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Peut-on établir un lien entre les violences faites aux animaux et celles au sein de la famille?
Lucie Inland — Édité par Émile Vaizand — 23 juin 2023 à 19h00
Encore méconnu en France, un concept a pour ambition d'accompagner les vétérinaires, afin de détecter les violences domestiques.
En mars 2023, à Paris, le colloque pluridisciplinaire «Une seule violence» a exploré la corrélation entre la violence sur les êtres humains et celle sur les animaux.
Indispensables pour soigner et suivre la santé des animaux, les vétérinaires peuvent aussi être des vigies du bien-être humain, plus précisément en cas de violences intrafamiliales. C'est le concept du Lien (Link en anglais), «l'idée que les actes de violence interpersonnelle sont fréquemment précédés ou accompagnés d'actes de cruauté envers les animaux», selon l'auteur Phil Arkow, dans sa préface de l'ouvrage Animal Cruelty, Antisocial Behavior, and Aggression: More than a Link de la professeure en psychologie Eleonora Gullone. Phil Arkow est le coordinateur de la National Link Coalition, dont les travaux essaiment un peu partout dans le monde, y compris en France.
Ce lien est observé depuis une quarantaine d'années par de nombreuses personnes travaillant au contact des animaux et des humains: vétérinaires, médecins, travailleurs sociaux, psychologues, juristes, mais aussi sociologues et criminologues. Une donnée non négligeable dans notre pays, dont la moitié des foyers possèdent au moins un animal de compagnie.
Aux États-Unis, le Link est désormais bien connu et identifié par de nombreuses collectivités qui apprennent «à leurs personnels à identifier les signes de maltraitance animale comme indicateurs possibles d'autres comportements agressifs», indique Phil Arkow. «Depuis 2015, la police américaine collecte des données sur les actes de cruauté envers les animaux domestiques, qui sont ensuite mises en relation avec des violences familiales ou des homicides», écrit le professeur grenoblois de psychologie sociale Laurent Bègue-Shankland, dans un article pour The Conversation. Le Link est bien moins connu en France, mais des vétérinaires bien entourés travaillent à le faire reconnaître.
«Tabasser un chien, c'est une façon de montrer qui est le patron»
Anne-Claire Gagnon est vétérinaire, autrice et cofondatrice en 2018 de l'Association contre la maltraitance animale et humaine (AMAH), qui œuvre à visibiliser la mécanique du Lien. Elle a aussi été formée à la psychologie par la professeure Mireille Cyr, afin d'apprendre à recueillir la parole de façon efficace. «Au moment où le sénateur Arnaud Bazin [élu Les Républicains, et aussi vétérinaire, ndlr] nous a contactés, notre association AMAH avait un projet de colloque. Cela nous a donné l'opportunité de pouvoir proposer des intervenants pour un évènement de plus grande ampleur, de rencontrer de nouveaux interlocuteurs comme le pôle juridique de Toulouse ou l'association Fédération nationale solidarité femmes en charge du 3919.»
Le 17 mars 2023 à Paris, le colloque pluridisciplinaire «Une seule violence» a permis à Anne-Claire Gagnon de présenter ses travaux, ainsi que ceux d'autres spécialistes explorant la corrélation entre la violence sur les êtres humains vulnérables et celle sur les animaux. Le tout sous le parrainage d'Arnaud Bazin, un des artisans de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, et du député européen François-Xavier Bellamy (Les Républicains).
Anne-Claire Gagnon explique le retard français sur la considération du Lien par la persistance «de nombreuses frontières entre le monde de la santé humaine, celui de la justice et le monde vétérinaire». Elle s'applique à les faire tomber avec d'autres vétérinaires depuis 2011. «Lorsque nous disons que quand un animal est maltraité au sein du foyer, un enfant et sa mère sont en danger, et réciproquement, nous lisons sur le visage de certains professionnels de santé, ou même de législateurs, l'incrédulité voire l'inconfort, car ils sont dubitatifs et même choqués qu'un animal puisse permettre de sauver des vies humaines au sein d'un foyer. Alors que c'est une réalité.»
Une réalité également observée par l'anthropologue Dorothée Dussy, autrice de Le Berceau des dominations, une enquête sur l'inceste parue en 2013, puis rééditée en 2021. Elle y raconte l'histoire d'une femme, violée par son père durant son enfance. Lors d'un repas, il éventre le chien de la famille sur la table, prétextant ne pas avoir été entendu quand il demandait du pain. Dans un entretien pour le mensuel CQFD de juin 2021, Dorothée Dussy développe: «On peut aussi instaurer un climat de crainte généralisé, par exemple en massacrant les animaux domestiques. Tabasser un chien, tuer des chats de façon atrocement cruelle, c'est une façon de montrer qui est le patron. Le message est clair: si tu ne files pas droit, voilà ce qui peut t'arriver.»
Des avancées, mais la nécessité de reconnaître plus largement le Lien
Les humains et les animaux sont parfois unis par un type particulier de violence: la zoophilie. L'association Animal Cross, présidée par Benoît Thomé, présent sur la scène du colloque «Une seule violence», produit un travail de référence sur le sujet, comme l'enquête publiée en septembre 2021 et intitulée «La zoophilie, cette réalité qu'on ne veut pas voir en France». L'étude estime qu'en France au moins 10.000 personnes imposent régulièrement des rapports sexuels à des animaux, qu'environ 250.000 hommes (soit moins de 1% des hommes adultes) ont déjà commis ce genre d'acte au moins une fois dans leur vie, et qu'au moins 1,5 million d'hommes (soit environ 5% des Français adultes) ont déjà consommé du contenu zoopornographique au cours des six derniers mois.
Des chiffres glaçants et probablement sous-évalués. Il faut d'ailleurs préciser que les auteurs de violences zoophiles sont très majoritairement des hommes. Durant le colloque de mars 2023, la vétérinaire Stéphanie Coupel est revenue sur une consultation qui la hante encore des années après, celle d'un chien amené par sa propriétaire. La veille, le canidé et sa maîtresse ont été contraints, par le conjoint de celle-ci, d'avoir ensemble une relation sexuelle zoophile.
Impossible de lutter contre ces pratiques sans agir selon la logique du Lien, selon Anne-Claire Gagnon. «C'est au législateur et à la société, aux côtés des associations de protection des enfants et de protection des animaux d'agir ensemble puisqu'on sait malheureusement –les récentes affaires dans lesquelles l'association La Voix de l'enfant s'est portée partie civile en témoignent– que pédocriminalité et zoocriminalité vont de pair. Il serait légitime que les Criavs [Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles, placés sous la tutelle du ministère de la Santé, ndlr] intègrent les violences sexuelles faites aux animaux, pour porter assistance aux victimes humaines qui sont contraintes à de telles pratiques par le tiers violent. Pour les animaux victimes, l'évaluation comportementale par un vétérinaire est nécessaire avec une rééducation et un placement dans un foyer adapté. Et donc un travail collégial entre la santé humaine et vétérinaire est nécessaire.»
Pour le côté légal, le sénateur Arnaud Bazin a fait intégrer à la loi de 2021 contre la maltraitance animale certaines mesures renforçant la pénalisation de la zoophilie. Cependant, la consultation d'images zoopornographiques par des adultes n'est à ce jour pas sanctionnée (celle par des mineurs l'est).
Le Code pénal permet désormais de lever le secret professionnel des vétérinaires auprès du procureur de la République. Les signalements sont directement faits auprès de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), conformément à l'article L203-6 du Code rural et de la pêche maritime, ou du procureur (article 226-14 du Code pénal). Le 28 octobre 2022, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé la création d'une division de policiers et gendarmes spécialisés dans les enquêtes contre la maltraitance animale. Une bonne décision, mais qui impose plus que jamais une reconnaissance du Lien par toute la société.
https://www.slate.fr/story/248695/veterinaires-detecter-violences-domestiques-intrafamiliales-maltraitance-cruaute-animale-lien-linkUn article très intéressant sur un concept développé aux Etats-Unis et peu connu en France : le Lien.
Le lien entre violence faite aux animaux d'un foyer et celle faite aux enfants et aux femmes.
Et effectivement, quand on a plus de détail sur des hommes poursuivis pour de graves violences volontaires sur leurs animaux de compagnie, on se rend compte qu'ils frappent leur femme et/ou leurs enfants. Voire qu'on a affaire à de véritables tyrans domestiques...