J'ai regardé hier soir, sur une chaîne française dont le nom commencre par un
R et finit par un
C, une émission particulièrement édifiante sur l'Atlantide. Je me permets de vous en faire un compte-rendu rapide.
Le "documentaire", puisqu'il prétendait en être un, suivait donc un personnage chenu persuadé d'être capable de retrouver l'Atlantide telle que décrite par Platon, et ce, uniquement grâce à des analyses au doigt mouillé et des raccourcis bien pratiques, le tout en faisant des fouilles à l'aide d'un matériel de qualité supérieure qui ferait pleurer de jalousie et de rage n'importe quel archéologue de profession.
Dès le début, ça commence fort : le chercheur cherche l'Atlantide dans l'Atlantique, "puisque Platon dit qu'elle y était située", et à l'âge de bronze, "car elle devait correspondre à la période de l'éruption de Santorin". L'intention est louable, mais Platon metionne explicitement que l'Atlantide avait neuf mille ans (soit, pour mémoire, huit mille et quelques de plus que l'éruption de Santorin). Ainsi donc, sur un matériau de base qui donne une date et un lieu, seul le lieu est conservé. Soit 50% des données permettant de localiser l'événement, si tant est qu'événement il y eût.
Je rappelle à toutes fins utiles que les Atlantes sont supposés avoir fait la guerre aux Athéniens, et que les Indo-Européens n'existaient pas il y a onze mille ans, mais nous ne sommes plus à ça près.
Entreprenant donc de faire ses recherches en Atlantique, notre chercheur préféré s'en va explorer Malte, la Sardaigne, ainsi que le Sud de la nouvelle Castille. En Sardaigne, il découvre notamment les monuments de la
culture nouragique, fait oh, fait ah, et décrète qu'il s'agit là de magnifiques représentants du style architectural de l'atlantide.
En Espagne, il découvre le superbe site de la Motilla del Azuer, lui trouve une ressemblance (certes notable) avec les
nuraghe, proclame qu'il s'agissait d'un temple de Poséïdon, et que sa forme circulaire en fait le candidat tout indiqué pour être en réalité... la capitale atlante, rien que ça ! Qui était, selon Platon, gigantesque, alors que le château de la Motilla del Azuer ne fait qu'une trentaine de mètres de diamètre, mais qu'importe. On apprend au passage que la Sardaigne était probablement une colonie atlante, puisque partageant le même style architectural (admettons).
L'atlantidomane s'en va ensuite faire du bateau au large de l'Espagne, à la recherche du "port de l'Atlantide". Ils ont tôt fait de trouver une ancre de marine grecque en pierre, puis une deuxième, puis une troisième, puis toute une palanquée d'ancres antiques de formes et de tailles diverses ! Hosanna ! "Ces ancres datent de l'âge du bronze", déclare le monsieur en les tâtant vite fait du pied par quarante mètres de fond, "or jamais les navires grecs n'ont pu franchir le détroit de Gibraltar à cette époque ! C'est donc bien qu'elles sont d'origines atlantes !"
Je croyais naïvement qu'on ne pouvait pas dater précisément des objets de pierre, à fortiori sous l'eau, à fortiori lorsqu'on vient de les découvrir, mais je ne suis pas un chercheur bi-classé spécialiste de Platon tri-classé plongeur en eau profonde. Mettons donc que nous ayons là le port d'attache de l'Atlantide. Et alors ?
Et alors, en route pour les Açores ! Qui sont, nous précise le documentaire, à mi-chemin entre les États-Unis et l'Europe ; une carte abominablement distordue appuyant ces propos à l'écran — mon atlas en est nettement moins convaincu. Aux Açores, il y a des tas de pierres, reliés par des tunnels, et d'une hauteur impressionnante. "Oh mon Dieu !!" s'extasie le chercheur. "Ils sont en pierre... ils datent donc de l'âge de pierre !!"
...
Mais enfin ???
...
Sans transition, le monsieur trouve aux tas de pierres açoriens une ressemblance avec les pyramides aztèques, ou les ziggourats, "je ne suis pas sûr". Je n'apprens rien à personne, mais généralement, les tas de pierre ont en effet tendance à se ressembler.
(Pour la petite histoire, personne ne semble vraiment savoir d'où viennent ces pyramides. Même en cherchant en portugais, je n'ai pas trouvé grand-chose, mais il semblerait qu'il y ait deux écoles : ceux qui disent que c'est vieux sans trop s'avancer ; et ceux, apparemment majoritaires, qui pensent que ça date des XVIII et XIXè siècles).
Ensuite, je crois que c'est à ce moment que l'apprenti-chercheur considère de mystérieuses gravures sur certaines des pierres de l'endroit. Elles représentent des cercles concentriques — "comme l'Atlantide !" Mieux encore, si l'on coupe un de ces symboles en deux, eh bien qu'a-t-on (l'ancien) ? Une hanoukkia ! Mais oui !
On nous explique alors que la culture atlante s'est étendue jusqu'aux rivages de la Palestine ; preuve à l'appui, une tombe juive du quatrième siècle après JC trouvée en Sicile et figurant effectivement une hanoukkia (à ce point, je ne cherche même plus à comprendre).
Rendu là, notre chercheur ne fait même plus semblant, annonce rayonnant qu'il a trouvé la preuve de l'existence de l'Atlantique, comment c'est trop gavé bien, tout le monde se donne de grandes tapes dans le dos et, merci bonsoir, le générique de fin démarre.
Je le répète, c'était édifiant. J'aurai au moins appris une chose : si un bâtiment est en pierre, c'est qu'il date de l'âge de pierre. Les bâtiments en bois datent donc logiquement de l'âge de bois, ceux en briques de l'âge de briques, et les zoos de l'âge de zoo.
Plus sérieusement, c'était consternant. Consternant. Aucune conscience ni des dates, ni des durées, ni des lieux ; et aucune capacité à distinguer la réalité de la fiction.
Cela dit, il semblerait que le sujet soit porteur. Je vais demander une bourse pour partir à la recherche de la caverne de l'allégorie de la caverne.