Rah, <crotte>, regardez ce que vous avez fait : vous avez obligé Lamart à défendre l'art moderne !
Cortex a écrit:
Je voudrais juste revenir sur l'aparté d'Ar Soner sur l'esclavage, dont je ne partage pas la teneur. Bien que n'étant pas spécialiste en techniques agricoles, je doute fortement que les cultures à forte valeur ajoutée auxquelles on employait la main d'oeuvre servile aient été mécanisées avant le XXème siècle. On a même un contre-exemple flagrant avec l'égraineuse à coton, dont la diffusion a au contraire accru la demande en esclaves.
Je ne suis pas non plus à 100% convaincu par ce point de vue. Notamment parce que même avec l'abolition de l'esclavage, l'asservissement humain n'a pas disparu, il a juste pris d'autres formes : la situation des mineurs français du XIXème siècle n'était guère enviable, et pourtant ils étaient des hommes libres — au moins du point de vue juridique.
C'est le défaut et la qualité de J-M. Jancovici : il voit tout à travers le prisme de l'énergie. C'est souvent très pertinents, et des fois... ça l'est beaucoup moins, on tombe dans le biais de confirmation.
Mais il n'en reste pas moins que la mécanisation et l'énergie abondante et facile d'accès, même si elles n'ont pas provoqué
directement la fin de l'esclavage, ont créé les conditions rendant possible son abolition.
Chimère a écrit:
D'autre part, c'est oublier un peu vite ce qu'il se passe lorsque l'être humain a peur, n'a plus rien à perdre, se trouver déboussolé... Le fauve qui sommeille en chacun d'entre nous se réveille bien souvent, et pas pour le meilleur. Il suffit de voir ce qu'il se passe dès lors qu'il y a une catastrophe ou une situation de crise qui met à bas le système régalien imposant le respect des lois, si quelques uns tentent de venir en aide aux autres, une bonne partie pille tout ce qu'elle peut piller...
Là encore, chiffres et expériences à l'appui, on peut montrer que c'est faux. Après les ravages causés par les ouragans Katrina en Floride en 2005 ou par Irma dans les Caraïbes en 2017, on a vu effectivement des scènes de pillage... mais également des énormes mouvements de solidarité : les gens ont recréé des réseaux d'entraide pour distribuer des vivres ou dégager les décombres. Des acharnés de Saint Martin ont même utilisé l'outil libre OpenStreetMap pour cartographier les rues intactes de l'île, et ainsi faciliter la circulation des services de secours !
Les médias occidentaux ont créé un énorme biais de perception, en parlant quasiment exclusivement des pillages/violences et en exagérant leur importance — c'est ce qui fait le plus vendre. Cela a été bien documenté, je dois pouvoir retrouver des sources là-dessus en cherchant un peu.
Je ne suis pas un philanthrope (très, très loin de là, tu devrais le savoir
) mais j'essaye d'être pragmatique, et je pense qu'une affirmation telle que
« il y a un monstre qui sommeille en chacun de nous » est trop arbitraire et caricaturale pour être vraie.
Je pense que la réalité est plus proche de ce qu'on a pu observer pendant la Seconde Guerre Mondiale : une minorité collabore, une autre majorité résiste en héros, et la grande majorité essaye de survivre tant bien que mal. Et en l'occurrence, pour s'en sortir pas trop mal dans un contexte difficile, l'entraide marche bien mieux que la posture
« je suis tout seul avec mon <organe phallique> et mon couteau ».
Chimère a écrit:
Franchement, en tant que femme, j'aurais eu une vie très très différente de la mienne et... non, désolée, je maintiens que j'aurais été certainement plus malheureuse parce que pas libre. C'est aussi simple que ça : je n'aurais pas eu mon propre compte en banque, donc aucune indépendance de rien du tout, si j'avais voulu choisir ma vie, il y a fort à parier que j'aurais dû me battre contre ma propre famille, je me serais retrouvée avec des marmots et un mari qui aurait eu presque tous les droits sur moi. Quel bonheur, c'est sûr...
Tu as l'air de partir du principe qu'une décroissance équivaut à un retour en arrière pur et simple : on va revenir exactement à la situation du début du XXème siècle (voire encore avant), pas juste d'un point de vue technique, mais également en terme de société, d'arts, de droits humains, etc... Ce qui est bien entendu complètement irréaliste.
Ce qui a été acquis ne sera pas purement et simplement perdu. Par exemple, juste pour l'aspect purement technique, certaines technologies seront abandonnées car trop gourmandes en ressources, tandis que de nouvelles apparaitront (je donnais l'exemple de l'Internet hertzien un peu plus haut).
Mais effectivement, on ne peut pas savoir de quoi le futur sera fait. Scoop ! C'est déjà le cas actuellement, avec l'avenir plein de croissance économique, de mondialisation et de technologie futuriste que nous promettent les indécrottables optimistes !
Mais tu soulèves un point intéressant : j'ai beaucoup abordé la question de la décroissance autour de moi, et la quasi-totalité des gens que j'ai croisé sont incapable d'imaginer cela autrement que comme un retour au XIXème siècle, à la chandelle et aux topinambours.
Ma petite théorie tout personnelle sur le sujet est que notre imagine a très peu d'exemples plausibles de futur décroissant. Le seul contre-exemple que je vois, c'est le roman
La Vague Montante de Marion Zimmer Bradley (encore une lecture que je vous invite à faire).
Depuis
les Jetson en passant par
Ghost in the Shell, les auteurs de fictions se sont tous donnés le mot pour nous abreuver d'un avenir fait de grandes mégalopoles, de voitures volantes, de robots et de voyages spatiaux. Il n'y a quasiment pas d'alternatives, au point qu'il est unanimement accepté que c'est cela, le progrès, et qu'il ne saurait pas en être autrement. Dans ces conditions, par surprenant que ça soit la panique dans l'esprit de beaucoup de personnes dès qu'on commence à dire que la croissance ne continuera pas indéfiniment et qu'il va falloir viser un futur plus modeste !
Chimère a écrit:
Certes m'enfin... est-ce que l'on peut comparer la sculpture sur bois au couteau au coin du feu à Rodin ou Le Bernin ?... La peinture décorative des meubles à Van Gogh ou Turner ?
Je ne vais pas m’appesantir très longtemps sur la question de l'Art, car j'ai l'impression qu'elle est finalement assez peu pertinente vis-à-vis du sujet de ce topic, et qu'on pourrait en discuter pendant 5 pages sans arriver à se mettre d'accord.
Juste pour dire que ton point de vue (que je comprends bien) m'évoque celui de gens du XXVème siècle, qui n'imagineraient pas qu'il soit possible de vivre convenablement sans
musique holographique,
peintures en 3D et
jeu en immersion virtuelle complète. Et regarderaient avec un soupçon de dédain et une réelle incompréhension les pécores du XXIème qui ignoraient tout de ces formes d'art...
Chimère a écrit:
Parce que franchement, je suis totalement incompétente pour juger de questions pragmatiques et purement techniques, limite je m'en fous d'ailleurs, mais je trouve que vous avez quand-même beaucoup de réponses très sereines en mode "ça va bien se passer" (méthode Coué ?),
[...]
Ar Soner a écrit:
J'ai assez confiance sur le fait que sur une période de 20 ou 30 ans, cette adaptation se ferait en douceur sans trop de difficulté.
J'ai l'impression d'être un peu toute seule à m’inquiéter, à me poser des questions, et à voir le côté sombre de la médaille en fait...
Ma phrase est au conditionnel. C'est important.
En fait, je ne suis absolument pas serein et sans inquiétudes à propos de l'avenir qui nous attend — ça serait même plutôt exactement l'inverse en toute rigueur.
Mais je soutenais dans mes messages précédents la thèse qu'
avec une vraie volonté des pouvoirs publics, et la mise en place d'une politique de décroissance (sur tous les fronts : économique, territorial, etc),
coordonnée sur une échelle de temps relativement longue (20 - 30 ans), cela passerait sans trop de difficultés et on s'en sortirait sans trop de dommages.
Malheureusement, ce n'est pas vraiment le chemin que nous sommes en train de prendre... et puisque cela revient sur le tapis, je me permets de faire un petit rappel extrêmement simplifié sur
les courbes issues de World3 :
Le modèle date des années 1970, et son scénario « business as usual » (la population humaine continue à consommer des ressources, à croitre et à polluer sans mettre le holà) a remarquablement bien simulé les évolutions
réelles des divers paramètres pris en compte (population, productions de services, ressources, etc) au cours des 40 dernières années. C'est d'ailleurs tellement vrai qu'il n'y a plus grand monde qui ose critiquer le modèle et que la plupart des spécialistes trouvent ses simulations très crédibles.
Quoi qu'il en soit, comme on le voit sur les courbes, le modèle prévoit clairement un infléchissement de tous les paramètres aux environs de 2020 - 2030, dont notamment celui de la population humaine, qui est divisée par 1,5 sur l'espace de 50 ans. Et pour qu'une population diminue de cette façon aussi nette, il n'y a pas de secret : c'est le fruit d'une guerre, ou d'une épidémie, ou d'une famine (ou des trois).
Couplons cela à :
- plusieurs modèles climatiques qui estiment qu'avec un réchauffement global de +2°C (ce qui dans notre situation actuelle est une hypothèse
très optimiste), une bonne partie de l'Afrique sera transformée en un désert aride difficilement vivable ;
- et les prévisions démographiques qui montrent que la population africaine devrait doubler d'ici à 2050 (passant de 1,2 milliard à 2 - 3 milliards d'habitants), dans des zones déjà extrêmement instables géopolitiquement parlant...
... et vous comprendrez pourquoi, non, je ne suis pas serein
du tout sur l'avenir. Je pense bien au contraire que ça va être chaud patate, si vous voulez bien me passer l'expression.
Mais jouer les voix de Cassandre ne sert pas à grand chose, sauf à plonger dans la stupeur mes interlocuteurs (comme je l'ai déjà testé à quelques reprises). Je préfère donc rêver une alternative décroissante incertaine, probablement un tantinet naïve compte-tenu de l'inertie des milieux détenant le pouvoir, mais qui a le mérite d'être optimiste et de fixer des objectifs relativement atteignables.