Nous sommes actuellement le 27 Avril 2024, 12:50

Le fuseau horaire est réglé sur UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 2 messages ] 
Auteur Message
MessagePublié: 09 Novembre 2023, 16:04 
Lueur dans la nuit
Lueur dans la nuit
Avatar de l’utilisateur
Hors-ligne

Inscription: 13 Août 2008, 12:14
Messages: 5581
Citer:
La cause de la mort d'Edgar Allan Poe, un secret englouti dans les ténèbres
Jean-Christophe Piot — Édité par Natacha Zimmermann — 8 novembre 2023 à 20h00

Le 3 octobre 1849, l'écrivain est découvert à peine conscient au coin d'une rue de Baltimore.


Tout le monde n'a pas forcément lu Double Assassinat dans la rue Morgue, Le Scarabée d'or ou La Lettre volée mais une chose est sûre: l'ombre d'Edgar Allan Poe pèse toujours sur la fiction occidentale, et pas qu'un peu. Moins connu en France qu'aux États-Unis, le natif de Boston irrigue encore et toujours les œuvres contemporaine au gré des inspirations, des hommages et des références.


Un de ses écrits, surtout, domine: un étrange et obsédant poème publié en 1845 par une revue qui l'avait acheté pour la somme extravagante 9 dollars, The Raven (Le Corbeau). Célèbre pour l'unique réponse («nevermore», «jamais plus») que le piaf fournit au narrateur qui lui demande ce qu'il fout dans sa chambre, Le Corbeau est littéralement partout, des Simpson à Terry Pratchett en passant par le métal et Serge Gainsbourg (les premiers vers d'«Initials B.B.» sont une référence directe au poème).

Dans la série Wednesday Addams, on frôle l'overdose référentielle: l'école s'appelle la Nevermore Academy, on y trouve une statue d'Edgar Allan Poe avec l'inévitable corbeau dans les bras, la compétition annuelle s'appelle la «Poe Cup» et la fête au cours de laquelle Jenna Ortega exécute sa célèbre danse se nomme «la Rave'N». N'en jetez plus.

Bref, dès qu'on croise un corbeau dans une œuvre, Edgar Allan Poe n'est pas loin et même l'équipe de football américain de Baltimore, les Ravens, lui doit son nom pour la bonne raison que c'est là que l'auteur a cassé sa pipe en 1849, quelques jours à peine après son arrivée dans la plus grande ville du Maryland.

«Un monsieur qui paraît dans une grande détresse»
Parti de Virginie, Edgar Allan Poe débarque à Baltimore le 27 septembre 1849 dans l'idée de réunir des fonds pour financer une revue littéraire –ce qui n'est pas gagné d'avance. À tout juste 40 ans, il est certes un journaliste et un écrivain réputé mais il navigue entre la pauvreté et la misère. On perd alors sa trace jusqu'au 3 octobre, quand un typographe du Baltimore Sun le ramasse dans le caniveau pas loin d'un pub.

Edgar Allan Poe est dans un sale état, à en juger par le message que reçoit un de ses amis, Joseph E. Snodgrass: «Il y a un monsieur, plutôt dans un mauvais état, au 4e bureau de scrutin de Ryan, qui répond au nom d'Edgar A. Poe, qui paraît dans une grande détresse et qui dit être connu de vous, et je vous assure qu'il a besoin de votre aide immédiate.»

Sur place, Joseph E. Snodgrass constate que son ami nage en plein délire. Il le conduit donc au Washington College Hospital en compagnie d'un oncle de l'écrivain, Henry Herring. Mais Edgar Allan Poe ne retrouve pas ses esprits, au contraire. Il bafouille plus qu'il ne parle et passe d'une torpeur profonde à des phases d'excitation aigues.

Edgard Allan Poe s'éteint le 7 octobre vers 3h30 du matin, quatre jours après avoir été admis à l'hôpital et sans avoir véritablement repris conscience. Pour Joseph E. Snodgrass et Henry Herring, sa mort fait peu de mystère. L'écrivain oscille depuis longtemps entre des phases de sobriété totale et des moments d'alcoolisme aigu. Et après tout, on l'a retrouvé devant un pub. Edgar Allan Poe serait donc mort d'avoir trop bu. Les journaux du lendemain ne disent pas autre chose en évoquant une «congestion cérébrale», un des doux euphémismes qu'on utilise alors pour évoquer des morts aux causes honteuses comme l'alcoolisme. Fermez le ban.

Les habits d'un autre
Mais à bien y regarder, quelque chose cloche. D'abord, il ne demeure aucune archive, aucune source médicale pour confirmer la mort par excès d'alcool. Il n'existe aucun certificat de décès au nom d'Edgar Allan Poe et aucun médecin n'a fait de déclaration publique sur le sujet dans les jours qui ont suivi sa disparition. Ensuite, il était sobre depuis plus de trois mois à son arrivée à Baltimore. S'il y a eu rechute, elle a été carabinée.


Mais le plus étonnant, c'est la manière dont il était vêtu quand on l'a ramassé dans le caniveau. Alors que l'écrivain mettait un point d'honneur à s'habiller avec soin et à ne se montrait jamais en public autrement que tiré à quatre épingles, il portait des hardes puantes. Une gabardine mal découpée, un falzar usé jusqu'à la trame, des croquenots dont ne voudrait pas l'Armée du Salut, un chapeau défoncé et une chemise crasseuse –le tout trop grand pour lui, de deux bonnes tailles.

Et il n'y a pas que ça. Edgar Allan Poe a toujours été reconnu pour son élocution irréprochable, sa répartie et la vivacité de son intelligence souvent mordante. Or, plusieurs jours après cet hypothétique dernier verre de trop, il se montre toujours incohérent, incapable d'apporter la moindre explication et il bafouille plus qu'il ne parle. Tout ce qu'il parvient à répéter dans les dernières heures, c'est un nom: Reynolds.

Bref, l'un des auteurs les plus connus des États-Unis a été retrouvé incohérent devant un pub avec des fringues qui n'étaient pas les siennes, avant de claquer d'on ne sait quoi, en murmurant le nom d'un parfait inconnu.


Légende noire
La nature et le grand public ayant horreur du vide, le mystère de la mort d'Edgar Allan Poe a très vite conduit à une foule de thèses plus ou moins crédibles –plutôt moins que plus dans pas mal de cas. Pour être honnête, la thèse de l'overdose alcoolique ne s'écarte pas d'un revers de main, d'autant qu'au vu de ses faibles moyens financiers, l'écrivain devait plutôt faire dans la bibine frelatée que dans le bourbon haut de gamme. La thèse d'un Poe consumé par l'alcool correspond à ce qu'on lit dans la presse contemporaine, où l'auteur est dépeint comme un marginal aux mœurs dissolues.


Largement nuancé depuis, ce cliché tenace s'explique d'une part par le succès des ligues de tempérance qui se multiplient aux États-Unis au milieu du XIXe siècle, d'autre part par le procédé passablement dégueulasse d'un vieil ennemi d'Edgar Allan Poe, le révérend Rufus Wilmot Griswold. Au lendemain de la mort du poète, le révérend signe courageusement d'un pseudonyme une nécro particulièrement abjecte. Il y accuse l'auteur d'avoir consommé de l'alcool et de l'opium au-delà de toute mesure, mais aussi d'avoir vécu une existence d'érotomane et de dépravé. Et il règle ses comptes avec lui en ajoutant que les contes noirs qui sont sa marque ne sont que le reflet de sa sinistre existence.


Mais ce qui fait que la thèse de la cuite mortelle a du plomb dans l'aile, c'est un témoignage de première main: celui du docteur John Moran, l'un des médecins qui a soigné l'écrivain à Baltimore. Agacé par les rumeurs qui couraient sur la mort de son patient, John Moran s'est fendu d'un texte limpide, hélas publié trente-cinq ans plus tard: «Edgar Allan Poe n'est pas mort sous l'effet d'une quelconque intoxication et aucune d'odeur d'alcool n'était détectable dans son haleine ou sur sa personne.»


Mystère et boule de gomme
Si ce n'est pas l'alcool, qu'est-ce qui a tué Poe? La liste des causes avancées est d'autant plus longue que les signes cliniques décrit par les témoins peuvent correspondre à beaucoup de choses, de la tumeur cérébrale au diabète en passant par la syphilis, l'épilepsie et la méningite, sans oublier l'empoisonnement –meurtre ou suicide, chacun y va de sa version joyeusement infondée.

Un médecin américain, le cardiologue R. Michael Benitez, a émis en 1995 l'hypothèse de la rage, une maladie particulièrement sympa dont la forme ultime se traduit par une infection du système nerveux central, avec son lot de délires, d'agitation, parfois d'hallucinations et d'un refus phobique de boire de l'eau –un des symptômes d'Edgar Allan Poe.

Le point commun de toutes ces hypothèses: aucune n'explique pourquoi l'écrivain portait des habits qui ne lui appartenaient pas. Certains ont imaginé une rencontre avec des truands qui l'aurait dépouillé de ses vêtements avant de lui cogner dessus un peu trop fort. Mais outre le fait qu'on voit mal pourquoi les malandrins en question se seraient donné la peine de le rhabiller, aucun témoin n'a évoqué de traces de coups.


Un vilain coup dans les urnes?
Alors? Alors, reste une hypothèse que rien ne permettra jamais de confirmer, mais qui aurait l'avantage d'expliquer le mystère. 1849 est une année d'élections à Baltimore, celle du shérif en l'occurrence. Et il se trouve que le pub devant lequel on a retrouvé Edgar Allan Poe servait précisément, à cette date, de bureau de vote. Or, ces mêmes scrutins se distinguent bien souvent par un art du trucage qui ne relève pas du sport national, mais presque.


Pour gagner, certains candidats ne reculent devant rien et l'une des techniques identifiées, le cooping, mérite le détour. Dans le principe, c'est assez simple: on paie quelques gros bras pour attraper la veille un brave passant déjà bien attaqué et on lui fait ingurgiter un mélange d'alcool et d'une quelconque saloperie, disons du laudanum. Il ne reste plus qu'à le promener de bureau en bureau pour le faire voter plusieurs fois, quitte à changer ses vêtements pour passer inaperçu –tiens, tiens.

L'hypothèse expliquerait à la fois sa mort, ses incohérences, les fringues qu'il portait et jusqu'à ce nom répété à la fin, Reynolds. Il peut s'agir soit d'une des fausses identités qu'on lui aurait fait prendre, soit du nom d'un charpentier de Baltimore qui jouait le rôle d'assesseur dans le quartier où Edgar Allan Poe a été retrouvé, à en croire les registres de la Société historique du Maryland. Reste que là encore, le nombre de conditionnels et de points d'interrogation reste trop élevé pour affirmer quoi que ce soit.

On ne découvrira sans doute jamais la réponse au dernier mystère d'Edgard Allan Poe. Ce qui n'empêchera bien sûr personne de méditer, sur le minuit lugubre, faible et fatigué, sur le précieux et curieux volume d'une doctrine oubliée.



https://www.slate.fr/culture/histoires-sans-fin/mort-edgar-allan-poe-dernier-mystere-baltimore-cause-inconnue-theories-alcool-rage-suicide-meurtre

En cette période post-Halloween, j'ai trouvé l'article de circonstances... :mrgreen:

Si on a coutume de lire qu'Edgar Allan Poe serait mort de son addiction à l'alcool... à y regarder de plus prêt, la réalité n'est peut-être pas si simple... :think:

_________________
Même si on ne nous laisse qu'une ruelle exiguë à arpenter, au-dessus d'elle il y aura toujours le ciel tout entier.
Etty Hillesum, Une vie bouleversée


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
MessagePublié: 09 Novembre 2023, 23:14 
Membre
Membre
Avatar de l’utilisateur
Hors-ligne

Inscription: 18 Novembre 2020, 12:02
Messages: 1003
Localisation: Sur ta rétine
La dernière hypothèse sur la cause de la mort d'Edgar Poe évoquée dans l'article, comme d'ailleurs dans la notice Wikipedia, à savoir celle du "cooping", technique barbare de bourrage d'urnes, au moyen d'un infortuné passant qu'on fait voter n fois dans différents bureaux de vote après l'avoir drogué/alcoolisé et travesti pour éviter qu'il soit reconnu, est à mon avis certainement la bonne.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis:  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 2 messages ] 

Le fuseau horaire est réglé sur UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 6 invités


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas transférer de pièces jointes dans ce forum

Rechercher:
Atteindre:  
Développé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction française officielle © Maël Soucaze