Metronomia a écrit:
Que connais-tu exactement de son boulot pour réduire près de 30 ans de travail à l'étiquette "pas fiable"? (Note que c'est une vraie question: je n'ai pas la moindre idée de ce que tu connais ou pas de ses travaux). Car Lagrange a écrit des trucs très estimables et intéressants (encore une fois, "estimables" et "intéressants" sont à entendre au sens qualitatif mais ne veulent aucunement dire que ça ne peut pas être discuté ou qu'il faut absolument être d'accord avec tout).
J'ai lu ou survolé 2 ou 3 de ses bouquins sur le phénomène OVNI, ainsi que divers articles de sa part sur des sujets divers en lien avec le paranormal.
Et en fait, c'est très bien que tu reparles de Bronner, car les reproches que je fais à Lagrange sont grosso-modo du même ordre que ceux que tu lui fais (le côté 'je brosse dans le sens du poil le pouvoir en place' en moins).
On peut dire que Lagrange est à Ar Soner, ce que Bronner à Métronomia (à la différence prêt, cela dit, que je ne porte pas particulièrement Bronner dans mon coeur
non plus).
La démarche de Lagrange est biaisée dès le départ. En fait, c'est simple : lorsque je tombe sur un article de lui, je regarde le sujet abordé, et je sais déjà quelle thèse il va défendre... parce que c'est grosso-modo toujours la même, qu'il se contente de décliner à l'envie. Et cette thèse est parfois tellement forcée qu'elle en devient dans certaines de ses productions une explication
ad hoc, sans vraie démonstration logique : on est forcée de croire que l'explication donnée par Lagrange est la bonne, parce que... ben, parce que c'est lui qui le dit. Son article sur les cryptides siréniens de Billebaude (que je connaissais déjà) en est un bon exemple : à partir des mêmes éléments et témoignages historiques que ceux retranscrits par le sociologue, j'arrive personnellement à une interprétation complètement différente (mais pas moins valide) de l'affaire.
Enfin, si je ne demande pas de Lagrange une neutralité axiologique parfaite (qui n'existe pas, chez aucun scientifique, comme tu le rappelles), en revanche j'exige de la fiabilité. Je n'ai pas de soucis à lire les travaux des Pinçon-Charlot sur la grande bourgeoisie car si je ne crois pas en leur objectivité pleine et entière sur ce sujet-là (vu leur orientation politique assumée très à gauche), en revanche je les pense suffisamment honnêtes pour ne pas forcer les traits et dresser un portrait et une analyse fiable de ces 1%.
Ce n'est manifestement pas le cas de Lagrange qui (dans presque tout l'échantillon de son travail que j'ai pu consulter) parle des sceptiques tout en ne les connaissant quasiment pas, multiplie les hommes de pailles (« les sceptiques disent que...» : ben non, mon coco, je n'ai jamais lu ou entendu ça, cite tes sources !), caricature ou résume des positions complexes variables selon les zététiciens à une unique vérité très simple... Ses préférences personnelles influencent manifestement son travail, ce qui est particulièrement embêtant puisque son statut de sociologue suppose
a priori une forme de recul vis à vis de ce type de prise de position (raison pour laquelle j'avais écrit qu'il n'est pas 'neutre' dans mon message, même si le terme n'est effectivement pas le plus approprié).
Metronomia a écrit:
Personnellement, je pense qu'il y a en effet dans la communauté zet un discours sur la preuve et les témoignages qui pose problème. Exemple tout con pour illustrer: si on s'en tient à la notion de témoignage "vendue" par les zets, on peut dire grosso modo qu'un "témoignage n'est pas fiable" (car nos sens nous trompent, etc.). Or, on voit ce que ce type de vulgarisation peut donner quand elle est (affreusement mal) appliquée à tout un tas de sujets de société (par exemple: le viol. Ou, comme l'évoque Cespedes, la Shoah).
Il est certain que la zététique incite à avoir un rapport de distanciation vis à vis du témoignage, un principe qui peut être délétère si on le pousse à l'extrême (de la même façon que le « on accorde 100% de crédit au moindre témoignage » des militants intersectionnels peut être lui aussi délétère, je pense qu'on en conviendra).
Cela étant dit, et je ne te l'apprend probablement pas, cette idée que « un témoignage n'est pas fiable » est déjà une simplification caricaturale d'un principe plus complexe (de la même façon que réduire le rasoir d'Occam a un laconique « l'hypothèse la plus simple est la meilleure » trahit une grossière incompréhension de cet outil). Un bon zététicien devrait pondérer ce principe par de nombreux paramètres : le caractère plus ou moins incroyable du témoignage, le nombre de témoins, etc. Disqualifier d'un revers de la main et par principe un groupe de 100 personnes témoignant avoir vu une soucoupe volante dans le ciel serait un peu léger.
Et pour la Shoah, d'ailleurs, ce principe ne tient plus du tout : outre le fait qu'on dispose d'une montagne de témoignages venant de sources d'un peu tous les bords (rescapés, anciens nazis, soldats alliés ayant participé à la libération des camps), il y a également une quantité non moins importante de preuves matérielles attestant de la réalité de la solution finale (documents administratifs, correspondances entre dignitaires du 3ème Reich... sans même parler des camps eux-mêmes). Aucun zététicien un tant soit peu sérieux ne peut être négationniste, ou alors il se voile complètement la face.
Metronomia a écrit:
Quand j'ai par exemple vu ton intervention zet, [...] je pense qu'il est à peu près évident qu'il y avait plein de choses qui pouvaient donner des indices sur ta couleur politique (alors pas en détails, c'est sûr, juste dans les grandes lignes, mais bon).
[...]
Mais je nuance encore une fois en disant qu'en pratique, ça ne marche pas vraiment comme ça. On ne peut pas constamment compartimenter. Ça me semble presque impossible. Du coup, je le redis, je ne vois pas comment une expression publique régulière pourrait ne pas poser problème à un moment si l'un des protagonistes a des idées bien puantes: ça finit forcément par se voir (et par sentir, en l'occurence...).
Je crois qu'il est quand même possible de bien cacher son jeu : j'ai des membres de ma famille qui sont 'd'extrême-droite' (je mets des guillemets car c'est en réalité un peu plus complexe que cela : disons qu'ils ont un point de vue très conservateur sur beaucoup de sujets de société), et cette orientation est très difficile à déceler, à moins de vouloir leur tirer les vers du nez en les faisant explicitement parler de politique.
Je pense que si ce genre de personnes devait faire une intervention de zététique sur une thématique quelconque non reliée de près ou de loin à des questions de société (par exemple, les crop-circles ou les poltergeists), leur inclinaison politique ne se décèlerait quasiment pas. Pour ce qui ne reste finalement qu'une courte intervention d'une heure sur un sujet bien balisé, c'est possible (ça serait différent si ces gens devaient par exemple diriger une expérimentation ou des enquêtes auprès de témoins).
Personnellement, je suis assez détendu à l'égard de ces questions, ce qui fait que je me censure assez peu et n'hésite pas à balancer quelques petites piques si l'envie m'en prend.
Metronomia a écrit:
Oui mais justement, c'est probablement un problème par essence que n'importe qui, y compris des gens qui ne connaissent rien à la science, puissent se réclamer d'un mouvement qui la défend. Structurellement et dès la base, c'est un peu problématique qu'il n'y ait strictement rien qui puisse évaluer et valider cette prétention. Non?
Que faudrait-il faire ? Réduire la possibilité de faire de la vulgarisation zététique aux seules personnes évoluant professionnellement dans ce milieu ou détentrices d'une thèse en épistémologie ? Il ne resterait plus grand monde... Même moi, je n'aurais plus le droit de faire grand chose.
Je pense que le souci de la zététique se situe quelque part entre celui des mouvements sociaux (le féminisme) et des disciplines scientifiques ouvertes acceptant en leur sein des amateurs éclairés (l'histoire). Dans les deux cas, il y a des brebis galeuses qui peuvent prétendre s'appuyer sur la discipline tout en faisant n'importe quoi (Elizabeth Badinter pour le premier, Faurisson pour la seconde).
C'est dans ce cadre-là qu'une dénonciation par les pairs s'avère la bienvenue... mais il me semble compliqué de faire cette dénonciation sur un réseau social comme Twitter (qui par son simple format, n'est pas adapté au débat ou même à la discussion). A plus forte raison en pleine shitstorm !
Metronomia a écrit:
Je le redis: bien sûr que si les zététiciens s'expriment dans les faits sur tout un tas de sujets de société. Si tu regardes par exemple la page du "balado de la science et de la raison", tu verras qu'il y a une rubrique "féminisme", une autre intitulée "politique et sociologie", etc.
A la bonne heure ! Quand je pense qu'il n'y a encore pas si longtemps, Abrassart militait pour une zététique strictement réservée à l'étude des phénomènes paranormaux...
Metronomia a écrit:
Sinon, je viens à l'instant de tomber sur un tweet qui fait justement écho aux histoires de priorités bizarres de la communauté sceptique et qui dénonce le fait que celle-ci n'ait - entre autre - pas relayé une seule fois des trucs sur la LPPR, qui est pourtant littéralement en train de tuer la recherche:
La raison derrière cela est simple : la LPPR concerne principalement le milieu de la recherche académique ou universitaire, auquel n'appartiennent pas la majorités des webzététiciens les plus en en vue... ou bien parce qu'ils ne sont pas du tout de formation scientifique (Mr. Sam), ou bien parce qu'ils ont quitté le milieu scientifique après avoir fini leur thèse (Mendax). De toute façon, l'activité de chercheur est tellement prenante que je doute qu'ils auraient encore le temps de poster du contenu sur leur chaîne Youtube s'ils y évoluaient encore.
Cette déconnexion ne me choque pas trop, dans la mesure où la production d'information scientifique (la recherche proprement dite, donc) et la vulgarisation sont deux métiers très différents.
Et sans vouloir prendre leur défense, je suis de l'avis que la LPPR n'incarne pas tant une rupture qu'une malheureuse continuité dans le démantèlement de la recherche publique française mis en place depuis des années. Certaines personnes trouvent cela génial, l'objectif étant clairement d'arriver à une sorte de système à l'anglo-saxonne (les moyens en moins...).
Metronomia a écrit:
Je pense que c'est en fait évidemment et justement lié au parti-pris (en réalité intenable) de ne surtout pas parler de politique et qui a longtemps couru dans le milieu sceptique. Donc, à l'époque (et encore maintenant), on dénonçait les platistes, les homéopathes, etc., mais on ne voulait surtout pas parler de politique au sens propre, alors on taisait les histoires d'extrême-droite, de négationisme,
[...]
Je pense que c'est ça qui a donné ce 2 poids 2 mesures au final assez délétère et qui a pas mal terni l'image de la zététique. La contradiction de départ était en plus trop énorme pour rester crédible éternellement: comment un mouvement politique et militant pour les sciences (et pour la diffusion des savoirs et de la méthode scientifique auprès du grand public) pouvait-il en même temps prôner de ne surtout pas faire (et parler) de politique?
Je ne vois pas où est la contradiction si l'on adopte le principe de départ que la zététique ne s'attaque pas aux croyances, mais uniquement aux raisonnements et aux preuves qu'elles avancent sur la place publique.
Dans ce cas, lorsque la zététique se penche sur l'homéopathie, l'objectif n'est pas de s'en prendre aux consommateurs (qui ont bien le droit de prendre le placebo qu'ils souhaitent si cela leur fait du bien) mais de montrer le caractère pseudo-scientifique des arguments avancés par les promoteurs de l'homéopathie. Idem pour les religions : il n'y a pas de raison de s'attaquer aux pratiquants, en revanche les thèses créationnistes méritent qu'on s'y attarde dans la mesure où elles prétendent être une alternative crédible et sérieuse à la théorie de l'évolution.