Ar Soner a écrit:
un prolo blanc de la campagne a ainsi peut-être plus de points communs (en terme de « déclassement ») avec un racisé de la banlieue parisienne, qu'avec un cadre supérieur dynamique urbain (quand bien même ce dernier est également blanc).
Je suis d'accord avec toi. Mais l'intersectionnalité vise justement à dire (si j'ai bien compris) que le pire est dans tous les cas de cumuler les difficultés (ex: être une femme prolo arabe qui vit à la campagne). En gros, être un prolo blanc de la campagne est - selon les recherches intersectionnelles - toujours moins problématique qu'être un prolo arabe ou noir de la campagne. Et je pense qu'on peut difficilement nier ça.
Reste que je te rejoins tout à fait et que cela n'enlève strictement rien à la situation difficile d'un prolo blanc de la campagne d'une part, et il me semble - tout comme toi - vraiment malheureux et même dangereux de vouloir les opposer.
Néanmoins, j'imagine que les militants intersectionnels veulent, par ce discours, faire prendre conscience aux populations blanches qu'elles exercent - parfois malgré elles - une vraie oppression sur les autres et qu'en prendre conscience rend possible un changement de comportement et de mentalités. Ça a donc aussi sa fonction et je pense que ce n'est pas complètement vain, même si ça n'est pas entièrement satisfaisant.
Ar So a écrit:
Je ne sais pas si tu as fait cela d'instinct ou si tu avais déjà été confrontée à cette histoire « d'homme physiquement plus forts que les femmes », mais les arguments que tu évoques sont peu ou prou ceux avancés par les féministes (voir
le blog d'Agnès Giard par exemple).
Je l'ai clairement fait spontanément et par intuition (je cite toujours mes sources lorsque ce n'est pas le cas). Mais il est clair que je suis très probablement influencée inconsciemment par tous les cercles de discussion* qui ont court autour de moi (*professionnels, amicaux, sur les réseaux sociaux, etc.).
De mon point de vue, cela me semble relever de la logique même que de prétendre que démontrer que les hommes sont plus forts physiquement que les femmes n'a pas grand sens dans l'absolu. Et je crois que c'est globalement vrai pour à peu près tout.
Pour reprendre un exemple que Pochon avait lui-même donné dans un autre topic il y a quelque temps, imagine un instant que l'on conduise une étude démontrant que l'obésité serait plus élevée aux États-Unis que dans le reste du monde. Ok ? Eh bien une fois que tu aurais dit/démontré ça, qu'aurais-tu dit exactement ? Rien en réalité. Car cette obésité est indéniablement multifactorielle et ce sont tous ces facteurs qu'il s'agirait d'expliquer. Car si on se contente de relever l’obésité (sous-entendant ainsi que c'est comme ça, que c'est juste dans la "nature" des Américains d'être plus gros), on naturalise dès lors une caractéristique qui pourrait pourtant tout à fait être corrigée avec les bonnes actions politiques.
En gros, en naturalisant, on dépolitise la question et on contribue à poser des caractéristiques comme des états de fait immuables.
Citer:
Ce qui me turlupine, c'est une tendance très courante à disqualifier par principe, sans même prendre la peine de regarder le contenu : « cherche pas, l'étude a été conduite par des hommes*, elle est forcément biaisée ». C'est un travers récurent, présent partout (pas juste dans les milieux militants, hein !) mais qui me conduit à douter très fortement de l'idée selon laquelle « l'intérêt pour la science » serait plutôt propre à la gauche.
Du coup, ici, je reformule la même objection que précédemment. Pour moi, ce n'est pas parce que des militants rejettent des études pour de mauvaises raisons que les causes qu'ils défendent ne sont pas justes/bonnes dans l'absolu. En gros, vu de ma fenêtre, ils ont raison de dire que toute étude qui tendrait à vouloir naturaliser des différences (physiques, de comportements, etc.) est douteuse dès lors qu'elle n'essaie pas de resituer les choses dans un contexte historique, politique, social, géographique, etc. Car sans ce contexte, on ne dit rien et on agite juste des chiffons rouges qui n'ont pas lieu d'être. Après, comme partout, certains (beaucoup) ayant la flemme de creuser plus avant parce qu'on ne peut nier que ça prend un temps considérable de s'informer sérieusement sur ces questions), ils finissent par faire des raccourcis dommageables et qui entraînent - bien légitimement - des remarques comme les tiennes.
Il n'en demeure pas moins qu'ils ont - contrairement à d'autres - compris que si on est un tant soit peu logique, rigoureux et sérieux, et qu'on fait appel à la transdisciplinarité, on en arrive très vite à la conclusion qu'une explication biologique
seule ne vaut pas grand-chose, quel que soit l'objet d'étude en cause… Ce qui me semble scientifiquement toujours bien plus valable que les théories qui prétendraient le contraire.
Citer:
*On peut alors vouloir montrer qu'il y avait des femmes dans l'équipe de chercheurs… mais le risque est grand de se faire rétorquer qu'elles ont internalisé les règles du patriarcat et ne sont donc pas fiables.
Et c'est à mon sens un argument sérieux et à prendre en compte. Indéniablement. (Mais qui n'est pas suffisant non plus pour trancher ces questions, je pense que nous serons d'accord là-dessus ?)…
Ar So a écrit:
Ce qui m'embête, c'est qu'on mette un mouchoir de poche dessus en faisant comme si ça n'existait pas, ou qu'on le rejette d'un revers de la main, voire qu'on tombe dans l'invective gratuite (« ces travaux sont dignes des heures les plus sombres de notre histoire »), simplement parce que les conclusions ne vont pas dans le sens qui arrange.
C'est là, encore une fois, que nous divergeons. Car je ne pense pas qu'il s'agisse "juste" de "rejeter des conclusions qui ne vont pas dans le sens qui arrange".
Pour moi, il s'agit en fait bien plutôt de dénoncer (à juste titre) les sous-textes crasses véhiculés par certaines études. Pour en revenir à Tribalat, j'ai fouillé (mal et rapidement, il faudrait approfondir) et je suis tombée sur un article très intéressant:
https://oeilsurlefront.liberation.fr/le ... nt_1596016.
On y lit entre autres que:
Citer:
Il est impossible de parler du «grand remplacement» sans évoquer, avant même de parler de chiffres, le sous-texte raciste (et en l’espèce islamophobe) de la théorie, qui déplore la contamination d’une population «de souche» fantasmée (blanche, chrétienne) par l’étranger (ou, ici, le musulman). Mais il est remarquable que cette thèse nauséabonde, qui cherche souvent une caution scientifique, s’appuie quasiment systématiquement sur des hypothèses erronées. C’est le cas dans cet article : tous les chiffres sur lesquels il s’appuie sont faux.
Te concernant, il semble que tu mettes surtout la focale sur des éléments tels que ceux relatés dans la deuxième partie de la phrase (à savoir: pour toi, c'est avant tout et si j'ai bien compris, le fait que les hypothèses sur lesquelles s'appuient Tribalat sont vraies ou fausses, qui va primer et te servir à déterminer si telle ou telle étude vaut le coup d’œil). En gros, tu te situes du côté de "la science" et des chiffres.
Or, ici, si j'ai mis en gras la première partie de la phrase c'est que c'est - de mon côté - celle qui m'intéresse avant tout. Car avant même de se pencher sur les données, hypothèses ou stats, on voit bien ce que l'étude de Tribalat a de politique. Et c'est personnellement cet aspect qui m'intéresse avant tout. Car ce que nous dit l'auteur de l'article ici me semble très juste: quelles que soient les conclusions de Tribalat, on ne peut nier que son postulat de départ est de toute façon d'emblée raciste et islamophobe (que veut dire "d'origine musulmane" exactement, par exemple ?). On peut ainsi acter tout de suite du fait que c'est ce prisme qui va lui servir de fil conducteur pour mener son étude. Or, pour moi, c'est bien là que le bât blesse avant tout. Car je n'accorde personnellement aucun crédit (et j'imagine que toi non plus, du reste) à une thèse qui voudrait qu'une population dite "de souche" serait à terme "contaminée" par des "étrangers". Car qu'est-ce que signifie "population de souche" au juste ? Sur la base de quels critères précisément définit-on qu'un individu serait "de souche" ou non ? Et quand bien même on parviendrait à se mettre d'accord là-dessus (ce qui me semble - dieu merci - impossible en réalité), en admettant que l'on parviendrait à montrer que certains individus seraient "de souche" et d'autres non, qu'aurait-on dit une fois que l'on aurait démontré ça ? En gros, à quoi sert ce type de classification si ce n'est à hiérarchiser ? Ensuite, en quoi est-ce sensé être un problème que des populations se mélangent, et qu'elles finissent par possiblement donner naissance à d'autres types de populations et de cultures ?
Bref, en un mot comme en 100, pourquoi diable irais-je perdre un temps précieux à me plonger des travaux et des données chiffrées alors même que les termes posés à la base pour mener cette étude ne font pas sens pour moi et ne désignent (selon moi) rien d'autre que des fantasmes identitaires ? Pour résumer: le ver est déjà dans le fruit et aucun chiffre dans un sens ou l'autre ne permettra de décider de quoique ce soit puisque c'est pour moi les postulats de départ qui sont erronés.
Citer:
Ça m'embête, d'une part, parce que ce n'est pas une attitude très futée : ignorer les faits parce qu'ils présentent une réalité qu'on ne souhaite pas voir, c'est typiquement le meilleur moyen de se déconnecter de ladite réalité (et de ne pas y apporter de solution politique).
Justement, pour moi et comme dit ci-dessus, "apporter des solutions politiques" sur ce point reviendrait à dire qu'il y a un "problème". Or, je n'en vois pas, pour toutes les raisons évoquées plus haut. Le seul vrai "problème" que je vois à terme est la question économique qui se posera forcément quand des migrants climatiques arriveront de partout et par milliers (et ça, je crois que c'est quelque chose de très pragmatique et concret qu'il nous faut penser et anticiper dès à présent), cela n'a rien à voir avec l' "invasion musulmane" et le "grand remplacement" tels que fantasmés dans les travaux de Tribalat.
Ar So a écrit:
je pense qu'il faut faire une distinction entre deux définition différentes de la Science : (1) la Science comme communauté d'être humains produisant des savoirs au moyen d'une certaine démarche, et lesdits savoirs obtenus ; et (2) la Science comme méthode de pensée permettant de faire des observations, de générer de la connaissance ou de résoudre des problèmes de façon rationnelle, en se basant sur la logique et les mathématiques.*
Et justement, me concernant (mais je fais l'hypothèse que je ne suis pas la seule), c'est bien pour des raisons logiques (ici voir ce que j'ai écrit ci-dessus à nouveau) que je décide de ne pas m'attarder sur certaines études. Et je ne pense pas être irrationnelle en faisant ce choix (d'ailleurs, je ne crois pas que tu prétendes que je le suis - mais c'est surtout une façon de dire que je pense qu'il y a pas mal de gens qui sont dans mon cas et adoptent la même logique).
Citer:
En revanche, lorsqu'on affirme que les marabouts permettent d'obtenir des meilleurs résultats dans la guérison de maladies graves que la médecine moderne ou lorsqu'on présente comme une réalité tangible les soi-disantes « loi de la sorcellerie », pour moi on n'est plus du tout dans la critique de la communauté scientifique, on est fondamentalement dans le refus d'une vision rationnelle du monde. Et c'est quelque chose qui (de mon expérience) revient de façon récurrente à gauche, ou souvent cela se mélange à une forme de relativisme culturel et cognitif.
Ici, j'avoue n'avoir rien lu sur ces questions. Je ne sais pas qui prétend cela, ni s'il existe beaucoup d'ouvrages sur la question et si des travaux universitaires ont bossé là-dessus. Ce que je sais en revanche, c'est que Jeanne Favret-Saada a mené des travaux connus et reconnus sur la question de la sorcellerie et qu’ils ont assez largement contribué à donner dans les milieux universitaires un autre regard sur la sorcellerie et les pratiques dites "ésotériques" qui peuvent avoir certaines vertus thérapeutiques. Du coup, je ne sais pas s'il faut aller jusqu'à dire qu'on "est dans le refus fondamental d'une vision rationnelle su monde" (ou alors, si c'est le cas, je pense que ça reste un point de vue assez minoritaire). Mais je pense en revanche que beaucoup pensent profondément qu'une vision strictement et uniquement rationnelle des situations n'est ni suffisante, ni satisfaisante. Je suis de ceux-là. Et ça ne m'empêche aucunement de m'en remettre à un médecin quand il le faut ou d'avoir foi dans les avancées scientifiques, que je respecte infiniment. Des gens que j'aime sont encore en vie grâce à cela et il n'est nullement question de cracher dans la soupe. Reste que je n'ai pas envie de faire un partage trop net et définitif entre les "vraies sciences™" et d'autres pratiques plus "ésotériques" qui peuvent peut-être, dans certains cas, venir compléter (et non pas "se substituer à") efficacement un parcours de soins bien cadré.
Pour le reste, je poursuivrai plus tard. Peut-être dans la soirée si j'en trouve le temps et la motivation (et si c'est le cas, vous m'excuserez par avance du double post mais ça aura le mérite de ne pas faire un pavé trop immonde à lire… D'autant qu'avec ce message, je suis déjà plus que limite, comme (trop) souvent…
)
PS: Je suis désolée, je n'ai vraiment pas le courage de me relire à cet instant. Du coup, j'espère n'avoir pas été trop brouillonne et n'avoir pas fait trop de coquilles.