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Des doudous au braconnage, comment expliquer l’évolution de notre rapport aux animaux ?
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Alors que les animaux nous accompagnent depuis la plus tendre enfance, qu’ils font partie de notre imaginaire et de nos modes d’identification depuis toujours… comment expliquer qu’on en vienne à les exterminer sans merci (à l’état sauvage, en batterie et en abattoir) ? Comment justifier que ce qui nous attendri quand nous sommes petits ne limite pas plus nos comportements une fois grands ? Eléments de réponse avec Karine Lou Matignon, écrivain et journaliste qui a coordonné le magnifique Révolutions Animales, paru à l’automne dernier.
Si le dernier rapport du WWF sur le braconnage et la déforestation illégale dans les sites naturels classés nous donne une fois encore des chiffres désastreux de la dissémination d’espèces sauvages dans des sites pourtant « protégés » par leur appartenance au patrimoine naturel de l’Unesco, il doit aussi nous interroger sur la manière dont nous construisons notre rapport aux animaux – et ce depuis la plus tendre enfance. Comment expliquez vous la construction de ce rapport à l’animal ?
C’est une question simple et complexe à la fois : de nos origines évolutives à notre conditionnement culturel en passant par l’évolution de la psychologie de l’enfant et la science qui transforme le regard qu’on porte sur les animaux, plusieurs facteurs pèsent dans notre perception de l’animal.
L’homme et l’animal ont toujours été liés, pour le meilleur et le pire. On le constate partout : dans les mythes, les symboles, les blasons, la publicité, notre quotidien… Hier il a nourri nos esprits, aujourd’hui nos réflexions et nos ventres. Il incarne nos fantasmes et nos peurs. Depuis nos origines il nous aide à définir le monde qui nous entoure et nous permet d’y trouver une place. Notre relation à l’animal est, en ce sens, quasi-obsessionnelle.
Nombre d’experts (évolutionnistes, ethnologues, etc.) estiment que cela est lié à notre évolution, au millier d’années passées auprès des animaux aussi bien sauvages que domestiqués. Les liens d’affection entre enfants et animaux existent donc depuis toujours : en Israel on a retrouvé un enfant enterré avec un chiot, il y 12 000 ans de ça. Dans la Rome et la Grèce Antique on trouve aussi des jouets à l’effigie des animaux. Erich Fromm, psychologue Allemand, ou Edward Osborne, biologiste Américain, ont en ce sens promu la notion de biophilie, ou amour de la vie en insistant sur l’affinité innée de l’homme pour les animaux et les systèmes naturels. Cet attachement spontané, qu’on retrouve chez les enfants, est un héritage évolutionnaire. Comme l’exprime également l’anthropologue Américain Pat Shipman, « sans les animaux le monde ne serait pas humain ; être humain, c’est vivre avec les animaux ».
Nos enfants portent donc cet héritage depuis l’origine…
Oui, c’est après qu’arrive le « problème » du conditionnement culturel. S’il y a des variantes selon les époques, depuis 2500 ans la philosophie et la religion monothéistes disent que les animaux sont sans raison et à notre disposition. Toujours en Occident, entre le 15 et le 17ème siècle le discours religieux condamnait l’attachement aux animaux. Puis on s’est intéressé à la sensibilité de l’animal; l’affection pour l’animal était symbole de vie bourgeoise avant de gagner le peuple, avant que le grand boom de l’ère industrielle ne transforment les animaux en véritable produit de consommation. Les années 1970 marquent le début d’une ère où l’on évoque le droit des animaux…
Le conditionnement varie aussi selon les pays. Fin 2010 la Bolivie avait un projet de charte pour accorder des droits à la terre. A la même époque en Iran des députés ont déposé un projet de loi pour interdire et juger les chiens, considérés impurs, représentatifs d’une société décadente, occidentale… C’est dire que les enfants se construisent selon le rapport à l’animal porté par la société dans laquelle ils grandissent. Avant d’être maîtres de leur pensée, ils subissent cette influence comme celle de l’école et de leur famille.
Comment la psychologie de l’enfant prend elle en compte les animaux ?
Dans les années 1950 des psychiatres comme le Britannique John Bowlby ne donnaient pas de place aux animaux : seule la mère comptait dans le développement de l’enfant. Ce n’est que vingt ans après que les psy ont suivi les éthologues en allant sur le terrain et en réalisant que l’environnement de l’enfant était plus large. Quelques pionniers ont su alors montrer l’impact positif de la présence d’un animal, quel qu’il soit, auprès d’un enfant dès les premiers mois et jusqu’à plus tard. Cela a ouvert un champs de réflexion considérable !
Comment expliquer que cette proximité avec l’animal, dans notre construction mentale, ne nous incite pas à être plus conscients du besoin de préserver la bio-diversité (animale et végétale) qui nous entoure ?
Peupler la chambre d’un enfant avec tonne de peluches adorables ne l’empêchera pas ultérieurement de se comporter de manière distanciée avec les animaux… Si on s’oblige inconsciemment à s’entourer d’animaux, cela n’indique pas l’attitude qu’on peut avoir après avec eux, tant au niveau individuel que collectif. C’est en partie parce que la recherche est en retard sur ce sujet en France que nous avons publié Révolutions Animales. On n’a jamais voulu se dire que la violence sur les animaux peut avoir une influence sur l’agressivité et la violence vis à vis des humains par exemple, alors que dans certains pays on observe des collaboration entre certains services (protection animale, justice, enfance) dès qu’on a un cas de maltraitance d’enfants dans une famille. On voit alors si le chien n’est pas maltraité par la même occasion, car souvent femmes et enfants battus le sont en même tant que le chien…
Les Etats-Unis développent aussi des programmes en pleine nature pour essayer de canaliser la violence de certains enfants. Des naturalistes, en 2005, ont lancé cette alerte en expliquant que réserver des espaces de nature pour immerger les gamins est crucial pour le bien même de la société…
Que nous apprennent ces études scientifiques aujourd’hui ?
Notre regard change sur les animaux au fur et à mesure que nous comprenons leur sensibilité et leur conscience. Cela devrait influencer toutes les structures de nos sociétés : l’économie et l’éducation de demain intègreront peut être plus cette question ! Comme nous comprenons mieux les fonctionnements de la nature et les liens biologiques et comportementaux que les enfants partagent avec elle, j’ai bon espoir que cette question animale fasse bientôt partie des obligations sociétales… Reste que la période est paradoxale : les enfants évoluent dans cette société où l’on parle de préservation et de droit animal tout autant que de braconnage et d’exploitation à outrance ! Il peut donc être difficile d’évoquer ces questions avec les plus jeunes… Sur ce point, les travaux d’une psychologue comme Gail Melson peuvent être utiles.
Anne-Sophie Novel
https://www.lemonde.fr/blog/alternatives/2017/04/19/des-doudous-au-braconnage-comment-expliquer-levolution-de-notre-rapport-aux-animaux/Citer:
Et si les animaux nous aidaient à penser ?
Par LIBERATION — 5 janvier 2019 à 11:41
Retrouvez tous les entretiens de notre série «Des animaux et des hommes» parus dans les pages Idées de Libé.
Et si les animaux nous aidaient à penser ?
Les humains sont-ils des bêtes comme les autres ? A travers des espèces qui peuplent nos imaginaires, nos appartements et nos forêts, «Libé» explore l’évolution de nos relations avec des animaux familiers. Et si les ours, chiens et autres cochons nous aidaient à repenser notre rapport à la nature et à redéfinir des mots comme «intelligence» ou «humanité» ? Retrouvez tous les entretiens de notre série «Des animaux et des hommes» parus ces derniers jours dans les pages Idées de Libé.
Baptiste Morizot : «Sur la piste du loup, l’homme, dépourvu de nez, doit éveiller l’œil qui voit l’invisible, l’œil de l’esprit»
«Je ne suis pas du tout misanthrope, j’aime beaucoup les humains, ce sont les animaux les plus intéressants qui soient. Au contraire, la sensibilité, la disponibilité aux autres êtres vivants produisent des effets émancipateurs sur les relations humaines. Cela nous rend, je l’espère, "mieux humains", parce que c’est une manière d’oublier son ego. Et pas sous des formes sacrificielles, mais plutôt comme on oublie son parapluie. Simplement parce que les autres sont bien plus intéressants. […] Pendant deux millions d’années, l’humain a dû enquêter pour trouver sa nourriture, suivre des traces pendant des heures, décrypter des pistes, savoir qui était l’animal, où il allait, ce qu’il faisait. Ces capacités de décryptage, de raisonnement ont été valorisées par l’évolution de telle manière qu’elles se sont sédimentées en nous. Et aujourd’hui, elles sont disponibles pour que nous en fassions tout autre chose : toutes les enquêtes possibles, par exemple dans les sciences et les arts.[…] Primates frugivores devenus omnivores à tendance carnivore, nous avons été obligés pour pister de compenser notre absence d’odorat en développant des capacités cognitives d’un autre degré que celles de nos cousins primates. Dépourvus de nez, il nous a fallu éveiller l’œil qui voit l’invisible, l’œil de l’esprit.»
Lire notre entretien avec Baptiste Morizot, maître de conférences en philosophie à l’université d’Aix-Marseille, auteur de Sur la piste animale.
Michel Pastoureau : «Le cousinage entre l’homme et le cochon est la source des interdits alimentaires qui visent cet animal trop humain»
«Dans l’hémisphère nord, on peut dire que déjà cinq cents ans avant notre ère, le porc joue un rôle très important dans l’imaginaire et les représentations de nombreux peuples, notamment en Europe les Germains et les Celtes. Non seulement le porc sauvage mais aussi le cochon domestique. Pour la médecine grecque, puis romaine, il existe déjà l’idée d’un cousinage anatomique et physiologique entre l’homme et le porc. Mais il faut attendre le Moyen Age et la grande médecine arabe pour que cette idée s’exprime plus nettement. De leur côté, les auteurs chrétiens des XIIe et XIIIe siècles reconnaissent trois animaux comme "cousins de l’homme". D’abord l’ours, qui lui ressemble extérieurement. Puis le cochon, qui lui ressemble intérieurement. Au point que, l’Eglise interdisant la dissection du corps humain, dans les écoles de médecine, on étudie l’anatomie humaine à partir de la dissection du verrat ou de la truie, avec l’idée qu’à l’intérieur "tout est identique" (ce que confirme pleinement notre savoir du XXIe siècle). Enfin, il existe un troisième "cousin de l’homme" : le singe. Mais là, tous les auteurs précisent qu’en fait le singe ne ressemble pas du tout à l’homme, mais qu’il est tellement diabolique qu’il fait semblant de lui ressembler. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que l’idée d’une ressemblance entre le singe et l’homme fasse son grand retour.»
Lire notre entretien avec l’historien médiéviste Michel Pastoureau
Rémy Marion : «L’ours est aussi imprévisible qu’un humain, et c’est peut-être cela qui est effrayant !»
«Globalement, les relations entre l’ours et l’humain sont plutôt apaisées. Mais l’ours est aussi imprévisible qu’un humain, et c’est peut-être cela qui est effrayant ! En règle générale, ils sont très pragmatiques dans leurs relations. Ils nous évitent, ne cherchent pas le conflit ou l’affrontement inutile, et s’ils nous croisent, ils tenteront de négocier pacifiquement un passage. Souvent, ils sont dans les parages sans que nous puissions les repérer, ils sont là sans être là. Dans certaines régions, les humains et les ours cohabitent très bien ensemble. Au Kamtchatka, les femmes cueillent des myrtilles au même endroit et au même moment que les ours, sans problème. Ces femmes et ces ours font et mangent la même chose. Mais attention, comme chez les humains, vous pouvez très bien tomber sur un psychopathe qui préférera vous attaquer.»
Lire l’entretien avec Rémy Marion, documentariste et auteur de l’Ours : l’autre de l’homme
«Sky Blue Sky»
Voir le diaporama «Rêves d’ours» de Kyriakos Kaziras
Eric Baratay : «Le chat va supplanter le chien, mais il doit se transformer en chat-chien»
«Un changement très important a lieu depuis une vingtaine d’années, qui vient d’abord des pays anglo-saxons : la volonté de transformer les chats en chiens. On demande aujourd’hui aux chats ce qu’on demandait aux chiens de compagnie il y a un siècle. Il faut qu’ils soient beaucoup plus joueurs, plus proches, plus interactifs. On peut voir aujourd’hui des chats victimes de l’anxiété de séparation que connaissaient déjà les chiens. C’est un symptôme nouveau chez le chat. Dans certains pays anglo-saxons, les chats sont tenus en laisse, comme on l’a fait pour les chiens au début du XXe siècle. La tendance a commencé en Nouvelle-Zélande, puis s’est étendue aux Etats-Unis, pour arriver très récemment au Royaume-Uni. Cela devrait logiquement s’étendre au continent européen sous peu. Les vidéos de chats sur Internet définissent très bien nos nouvelles attentes. Ils doivent jouer, être affectueux, sociables… Les éleveurs sélectionnent les portées et les croisements dans ce sens. Même dans les refuges, on sait que les adoptions seront favorisées par une plus grande sociabilité. Beaucoup d’associations pour la protection des animaux le savent et font en sorte que les chatons soient d’abord pris en famille d’accueil.»
Lire l’entretien avec Eric Baratay, spécialiste de l’histoire des relations hommes-animaux du XVIIIe siècle à aujourd’hui.
Emmanuelle Pouydebat : «Les animaux représentent des modèles et des solutions pour nous»
«Ce n’est pas tellement l’observation des animaux qui nous permettra de réacquérir des facultés que nous avons peut-être perdues. La question importante est celle du rapport avec notre milieu. Les premiers humains avaient beaucoup plus besoin de leurs sens pour localiser la nourriture, trouver des partenaires, fuir les prédateurs, s’orienter. Certaines zones du cerveau, en lien avec l’odorat, sont dans ces contextes beaucoup plus mobilisées. Nous les avons probablement encore, et nous pourrions peut-être les remobiliser en fonction des circonstances. Mais l’utilisation de ces capacités ne conditionne plus notre survie. Si je commets une erreur d’odorat, je ne mourrai probablement pas. Pour un animal en milieu naturel, c’est différent.»
Lire l’entretien avec Emmanuelle Pouydebat, directrice de recherche au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle, spécialiste de l’évolution des comportements.
Laurent Testot : «Le chien est comme un loup infantilisé à vie»
«Les chiens sont comme d’éternels adolescents. Il faut des générations et des générations avant que le loup ne devienne un chien, avec des caractéristiques très juvéniles, comme de petites dents, des oreilles tombantes, un museau plus court, de grands yeux, une moindre corpulence et surtout un comportement de chiot ou de jeune chien. L’aboiement est un trait néoténique (juvénile) du loup. Le loup n’aboie que lorsqu’il est louveteau. L’aboiement est une plainte, un appel à l’aide. On a besoin de sélectionner des individus aux comportements juvéniles pour mieux les dominer et les dresser. Le chien est comme un loup infantilisé à vie.»
Lire l’entretien avec l’essayiste et journaliste Laurent Testot auteur de Homo Canis (Payot, 2018).
https://www.liberation.fr/debats/2019/01/05/et-si-les-animaux-nous-aidaient-a-penser_1701019(je ne copie colle pas tous les articles qui s'ouvrent dans le sujet de Libé, mais évidemment ils sont inclus dans la présente discussion)
Je pense qu'il faut mieux ouvrir un sujet à part et plus généraliste, que de repartir sur le sujet sur l'écologie, afin de maintenir une forme de cohérence interne à chaque sujet...
On est à une époque où les liens homme/animal sont en train de se modifier en profondeur... entre la montée en puissance de la question du bien-être animal et du respect des espèces en général (ce que je trouve très bien), de la question des rapports entre le monde "civilisé" et la faune sauvage (en particulier les grands prédateurs, comme le Loup et l'Ours en France)... et finalement une forme de remise en cause de notre place sur la planète... (ce que je pense être un bon apprentissage aussi, nous ne sommes pas tout-puissants, nous sommes une pièces du puzzle, pas le puzzle tout entier...).
Et les rapports avec nos animaux domestiques, qui eux aussi changent... entre liens très forts et abandons de masse...
Bref, des tas de questions qui se bousculent et s'entrechoquent, je pense que ça peut faire une discussion intéressante...
Pour ma part, je pense que ça ne passe pas inaperçu, les animaux tiennent une grande place dans ma vie.
Je ne conçois pas du tout de vivre sans un animal, au moins, à mes côtés... autant je peux vivre en ermite assez souvent. Autant me retrouver dans un appart/maison vide de mon chat, il me manque un truc... Un petit bout de moi-même, presque...
Sans doute parce qu'avec les animaux, et je pense que c'est souvent le cas chez les personnes qui sont proches d'eux, on ne craint pas d'être jugé, rejetés etc... ils nous prennent comme nous sommes, et ils sont toujours fidèles à eux-mêmes...