Citer:
Faut-il mettre en place une contribution sur le marché du livre d'occasion pour protéger auteurs et éditeurs ?
C'est la volonté d'Emmanuel Macron. Aujourd'hui, un livre acheté sur cinq est un livre d'occasion, or les auteurs et éditeurs ne perçoivent aucune rémunération sur les livres d'occasion.
"On va mettre en place au moins une contribution qui puisse permettre de protéger le prix unique et permettre à nos auteurs, éditeurs et traducteurs aussi d'être mieux aidés", a annoncé ce vendredi le chef de l’État, sans plus de détails, précisant que la ministre de la Culture, Rachida Dati, allait faire des annonces sur le sujet avant la fin du Festival du Livre. D'ajouter : "Ce qui est vrai, c'est que le livre d'occasion, quand il est fléché par certaines plateformes, c'est une espèce de mauvais usage, en tout cas de contournement de ce prix unique"
Cette annonce fait suite à la publication d’une étude inédite sur le marché du livre d’occasion en France, menée par le ministère de la Culture et la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit, la SOFIA*.
Un livre acheté sur cinq est un livre d'occasion et en 2022, selon cette étude, ce secteur a généré 350 millions d'euros de chiffre d'affaires pour 80 millions d'exemplaires vendus (+ 30 % en cinq ans) face aux 320 millions d'ouvrages neufs. Or les auteurs et éditeurs ne perçoivent aucune rémunération sur les livres d'occasion. Le directeur de la SOFIA, Geoffroy Pelletier, était l'invité de notre journal de 12h30 de ce samedi 13 avril.
Que montre votre large étude sur le marché du livre d'occasion ? Comment expliquez-vous son essor ?
Cette étude montre plusieurs tendances. Le marché du livre d'occasion augmente plus vite, beaucoup plus vite dans certains secteurs de l'édition que le marché du neuf. Et c'est vrai à la fois en nombre d'acheteurs de livres d'occasion, en nombre d'exemplaires achetés et même en montant dépensé par ces acheteurs d'occasion.
Un livre sur cinq achetés est effectivement un livre d'occasion, c'est le chiffre pour l'ensemble du secteur. Mais si on regarde certains domaines de l'édition en particulier, comme les littératures, on constate qu'un livre sur trois achetés est d'occasion. Et pour le roman policier, on est maintenant à un livre sur deux achetés qui est d'occasion.
À écouter : Retour sur vingt ans de polar en France
L'Info culturelle : reportages, enquêtes, analyses
ÉCOUTER PLUS TARD
5 min
On a aussi une augmentation du nombre d'acheteurs. Un acheteur de livres sur quatre aujourd'hui achète du livre d'occasion et ce sont essentiellement les mêmes acheteurs que ceux qui achètent du livre neuf.
Les raisons sont multiples. On a assisté à deux changements de paradigme. Moi, je suis d'une génération où on tombait par hasard sur un livre d'occasion. Aujourd'hui, quand vous cherchez un livre sur Internet, on vous le propose systématiquement aussi d'occasion. Vous n'avez pas forcément prémédité d'acheter d'occasion, mais le site Internet vous le propose. Vous avez aussi des sites comme momox ou Rakuten qui se sont développés et qui proposent une offre considérable. Et puis, il y a eu un deuxième changement de paradigme il y a quelques années, c'est ce que l'étude montre. C'est l'apparition de sites de vente en ligne entre consommateurs eux-mêmes, type Vinted ou leboncoin, qui sont maintenant aussi utilisés pour la vente de livres d'occasion.
Il est aussi de plus en plus simple de revendre ses livres. 4 Français sur 10 revendent leurs livres qui deviennent des livres d'occasion, parfois de seconde main, mais qui peuvent être aussi de troisième ou de quatrième main. Un livre peut se revendre plusieurs fois.
Ce marché du livre d'occasion représente, d'après votre étude, une manne financière désormais de 350 millions d'euros. C'est 30% de plus qu'il y a cinq ans. Quelles sont les conséquences sur les acteurs de la chaîne du livre ?
C'est une fourchette basse, car d'autres études montraient même un chiffre d'affaires plus important. Mais en tout cas, oui, c'est devenu significatif. Et je crois que l'étude le montre bien. Il y a une prise de conscience de tout le monde sur l'importance du marché de l'occasion aujourd'hui.
La première conséquence, il faut peut-être le rappeler, c'est que les auteurs et les éditeurs ne perçoivent aucune rémunération sur des ventes de livres d'occasion. Et ça, les acheteurs ou les lecteurs de livres d'occasion ne le savent pas toujours. Vous n'avez aucune rémunération prévue aujourd'hui sur une revente de livres d'occasion à l'inverse du marché du livre neuf.
L'instauration d'une contribution sur le marché du livre d'occasion vers la chaîne du neuf pour protéger les acteurs de l'édition face au développement de la revente, c'est ce que souhaite le chef de l'État. Est-ce une bonne solution selon vous ?
Ce que dit le chef de l'État et ce qu'a dit aussi la ministre de la Culture nous incitent à réfléchir tous ensemble, mais rapidement, à ce qui pourrait être une solution, effectivement, pour venir compenser ces pertes de revenus, cette perte de valeur pour les auteurs et les éditeurs. On le sait, dans un secteur du livre où les marges sont déjà réduites, peut-être qu'il est encore un peu tôt pour parler de rémunération, de contribution, de taxes.
Je crois qu'il faut qu'on réfléchisse tous ensemble, tous les acteurs de la chaîne du livre. Si je remonte un peu dans le temps, cela fut le cas il y a vingt ans sur une autre question, celle du prêt du livre en bibliothèque. Nous nous sommes tous ensemble mis autour de la table, tous les acteurs de la chaîne du livre, les collectivités, l'État, et nous avons trouvé ensemble une solution innovante, efficace et qui fonctionne encore aujourd'hui. Elle permet de compenser les pertes de revenus liées aux achats de livres par les bibliothèques qui ne sont achetés qu'une fois mais qui peuvent être prêtés à plusieurs reprises. Cela n'a pas pénalisé le développement des lectures publiques et cela ne s'est pas opposé à une diffusion marchande du livre.
Je pense que l'on peut trouver ensemble aujourd'hui une solution qui permettrait, qu'elle soit volontaire ou obligatoire, de continuer de favoriser le développement du marché du livre d'occasion, mais qui ne se fasse pas au détriment, comme c'est le cas aujourd'hui, de la rémunération, de la création, et donc des auteurs et des éditeurs.
Mais concrètement, quels autres types de solutions peut-on imaginer ?
La contribution, la taxe, c'est une solution. Il faudra que l'on regarde si elle peut être mise en œuvre, comment cela peut s'organiser aujourd'hui, auprès de quels acteurs et comment cela peut être ensuite redistribué aux auteurs et aux éditeurs concernés. C'est toute la question d'une gestion collective dont la SOFIA est garante.
Des dispositifs aussi sont un peu parallèles, comme le régime de retraite des auteurs financé actuellement par du droit d'auteur. On pourrait imaginer que cette contribution volontaire ou obligatoire vienne alléger la pression sur les revenus des droits d'auteur pour financer le régime de retraite complémentaire et du coup retrouver des revenus complémentaires pour les auteurs et les éditeurs.
* "Réalisée en 2022-2023 sous la direction de Bertrand Legendre et d’un comité scientifique, en lien avec les organisations professionnelles"
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-info-culturelle-reportages-enquetes-analyses/livres-d-occasion-nous-devons-reflechir-a-une-solution-pour-garantir-les-revenus-des-auteurs-et-editeurs-3587911Je souffle très fort (personnellement, si j'achète encore des livres de poches en neuf, les gros formats c'est généralement avec mes chèques cadocs de Noël du boulot, et sinon jamais de romans en neuf à 20 balles. 20 balles pour un roman policier que je vais trucider en 2-3 jours, c'est un peu cher payé de mon point de vue...
). Je pense que dans ma bibliothèque je suis à largement 90% de livres achetés d'occasion.
Bon, après je comprends la nécessité de mieux rémunérer la création... maintenant, on peut aussi peut-être analyser qui gagne quoi ? dans cette histoire. Pourquoi on ne parle pas aussi de ce que gagne les éditeurs..?
Et pourquoi ça serait au lecteur de payer, alors qu'effectivement pas mal de plateformes profitent effectivement de la manne que représente ce marché du livre d'occasion ?
Parce qu'objectivement, un livre neuf en début de sortie c'est grosso modo autour de 20 balles... donc oui, logique que de plus en plus de gens achètent en occasion...
Ensuite, quid des brocantes, des braderies de livres (souvent organisées pour une cause particulière en plus) en tout genre ou des Emmaüs ?
(bon, j'ai du bol, d'ici qu'arrive la prochaine braderie de la FNAC* - la seule et l'unique en France, et elle est à Dijon
- la loi sera pas passée...
)
*Organisée pour le Secours Populaire. Je n'y vais pas uniquement parce qu'il y a plein de choix pour des prix forts intéressants, mais aussi par altruisme, vous vous en doutez....
Disons que ça me donne une bonne excuse pour acheter encore trop, beaucoup trop, de livres : c'est pour la bonne cause, c'est pour les petits enfants qui peuvent partir en vacances tout ça tout ça...