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Qu'est-ce que la «castle doctrine», la légitime défense américaine que réclame l'extrême droite française?
Sébastien Natroll — Édité par Diane Francès — 4 août 2023 à 8h01
En prônant la «doctrine du château», Reconquête! souhaite que l'on puisse utiliser la force létale en cas de violation de domicile.
«La maison de chacun est son château, et si des voleurs viennent dans la maison d'un homme pour voler ou assassiner, et que le propriétaire ou ses serviteurs tuent l'un des voleurs pour se défendre et défendre sa maison, ce n'est pas un crime et il ne perdra rien.» | Cederic Vandenberghe via Unsplah
En 2021, le journaliste franco-américain Cole Stangler soulignait dans les colonnes du New York Times la rapide américanisation de la France, en proie à une dérive toujours plus droitière de sa classe politique. Le 3 juillet dernier, pratiquement deux ans jour pour jour après la publication de cet article, la vice-présidente du parti d'extrême droite Reconquête!, Marion Maréchal, proposait sur le plateau de BFMTV de s'inspirer du droit américain s'agissant de la légitime défense: «Il serait opportun de mettre en place une présomption irréfragable de légitime défense au domicile. C'est une loi qui existe notamment aux États-Unis, qui s'appelle la “doctrine du château”, qui fait que si un individu s'introduit dans votre domicile, vous êtes en droit de pouvoir vous défendre [...] même si cela entraîne la mort […]»
La «doctrine du château», ou castle doctrine, est un concept juridique qui remonte à l'Angleterre du XVIIe siècle. À l'issue de l'affaire dite «Semayne's Case», Sir Edward Coke rapporte en 1604 que la Cour du banc du Roi a estimé que «la maison de chacun est son château, et si des voleurs viennent dans la maison d'un homme pour voler ou assassiner, et que le propriétaire ou ses serviteurs tuent l'un des voleurs pour se défendre et défendre sa maison, ce n'est pas un crime et il ne perdra rien». Plusieurs siècles plus tard, ce principe a été consacré par la loi ou par la jurisprudence dans la quasi-totalité des États-Unis.
La sanctuarisation du domicile
Si l'extrême droite française se veut désormais chantre de la castle doctrine, c'est en raison de la singularité de ce principe qui sanctuarise véritablement le domicile personnel. En effet, bien que la présomption de légitime défense existe aussi en droit français (voir l'article 122-6 du code pénal), cette dernière est bien différente de son pendant états-unien.
Le droit français ne prévoit une présomption de légitime défense que lorsqu'un acte commandé par cette dernière est exécuté «pour repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité» ou «pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence». En outre, l'acte en question ne saurait se soustraire aux conditions de l'article 122-5: la réponse à une atteinte injustifiée doit être immédiate et proportionnée à la gravité de ladite atteinte.
Ainsi, en 2002, un arrêt de la cour d'appel de Reims affirme que Monsieur Y, un homme de 71 ans ayant ouvert le feu sur un individu présent sur le rebord de sa fenêtre, avait employé des moyens manifestement disproportionnés par rapport à l'atteinte à sa personne et ses biens. Pour la cour, il lui appartenait «à défaut d'avoir la sagesse de rechercher du secours d'une autre pièce en appelant à l'aide voisins et police, voire en abandonnant son logement quitté par la porte, au moins s'il choisissait de rester sur place, d'exhorter son agresseur potentiel à la raison en l'avisant qu'il détenait une arme et n'hésiterait pas à tirer».
Nulle contrainte de ce type dans l'immense majorité des États américains, où la castle doctrine ne connaît bien souvent ni distinction diurne/nocturne, ni immédiateté ou proportionnalité de la réponse. Ainsi, en Californie, quiconque recourt à la force, même létale, est présumé avoir agi en conséquence à une «peur raisonnable d'un risque imminent de mort ou de blessures graves» en cas d'intrusion illégale dans un domicile. Schéma similaire dans le Kentucky, où l'usage de la force létale est présumé avoir été fait en réponse à une crainte pour son intégrité physique en cas de violation de domicile.
Les différences majeures entre la législation française et la législation états-unienne s'expliquent en partie par la forte proportion d'armes à feu aux États-Unis (présentes dans 44% des foyers). Une castle doctrine en France n'aurait que peu de sens dans un pays qui ne compte que 5,7 millions d'armes à feu soumises à autorisation par rapport à un pays où la possession d'armes est un droit constitutionnel et où le ratio est de 120 armes pour 100 habitants.
Ce détail n'a pas échappé à l'Institut pour la justice. Le think tank, proche de l'extrême droite –et du candidat Zemmour– et du libertarianisme, prône aussi bien la castle doctrine que le droit de posséder une arme à son domicile à des fins de légitime défense. Enfin, l'intérêt de l'ex-polémiste de CNews pour la légitime défense à l'américaine pourrait aller encore plus loin et inclure sa version la plus controversée: la stand-your-ground doctrine.
Le spectre de la «stand-your-ground doctrine»
Le 2 février 2022, le candidat à la présidence de la République Éric Zemmour s'adressait aux membres du syndicat policier Alliance. À cette occasion, il proposait la création d'un droit à la «défense excusable» en cas d'agression, à condition de pouvoir justifier de sa «peur». Les propos, rapportés par le journaliste de Mediapart Ilyes Ramdani, ne sont pas sans évoquer la stand-your-ground doctrine américaine. Sorte de castle doctrine amplifiée, la stand-your-ground doctrine autorise le recours à la force partout où un individu a le droit de se trouver (qu'il s'agisse, par exemple, d'un lieu public ou d'un véhicule personnel).
Le dernier exemple frappant des conséquences de la stand-your-ground doctrine remonte à 2012 et à l'homicide du jeune Trayvon Martin, en Floride. L'auteur de l'homicide, dans un premier temps, n'avait pas pu être interpellé en raison du droit floridien, qui proscrit l'arrestation d'une personne ayant eu recours à cette légitime défense (à moins que des éléments tendent à démontrer un usage illégal de la force). En Floride, comme dans une large majorité du pays, la loi autorise le recours à la force –y compris létale– à quiconque croit «raisonnablement» l'usage de la force nécessaire pour prévenir une mort imminente, un préjudice physique important ou un crime violent.
Utiliser la «peur» comme condition de recours à la «défense excusable» paraît par conséquent s'inscrire dans la droite lignée des castle doctrine et stand-your-ground américaines. Une importation qui, au regard des idées de l'extrême droite française, ne saurait être vue que comme du «cherry-picking»: l'importation du pire et non du meilleur; en témoigne la volonté d'avoir un droit d'exception pour la police ou de pouvoir outrepasser le pouvoir judiciaire en adoptant un texte jugé inconstitutionnel grâce à la majorité des 3/5e du Parlement.
Dans De la liberté, John Stuart Mill rappelait que «bien plus, la volonté du peuple signifie en pratique la volonté du plus grand nombre ou de la partie la plus active du peuple: de la majorité, ou ceux qui parviennent à s'imposer en tant que majorité. Il est donc possible que les “gens du peuple” soient tentés d'opprimer une partie des leurs; aussi est-ce un abus de pouvoir dont il faut se prémunir au même titre qu'un autre. C'est pourquoi il demeure primordial de limiter le pouvoir du gouvernement sur les individus, même lorsque les détenteurs du pouvoir sont régulièrement responsables devant la communauté, c'est-à-dire devant son parti le plus fort.» C'est à cela que sert une Constitution… Et l'extrême droite voudrait aussi pouvoir la descendre.
https://www.slate.fr/story/250996/castle-doctrine-chateau-legitime-defense-etats-unis-extreme-droite-violation-effraction-domicile-proprieteJe ne connaissais pas cette doctrine, et je trouve que déjà, c'est assez éclairant sur les différences de conception de la légitime défense entre les Etats-Unis et la France.
Et accessoirement, je trouve que cet article me fait me poser pas mal de questions...
Je précise (s'il est besoin) que Zemmour et consorts font partie des politiques que je méprise le plus, et bien que je n'ai jamais cherché à me situer sur l'échiquier politique actuel (ce qui me semble être une totale perte de temps vu son état), je ne crois pas partager les idées d'extrême droite. Mais je trouve assez gênant que l'article fasse du sentiment de peur un sentiment quasi fasciste...
Certes, on est d'accord, les extrêmes droites, quelques soit l'époque ou le pays ont jouer sur des sentiments de peur, réels ou supposés, et les ont alimentés de manière perverses... MAIS, en l'espèce, QUI n'aurait pas peur, clairement, de voir un inconnu s'introduire la nuit, dans son appartement et/ou sa propriété ?...
Et QUI peut décemment garantir qu'il réagirait avec flegme et politesse "mon bon monsieur, je crois bien que vous vous êtes trompé de porte"...
C'est presque une forme de culpabilisation...
Franchement, quand je lis un article sur une personne qui a en a tué une autre parce qu'elle s'était introduit chez elle, bah je n'arrive pas trop à la juger. Et pourtant, je ne suis ni pro-arme à feu, ni forcément partisane de revoir notre conception de la légitime défense (mais y réfléchir à 2 fois avant de décider d'une culpabilité, oui). Mais qu'y a t-il de plus effrayant que de se faire réveiller en pleine nuit par un bruit suspect et de comprendre qu'il y a un inconnu chez soi, alors qu'on est clairement en position de faiblesse ? Personnellement j'admets humblement que je serai tellement terrorisée que je ne sais même pas si fracasserait le crâne de l'agresseur avec une lampe de chevet, ou si je me jetterai par une fenêtre en hurlant...
Mais en tout cas, c'est clair qu'en un dixième de seconde, la totalité de ce que pourrait m'arriver dans ce genre de circonstances me serait passé par la tête (et ce qu'on pourrait faire à mes proches, à mes animaux etc...), donc je comprends assez bien que dans un état de panique, le cerveau passe en mode "survie" et qu'on en arrive à des extrêmes très rapidement.
Et du coup, je trouve le jugement moral qui semble ressortir de cet article très surplombant, finalement...
