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« Les ours paniquaient » : ces Ukrainiens qui sauvent des animaux de la guerre
Depuis le début de la guerre, il y a deux ans, des Ukrainiens portent secours à des animaux, sauvages ou domestiques. Témoignages de Yulia et Maryna, qui ont toutes deux entrepris de périlleux voyages pour sauver ours et chats.
C’était dans la nuit du 6 juin 2023. Le barrage hydroélectrique de Kakhovka, en Ukraine, explosait et lâchait 18 milliards de tonnes d’eau. En tout, quatre-vingts villes et villages et 65 000 hectares de forêts dans la région de Kherson ont été submergés. Yulia Nikonova était chez elle à Kiev lorsqu’elle a appris la nouvelle : « La veille, je fêtais mon anniversaire et le lendemain matin, je voyais ces images d’une population et d’une nature désolées. Quelques minutes plus tard, une amie rencontrée au refuge pour animaux de Kiev m’appelait. » Yulia, 33 ans, y travaille bénévolement depuis quelques années.
Les deux amies ont décidé de charger une voiture de vivres pour la population et pour les animaux « et de tout ce dont on pourrait avoir besoin sur place ». Direction Kherson avec d’autres amis bénévoles.
Comme elle, bien des Ukrainiens se sont investis, dès le début de la guerre, pour sauver les animaux. Près de 30 % des zones forestières ukrainiennes et environ 20 % des parcs naturels nationaux ont été touchés par la guerre que mène la Russie depuis le 24 février 2022, selon Rouslan Strilets, ministre ukrainien de la Protection de l’Environnement et des Ressources naturelles. La faune, qu’elle soit sauvage ou domestique, est une victime collatérale d’une guerre meurtrière, responsable de plusieurs dizaines de milliers de morts côté ukrainien.
« Un obus est tombé là où notre bateau était amarré »
L’association de défense des droits des animaux Uanimals aurait évacué de zones de guerre quelque 3 000 animaux domestiques et sauvages et stérilisé 20 000 animaux abandonnés par leurs propriétaires partis en catastrophe. L’organisation est animée par des bénévoles, femmes et hommes soucieux de secourir le vivant, « humain ou animal ».
Un ours endormi pour être transporté vers un refuge allemand. Save Wild
Une fois arrivée dans la région de Kherson, inondée par la rupture du barrage, Yulia a embarqué sur un bateau avec des amis et des militaires. « Nous étions en train de charger des cages et de quoi attirer les animaux lorsqu’un obus est tombé là où le bateau était amarré. L’explosion était si forte que l’eau s’est élevée à 20 mètres de haut », se souvient-elle. Les obus se sont enchaînés.
Après s’être abritées quelques heures dans un commissariat, les deux amies ont repris leur distribution de soins, de vivres et de batteries électriques. Pendant des semaines, une routine s’est installée : des bénévoles, au volant de camions, ramenaient des dizaines d’animaux qu’elles soignaient. Près du rivage, Yulia et ses amis accueillaient sous des tentes les animaux rescapés (chiens, chiots, chattes qui venaient de mettre bas).
Elles ont fini par retourner à Kiev, une trentaine d’animaux dans leurs bagages, qu’elles ont déposés au refuge ou directement à la clinique vétérinaire pour être soignés. « D’autres bénévoles y sont encore, vous savez », souffle Yulia au téléphone.
Un périlleux voyage pour fuir les combats
Lorsque Maryna Shkvyria répond à notre appel, sa voix accuse une fatigue certaine. Zoologiste, elle s’est spécialisée dans l’étude des grands carnivores. Elle partage son temps entre son travail au Centre de conservation naturelle du parc zoologique de Kiev et les animaux sauvages accueillis au White Rock Bear Sanctuary, le refuge qu’elle a fondé avec son époux dans la région de Kiev. Depuis 2012, le couple sauve des ours et des loups des griffes de zoos et cirques privés peu scrupuleux. « Ici, de tels endroits sont monnaie courante. Les deux oursons étaient parqués dans une salle dans laquelle les visiteurs défilaient pour prendre un selfie avec eux. »
Le matin du 24 février 2022, les forces armées russes ont pénétré le territoire ukrainien par l’oblast de Kiev, où habitent Maryna et son mari, en passant par la Biélorussie. Cinq ours et deux oursons s’ébattaient alors dans le sanctuaire « semi-naturel » « Il était 4 heures du matin quand on a compris que les troupes se rapprochaient », se remémore-t-elle. Le couple a alors déménagé dans le refuge avec leurs chats, chiens, « des vivres, de l’eau, un générateur d’électricité et des médicaments pour les animaux ».
Dix jours plus tard, une partie de la région étant occupée, Maryna, Yegor et leurs animaux sont partis vers l’ouest du pays. « On en avait parlé à un autre refuge, proche de Lviv », à environ 70 kilomètres de la frontière polonaise, raconte-t-elle. Chats, chiens et ours ont entrepris un long et périlleux voyage de deux jours. « On a eu très peur, on n’avait pas de quoi calmer les ours en ces moments de panique, on a dû faire deux voyages », raconte-t-elle. Depuis, la plupart des animaux ont regagné leur refuge à Kiev, une fois que les forces ukrainiennes ont repoussé l’assaut russe en juin 2022. Trois des ours ont, eux, été recueillis par un refuge allemand.
Sollicités régulièrement par des bénévoles et même des militaires, le couple a accueilli, depuis, une lionne (désormais en Espagne), et d’autres ours. L’un d’entre eux, un ours noir d’Asie, Yantil, coule des jours paisibles dans un refuge écossais.
Il n’est pas le seul à avoir quitté le territoire ukrainien. Une louve polaire dont Maryna et son équipe se sont occupés pendant un an dans le White Rock Bear Sanctuary est « enfin arrivée à Nymfaio », en Macédoine grecque, se réjouit Maryna. Elle avait été secourue dans la région de Donetsk — la capitale officieuse et centre économique du Donbass annexée par les Russes en septembre 2022.
« Elle était en très mauvaise santé. Les dégâts de la guerre [sur les animaux] ne sont pas que le fait des opérations militaires, précise Maryna, mais aussi celui de l’abandon en masse de propriétaires de zoos privés qui exploitent les bêtes, puis les relâchent dans la nature. » Cela met en danger la vie des humains, selon elle, car des animaux qui errent dans les villes effrayés par les bombardements deviennent dangereux.
https://reporterre.net/Les-ours-paniquaient-ces-Ukrainiens-qui-sauvent-des-animauxLes animaux aussi souffrent des guerres... (et les guerres sont, particulièrement la guerre en Ukraine, des catastrophes écologiques totales. Cette guerre est terrible pour les hommes, mais aussi pour les écosystèmes, la biodiversité etc... sans parler des émissions de gaz qui sont dantesques. Alors clairement, tout le monde s'en fout, mais c'est assez ironique quand même, quand on voit le gouvernement avec son lising social et autres mesurettes. Mais bon.).
De plus, il faut savoir qu'en Ukraine, il n'existait pas de législation encadrant/interdisant la détention d'animaux sauvages/exotiques. En gros, littéralement n'importe qui pouvait posséder un ours ou un tigre dans son jardin (d'ailleurs, énormément de vidéos internet montrant des fauves dans des salons viennent de là-bas), avec la guerre, les propriétaires de ses animaux ont fuit/les ont laissé à leur triste sort, ce qui explique que pas mal de structures européennes, de refuges, de zoos, se démènent avec des bénévoles sur place pour essayer de les sauver. (cela dit, tous les propriétaires n'abandonnent pas leurs animaux, j'avais vu un reportage sur un couple qui endurait les bombardements pour rester auprès de leurs panthères).