouvé par la géobiologie »).
On peut introduire de la nuance dans son discours, il
faut même le faire, mais jusqu'à un certain point au delà duquel on perd une partie de ses interlocuteurs. Or, la posture très 'méta' que tu sembles nous demander se situe bien au delà de ce point.
Une vulgarisation, quelle qu'elle soit, est toujours une simplification d'une réalité plus complexe ; introduire de l'incertitude épistémologique dans de la vulgarisation ne marche pas bien.
* Oui, bon, hein, excuse moi mais je m'inclue dans ces 'vrais zététiciens'.

Metronomia a écrit:
D'accord, mais je ne saisis pas bien la portée de l'argument? Est-ce parce que c'est dans la continuité des choses qu'il ne faudrait pas en parler/s'en indigner/lutter contre?
Non, bien sûr. Mais je pense qu'il est souvent plus facile de s'indigner, ou de susciter l'indignation avec des choses plus symboliques : pas mal de webzététiciens ont ainsi fortement réagi à l'annonce de la suppression future de la Miviludes (allant parfois jusqu'à affirmer qu'il s'agissait d'un complot des anthroposophe qui avaient infiltré le gouvernement

), alors que cela fait une dizaine d'années qu'on réduit les moyens de cette dernière au point qu'elle n'est plus capable de faire grand chose à part pondre un rapport annuel. Et encore, même pas tous les ans...
Metronomia a écrit:
Mais aussi, pour reprendre l'exemple que tu donnes: tu vois bien ce que le fait de prioriser en entamant un combat contre les arguments pseudo-scientifiques à l'égard de l'homéopathie peut générer dans l'espace public.
[...]
Mais on voit bien (pour en avoir parlé souvent parlé ici) que ça devient pour beaucoup le prétexte à bannir complètement l'homéopathie avec, pour le coup, des arguments politiques, ou bien qui ne font pas sens, ou bien qui appauvrissent franchement le débat de société que cela devrait entrainer.
Certains zététiciens ont pu dire ou écrire cela, effectivement, et ainsi transformer un débat scientifique en un débat politique. Et je trouve que c'est un problème, et une déformation de ce que la zététique est supposée être à l'origine.
Je ne vois pas trop ce qu'il y a à dire de plus ?..