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 Sujet du message: Les fantômes d'Ishinomaki
MessagePublié: 26 Janvier 2021, 17:33 
Lueur dans la nuit
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Quand les fantômes japonais nous font réfléchir aux catastrophes
4 octobre 2018, 19:01
Yuji Nishiyama
Associate Professor of philosophy, Tokyo Metropolitan University
Yoann Moreau
Anthropologue , Mines ParisTech



Le 11 mars 2011, le nord-est du Japon a subi une triple catastrophe : le tremblement de terre, le tsunami et l’accident grave de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. Cette triple catastrophe a provoqué de lourdes pertes, à la fois matérielles et spirituelles. Le jour même, le désastre a ôté la vie à 15 894 personnes ; 3 500 sont décédées de causes « indirectement liées au désastre » (震災関連死 : shinsai kanren shi).

À ces morts s’ajoutent les disparus, dus principalement au tsunami : 2 600 personnes dont on ne retrouve pas les corps et dont l’existence demeure pour leurs proches en suspens, à mi-chemin entre la vie et la mort. Après la catastrophe, un certain nombre d’habitants de la région du Tōhoku ont cru voir réapparaître un de leurs proches disparus sous la forme d’un revenant (幽霊 : yūrei).

Ces expériences ont suscité de multiples réactions : émissions de télévision, ouvrages d’analyse ou de fiction qui tentent de donner un sens à ces rencontres et, à travers elles, à la catastrophe vécue par les Japonais. C’est le cas par exemple du best-seller de Shūji Okuno, Soyez auprès de moi, même sous forme d’âme : Écouter les expériences spirituelles après le 11 mars, ou encore de l’ouvrage Les fantômes du tsunami, par Richard Lloyd Parry.

De telles rencontres modifient nos manières de penser la causalité et la logique – ce que Jacques Derrida a appelé une « hantologie », ou « logique du fantôme ».

Cet article esquisse une « hantologie » de Fukushima en se penchant sur la manière dont ces récits mettent en scène la relation aux morts, mais aussi les possibilités de penser l’avenir après la catastrophe.


Fukushima Daiichi, le jour même, le désastre a ôté la vie à 15 894 personnes. Author provided
« Est-ce que je suis morte ? »
Dans une thèse intitulée « La ville visitée par les morts. Des phénomènes fantomatiques des chauffeurs de taxi », la sociologue japonaise Yuka Kudo enquête sur les rencontres entre chauffeurs de taxi et fantômes, notamment dans les villes d’Ishinomaki et de Kesennuma. Les récits de ces expériences sont d’autant plus intrigants que les rencontres avec des fantômes se sont produites dans l’espace confiné d’une voiture, et que les chauffeurs ont donc discuté avec eux de très près, dans une situation de grande promiscuité.

Parmi les cas cités par Kudo se trouve celui d’un chauffeur qui, au début de l’été suivant le tremblement de terre de 2011, est interpellé par une cliente habillée d’un manteau épais. Elle lui demande d’aller à Minami-hama, un quartier côtier complètement dévasté par le tsunami, et désormais réduit à un vaste terrain vide. Le chauffeur la prend à bord de son taxi, mais, tandis qu’il conduit, il est pris d’un doute. Il lui demande : « Pourquoi souhaitez-vous aller à Minami-hama ? Vous n’avez pas chaud avec ce manteau ? » Elle lui répond d’une voix tremblante : « Est-ce que je suis morte ? » Tout surpris, il se retourne, mais ne trouve personne dans la voiture.



En août 2013, un autre chauffeur remarque une petite fille toute seule au bord de la route, en pleine nuit. Elle est en tenue d’hiver. Elle porte un manteau, un bonnet, une écharpe et des bottes, un accoutrement tout à fait hors saison. Comme il est minuit, il lui demande : « Petite, où sont ton papa et ta maman ? ». Elle lui répond : « Je suis seule ». Comme il estime que c’est une enfant perdue, il décide de l’emmener chez elle. À l’arrivée, elle disparaît en un instant, tout en disant : « Merci, monsieur ».

Le plus remarquable dans ces nombreux récits rapportés par Yuka Kudo tient aux réactions des chauffeurs de taxi. S’ils sont effrayés, tous témoignent a posteriori d’un profond respect pour ces entités qu’ils désignent sous les termes de « personnes ». Ils n’expriment pas de peur à leur égard, leur surprise initiale s’étant rapidement transformée en une forme de « déférence ».

Ils prennent ainsi la défense de ces morts qu’ils rencontrent. Lors de l’enquête menée par Kudo, l’un des chauffeurs s’énerve en lui disant : « Ne les appelle jamais « des fantômes » (yurei) avec un air de mépris ». Un autre raconte : « Le jour même de [ma rencontre avec cette « personne »] je me suis retenu d’en parler à quelqu’un d’autre, et maintenant je suis résolu à la garder secrète. Car si les autres pensent que je mens, leurs existences seraient niées » (Yudo, p.17).

Dans les croyances populaires japonaises, les âmes qui ont laissé sur terre des chagrins, des colères ou des regrets ne peuvent pas quitter le monde. D’après l’enquête menée par Kudo et les chauffeurs de taxi, les fantômes d’Ishinomaki étaient plutôt jeunes. Ils n’ont pas manifesté l’intention de tirer vengeance de leur mort soudaine, mais un regret et une nostalgie indicibles les ont poussés à rester dans ce monde, pour revoir leurs proches et profiter encore un peu de cette terre. Les chauffeurs saisissent parfaitement la légitimité de leurs motivations à vouloir vivre encore, si bien qu’ils ont eu des égards et continuent à manifester toutes sortes d’attentions pour eux.

Des morts en chair et en os
Dans son livre Toucher l’âme : le grand tremblement de terre et les morts vivants (Tamashii ni fureru : Daishinsaito ikiteiru shisya, Transview, 2011), publié juste après la catastrophe en 2011, l’essayiste japonais Eisuke Wakamatsu insiste sur la coexistence des vivants et des morts. Il constate la tendance à focaliser l’attention sur le nombre total des victimes et, ce faisant, à écarter le fait que chaque mort est irremplaçable. Mais il observe également la multiplication d’expériences qui résistent à ce penchant pour la généralisation : la plupart des récits de rencontres avec des morts sont en tous points semblables à ce que l’on vit avec des êtres vivants.

Pour Wakamatsu, ces morts ne sont pas de simples évocations, c’est-à-dire de simples souvenirs ou réminiscences, mais des êtres tout à fait actuels. Non réduits à des êtres de mémoire, les rencontres entre vivants vifs et vivants morts se produisent « en présence », comme si les morts étaient là, en chair et en os.

Les récits de rencontres avec des vivants morts paraissent peu rationnels, et soulèvent de lourdes suspicions chez ceux qui n’en ont pas fait l’expérience. Toutefois, cette défiance s’estompe quand ces manifestations sont exprimées dans le cercle des personnes affectées par la catastrophe, ou encore dans les registres de la littérature, du cinéma, des arts, de la philosophie et de la religion.

Distinguer l’esprit du spectre
Comment pourrions-nous penser comme une coexistence cette relation asymétrique fondamentale entre les morts et les vifs ? Dans Spectres de Marx, en se référant à l’interprétation de Hamlet par Paul Valéry, Jacques Derrida distingue l’esprit du spectre. Selon lui, ce qui est appelé esprit est étroitement associé au crâne, à l’intellect. L’esprit correspondrait à ce qui peut prendre l’aspect d’un corps et s’incarner à nouveau, sous la forme d’un spectre. Le spectre – réduit à la simple expression phénoménale de l’esprit – serait ainsi sans consistance véritable, pouvant apparaître, disparaître et se volatiliser ; tout le contraire de l’esprit, supposé éternel.


Cette Chose nous regarde cependant et nous voit ne pas la voir même quand elle est là. Jin/Penninghen, Author provided
Une entité qui ne peut être réduite à une âme ou à un corps, et qui n’est par conséquent ni esprit ni spectre, reste difficile à nommer. Elle relève pourtant de l’expérience de chacun ; Derrida décide de l’appeler « Chose » :

« Cette Chose qui n’est pas une chose, cette Chose invisible entre ses apparitions, on ne la voit pas non plus en chair et en os quand elle réapparaît. Cette Chose nous regarde cependant et nous voit ne pas la voir même quand elle est là. […] Nous appellerons cela l’effet de visière : nous ne voyons pas qui nous regarde. » (p. 26).

Comme le spectre du père de Hamlet, qui reste invisible sous son armure, une Chose nous regarde sans être vue. Sa présence est d’autant plus puissante et décisive que nous ne parvenons pas à deviner ni quoi ni qui se tient sous la visière, à tel point qu’alors nous nous laissons déporter vers des logiques peu rationnelles et des causalités anachroniques. Derrida nomme cette logique du spectre hantologie ou « logique du fantôme ». Il y voit une entrée afin de déployer un champ de la pensée en direction de ces Autres qui sont occultés par l’effet de visière propre aux vivants.

S’adresser aux morts pour fonder l’avenir
Une autre réponse à la question « Comment vivre avec les morts après une catastrophe ? » est apportée par l’écrivain Seikō Itō, dans un roman au retentissement extraordinaire intitulé Radio imagination (traduction française : Actes Sud, 2016).

Il met en scène le récit d’un homme de 38 ans, surnommé « DJ Ark ». Après le tsunami, il se retrouve accroché au sommet d’un grand cèdre. Devenu fantôme, depuis la cime de cet arbre immense, il émet « radio imagination », une radio que l’on ne peut entendre qu’en imagination. Il reçoit des e-mails d’auditeurs, vivants et morts, qui lui demandent de lire leurs messages ou de diffuser leur morceau préféré. Cette émission lui permet progressivement d’entamer un dialogue avec ses auditeurs, et d’aider les vivants et les morts à communiquer entre eux.

On pourrait lire dans cette œuvre l’expression d’une forme d’hypocrisie naïvement littéraire cherchant à décrire un impossible dialogue avec les morts. Parler pour ou à la place des victimes engage en effet une responsabilité, même en littérature. C’est d’ailleurs très certainement en anticipant ces critiques qu’Itō a rédigé son deuxième chapitre. On y découvre cinq bénévoles engageant une discussion dans une voiture, sur le chemin du retour de Fukushima à Tokyo. Tous tokyoïtes, ils n’ont pas été directement touchés par le désastre et se posent des questions éthiques.

Ils se demandent notamment s’ils doivent ou peuvent écouter Radio imagination. Nao, l’un des jeunes hommes de ce groupe de bénévoles, celui qui y fait figure de leader, estime qu’il s’agit d’une insulte faite aux morts. De quel droit nous pensons-nous capables d’imaginer les souffrances et le désespoir des victimes ?

Tu auras beau tendre l’oreille, les souffrances d’un noyé emporté par la mer, la poitrine arrachée, mort dans l’eau de mer, jamais, jamais, tu auras beau faire, jamais les vivants comme nous ne pourrons les comprendre. S’imaginer pouvoir entendre sa voix, c’est n’importe quoi, et même en admettant que tu entendes réellement quelque chose, l’horreur, la véritable horreur de l’instant où il a perdu la vie, le désespoir, tu ne pourras jamais l’entendre. Ça c’est sûr. (Radio Imagination, p. 75-76)

Cette discussion peut être vue comme une excuse soigneusement préparée par l’auteur pour se prémunir des réactions potentielles de son lectorat. Mais, en scénarisant le fait de réfléchir naïvement sur la bêtise qui consiste à dialoguer avec les victimes d’une catastrophe, Radio imagination problématise également le lien intime entre la littérature et les vivants, les vivants et les morts, la littérature et les morts.

La littérature comme héritage
Pour Itō, la littérature peut assumer une partie de l’héritage des morts, héritage qui consiste à tendre l’oreille aux victimes de catastrophes sur le temps long, non pas seulement à celles qui viennent de périr à cause des événements du 11 mars 2011, mais aussi à celles qui ont été provoquées par les phénomènes qui ont bouleversé le passé de cette société. Dans Radio imagination, l’un des protagonistes, qui est écrivain, se rappelle une cérémonie qui s’était tenue au Parc du Mémorial de la Paix de Hiroshima. Il rappelle ainsi que toute société coexiste avec la mémoire longue de ses morts – pour la société japonaise contemporaine, cela inclut les victimes des bombes de Hiroshima et de Nagasaki, ou encore celles des bombardements de Tokyo.


Penninghen, Acil Benamara. Author provided
Dans une interview au Monde le 17 mars 2011, intitulée « Nous sommes sous le regard des victimes », le prix Nobel de littérature Kenzaburo Oê avait également évoqué les victimes de Hiroshima, de Nagasaki et les vingt-trois pêcheurs contaminés par la radioactivité après l’essai nucléaire de l’atoll de Bikini, pour réfléchir sur la catastrophe du point de vue des victimes. Pour lui, l’enjeu concernait la fabrique de l’avenir et les conséquences à tirer d’une histoire des aléas nucléaires, dont l’accident de la centrale de Fukushima contribuait à préciser la trajectoire funeste.

Ce rappel des victimes historiques des aléas nucléaires effectué par Oê fait écho, dans Radio imagination, à un appel à la reconnaissance d’une continuelle coexistence avec les morts.

Hantologie et culture japonaise
Du point de vue de la psychanalyse freudienne, quand une personne décède, ses proches sont enjoints d’opérer un travail de deuil afin de ne pas sombrer dans un état de mélancolie et de déni de réalité. Il est donc recommandé d’accepter le fait que cette personne ait perdu la vie, de bien le garder en mémoire et de sublimer la douleur insupportable associée à cette perte irremplaçable.

L’hantologie, telle qu’elle est pensée par Derrida, consiste plutôt à laisser le mort exister dans son altérité radicale, sans chercher à l’intérioriser dans un beau souvenir. Il s’agit plutôt d’apprendre à vivre avec l’échec du deuil, avec ce que la mort d’un être irremplaçable inaugure comme champ d’expérience inédit ; par exemple la possibilité qu’il revienne sans cesse, et hante le présent où nous vivons.

Saeko Kimura, spécialiste de littérature japonaise, a été la première à faire usage de l’hantologie derridienne pour analyser le corpus littéraires postérieur au 11 mars 2011. Dans son article « Hantologie de la littérature après Fukushima » (Shinsaigo bungaku no hyōzairon, Sonogo no shinsaigo bungakuron), elle tire parti des travaux de Derrida afin de questionner l’existence de morts vivants sous forme de spectres.

Pour mieux mettre en lien l’hantologie derridienne et la production littéraire japonaise qui a fait suite au désastre, Kimura s’inspire du genre dit « d’apparitions » du théâtre nō (夢幻能 : mugen nō). Dans ce genre qui met en scène des fantômes, des divinités ou des démons, un voyageur (appelé « waki ») tombe sur un vieil homme ou une femme (appelé « shite »). Au cours d’une danse, le shite se révèlera au waki sous sa forme véritable – celle d’un spectre. Il est important de noter que dans les nō d’apparition, le spectre ne vient pas du passé, il est contemporain et coexiste de manière très ordinaire avec le voyageur.

Kimura trouve dans ce corpus narratif de tradition ancienne l’expression d’une hantologie présente de longue date dans la littérature japonaise. Pour elle, le désastre ravive cette conception traditionnelle du statut hantologique des défunts :

Ce ne sont pas les morts que la présence des fantômes ressuscite. C’est la mémoire des vivants. Dès lors, maintenant, on ne cesse de raconter des histoires, afin de ne pas laisser échapper ce que racontent les morts de cette catastrophe, tout en refusant le travail du deuil normal pour rester dans la mélancolie hantologique » (p.195).

L’alliance de la violence et de la force de la nature avec l’invisible tragédie technique des réacteurs nucléaires de Fukushima, se sont unies pour révéler une béance dans le monde. La logique du fantôme – ou hantologie – peut aider à en saisir l’abîme. Cette « logique du fantôme » enrichit la flexibilité de la frontière entre la vie et la mort. Elle déploie notamment la possibilité d’une adresse aux spectres, c’est-à-dire aux Choses qui coexistent avec les vivants.


https://theconversation.com/quand-les-fantomes-japonais-nous-font-reflechir-aux-catastrophes-103618


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Une vraie histoire de fantômes: les apparitions d’Ishinomaki
Par Marseille News .net - 23 octobre 2020

Il y a neuf ans, le Japon a subi l’un des tremblements de terre les plus catastrophiques de l’histoire du monde. Avec ses presque 9 degrés sur l’échelle sismologique de Richter, ce n’était pas seulement une tragédie à grande échelle, mais un phénomène sans précédent qui il étonne toujours les scientifiques par son ampleur.

De plus, c’est une confluence de plusieurs situations d’une nature très grave qui n’a fait que compliquer encore davantage la situation dans l’Est du pays et surtout celle des habitants de la ville d’Ishinomaki, dans la préfecture de Miyagi, la localité la plus touchée. par le tremblement de terre colossal. La catastrophe a fait plus de 3500 victimes, entre décédé et disparu et détruit 20 000 bâtiments jusqu’aux fondations. La catastrophe naturelle a été particulièrement grave, puisqu’un tsunami massif a suivi.


Dix minutes après le premier choc sismique, une vague gigantesque de 8,6 mètres d’altitude maximale, selon les données de l’Agence nationale de météorologie liées à la plage d’Ayukawa, a emporté Ishinomaki. Entouré de lacs et de mers, c’était l’une des zones les plus vulnérables à la tragédie. Les autorités d’Ishinomaki insistent sur le fait que la vague a dépassé 20 mètres dans certaines zones de la ville.

La mer a avancé à travers les rues et les avenues, a traîné bon nombre d’habitants de la ville et a fini par devenir une avalanche d’objets brisés, d’ordures et même de feu qui ont transformé tout sur son passage en décombres.

Il n’y avait aucune possibilité d’évacuation et, en fait, dans les vidéos qui voyageraient plus tard dans le monde, des avertissements sur la possibilité d’un tsunami peuvent être entendus. tandis que le torrent d’eau glisse avec toute sa puissance destructrice à travers la ville.

Au moment où le phénomène a finalement perdu de la puissance, Ishinomaki était un terrain vague dans lequel les survivants ont avancé entre des rafales d’eau et des débris. Comme si tout ce qui précède ne suffisait pas, une forte chute de neige a commencé à tomber pendant la chute de la ville, ce qui a rendu difficile la recherche et le nettoyage des endroits critiques pendant près de douze heures. Au moment où les autorités ont réussi à surmonter la résistance des puits pétrifiés de boue, de glace et de neige, les quelques survivants qui avaient réussi à résister au tremblement de terre étaient décédés en raison des conditions météorologiques difficiles.


Tout ce qui précède est raconté dans le chapitre le plus controversé et le plus effrayant de la deuxième saison de Unsolved Mysteries. Mais à la surprise d’une grande partie du public, l’intrigue de l’épisode n’est pas centrée sur la recherche des disparus, la façon dont la ville a fait face à l’isolement des heures difficiles qui ont suivi le cataclysme ou le conséquences immédiates d’une telle tragédie, mais aux événements énigmatiques qui ont commencé à se produire près de dix mois après la tragédie, tous de nature surnaturelle.

Au moment où la ville d’Ishinomaki s’est remise des dommages incalculables causés par le soi-disant grand tremblement de terre, elle a dû faire face à ce qui semble sans aucun doute être un phénomène inexplicable qui est toujours débattu au Japon pour sa qualité effrayante mais émouvante.

Ishinomaki: l’ombre de la peur
Selon le chapitre des Mystères non résolus, près d’un an après la tragédie et alors que les habitants d’Ishinomaki commençaient tout juste à se remettre du traumatisme psychologique colossal qu’il leur avait causé, une série de témoignages sur Des rencontres avec des fantômes ont rempli les pages des journaux de la ville.

Ce n’étaient pas des événements isolés, mais semblaient également être liés à une idée précise: la plupart des apparitions présumées étaient liées aux victimes du tremblement de terre de la Grande Marche.

À maintes reprises, des témoins ont raconté qu’ils étaient des hommes et femmes décédées au cours de la tragédie. Les apparitions insistaient pour rentrer chez elles ou, en fait, elles ne savaient pas qu’elles étaient mortes, une nuance inquiétante dans laquelle plusieurs des histoires coïncidaient.

La chose la plus effrayante à propos des histoires de fantômes d’Ishinomaki est le fait que ces apparitions sont décrites comme des citadins à la recherche de leurs maisons ou de leurs lieux d’origine, disparus ou dévastés lors du tremblement de terre et du tsunami qui a suivi.

Le chapitre recueille plusieurs des témoignages les plus douloureux et ceux qui pour l’instant manquent d’explications: celle d’une mère qui a perdu son fils de trois ans, dont l’esprit semble enflammer un de ses jouets préférés tous les jours au dîner, celle d’une femme qui a ouvert la porte pour trouver une adolescente trempée demandant des vêtements secs et que plus tard, ses yeux ont disparu avant, et celui d’un moine bouddhiste qui a aidé un survivant qui a insisté sur le fait qu’elle était possédée par une multitude d’esprits qu’ils ne savaient pas morts.

Chacun des cas rapportés dans l’épisode a été publié par plusieurs publications locales et a attiré suffisamment d’attention pour être vérifié et analysé publiquement, sans même avoir d’explication sur ce qui s’est passé. Ou du moins un, qui satisfait les témoins.

L’un des événements les plus choquants est celui d’un homme qui affirme avoir vu sa mère dans un refuge pour personnes âgées de la région et qu’il était profondément soulagé de voir qu’il était vivant. Lorsqu’il a essayé de prendre une photo de la vieille femme pour l’envoyer au reste de la famille, le visage de la femme a changé sous ses yeux en celui d’un étranger. Plus tard, elle apprendrait que la photo avait été prise exactement au moment où le camion dans lequel sa mère voyageait avait été emporté par l’eau.

Le chapitre montre une dramatisation des événements mais aussi le témoignage original de ce qui s’est passé est inclus, ce qui rend l’expérience plus impressionnante.

Cependant, les histoires les plus horribles – et curieusement, aussi les plus douloureuses – sont celles des chauffeurs de taxi de la ville, dont les témoignages sont les plus nombreux et vont dans le même sens: chacun insiste pour avoir eu comme passager d’hommes et de femmes qui insistent pour être emmenés dans les zones dévastées par le séisme, seulement pour disparaître au milieu du voyage.

L’épisode comprend également les témoignages réels des chauffeurs, qui affirment avoir payé les voyages – enregistrés électroniquement au compteur – avec leur propre argent, en hommage à ceux qu’ils considèrent comme des esprits perdus retournant chez eux après la dévastation.

Traumatisme collectif
Ishinomaki

Bien sûr, le programme n’opte pas seulement pour la possibilité d’un événement paranormal, mais il explore l’exception qu’il peut s’agir d’un traumatisme collectif ou dans le pire des cas, d’une hallucination collective, le produit d’une situation de stress extrême qui réunit tous les habitants sous une même idée de la mort et de la possibilité de retour.

En fait, c’est la thèse du journaliste britannique Richard Lloyd Parry, que analysé le phénomène des «esprits du tsunami» dans le livre de 2017 Ghosts of the Tsunami, dans lequel il ajoute également que la réaction de la population survivante pourrait également être le reflet de la culture japonaise, de son interprétation de la mort et de ce qui se passe après.

Le point est touché dans le chapitre Mystères non résolus, dans lequel il est détaillé que pour la culture locale, le monde des vivants et des morts est séparé par une petite et belle porte, ce qui expliquerait la conviction des témoins qui ont été témoins. d’expériences surnaturelles. En outre, le programme reflète la croyance largement répandue dans le pays selon laquelle les protagonistes d’histoires similaires peuvent avoir une sensibilité suffisante pour voir les esprits avec une certaine fréquence.

Pour les Japonais, le transit entre le monde des vivants et ce qui se passe après doit être un processus ouvertement accepté par l’esprit du défunt. Sinon, cela pourrait devenir un yūrei, un type de fantômes du folklore de la religion shintoïste, qui sont censés être la prochaine dimension des âmes piégées au milieu des limbes en raison de leur mort tragique ou du fait qu’elles ne l’étaient pas. effectuer les cérémonies appropriées pour le transit spirituel.

Pour Parry, c’est un phénomène collectif qui tente de dialoguer avec le deuil et le deuil de toute une population. “Je n’avais pas réalisé à quel point le culte des ancêtres et le culte des morts sont réels et vivants”, a expliqué Parry dans une interview, “l’autre chose que j’ai apprise est quelque chose que j’aurais dû savoir de toute façon, mais quoi la douleur et le traumatisme sont souvent exprimés de manière très indirecte ».

La plupart des experts, y compris Parry, ne croient pas qu’il s’agit d’un événement surnaturel, mais plutôt une manifestation de la souffrance que les habitants de la région subissent encore après un tel traumatisme.

Pour vérifier l’ampleur du phénomène psychiatrique, l’Université de Tohoku Gakuin a organisé en 2016 des ateliers dans lesquels le phénomène a été débattu comme un symptôme de l’impact psychologique du Grand tremblement de terre sur la vie des victimes. À la réunion, l’écrivain Masashi Hijikata a participé – avec plus de 15 livres sur les fantômes à son actif – et qui a réfléchi sur les expériences d’apparence surnaturelle, comme un moyen de faire face à la peur et au traumatisme subsistant après une tragédie de telles proportions.

À la fin, il n’y a pas de conclusions claires sur ce qui pourrait se passer à Ishinomaki. Ce qui est évident, c’est qu’il s’agisse de fantômes ou non, c’est une manière émouvante et humaine de comprendre la tragédie. Une petite consolation à une tragédie qui est une partie indélébile de la mémoire collective du pays.

L’article Une vraie histoire de fantômes: les apparitions d’Ishinomaki a été publié dans Explica.co.


https://www.marseillenews.net/news/une-vraie-histoire-de-fantomes-les-apparitions-dishinomaki-6926.html


Une histoire intéressante que cette histoire de fantômes au Japon, et à plus d'un titre... :)

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Etty Hillesum, Une vie bouleversée


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 Sujet du message: Re: Les fantômes d'Ishinomaki
MessagePublié: 26 Janvier 2021, 22:36 
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Très beau sujet. Très poignant. Un article à lire et à méditer en prenant tout son temps...


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 Sujet du message: Re: Les fantômes d'Ishinomaki
MessagePublié: 27 Janvier 2021, 10:15 
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Oui, c'est intéressant. Les témoignages de conducteurs de taxi sont clairement une mise à jour de certains kaidans (des sortes de petits contes d'épouvante) bien connus de l'ère Edo, la trame narrative est exactement la même.

Au Japon, le rapport au monde n'est pas du tout le même que celui que nous avons en France et se rapproche plus de ce qu'on peut voir en Islande : les exorcismes et cérémonies destinées à apaiser les esprits (que ce soit lorsqu'il s'agit de construire une autoroute ou d'emménager dans une nouvelle maison) sont quelque chose de tout à fait habituel ; il est normal d'aller prier dans un temple pour des raisons triviales (avoir de la chance aux examens, attirer à soi la fortune, favoriser la réussite de son projet d'entreprise...) ; et les fêtes religieuses y sont encore très populaires (comme l'O Bon)...
Il n'est pas vraiment surprenant que les histoires de fantômes deviennent plus nombreuses, dans une société naturellement déjà assez portée sur le surnaturel et après avoir vécu une telle catastrophe.

(Par contre, y a rien à faire, mais je reste complètement hermétique à la prose de Derrida : je suis sûr que lorsqu'on ouvre un dictionnaire et qu'on cherche la définition du mot 'abscons', c'est une phrase issue d'un livre de Derrida qui est donnée en exemple...)

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 Sujet du message: Re: Les fantômes d'Ishinomaki
MessagePublié: 27 Janvier 2021, 10:52 
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C'est une belle et étonnante histoire, celle des fantômes...

En revanche, la partie plus philosophique de l'article a complètement outrepassé mes capacités de compréhension. Je ne suis pas assez intelligent pour ce genre de choses :shifty:

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 Sujet du message: Re: Les fantômes d'Ishinomaki
MessagePublié: 27 Janvier 2021, 20:08 
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Localisation: Au fond à gauche (et derrière Pochel, ça semble plus sûr)
Pochel a écrit:
En revanche, la partie plus philosophique de l'article a complètement outrepassé mes capacités de compréhension. Je ne suis pas assez intelligent pour ce genre de choses :shifty:

Oh, mais... Ca n'a rien à voir avec l'intelligence Pochon (oui, je sais, tu ne m'as rien demandé mais je ne peux pas m'empêcher de réagir...). Je ne te connais pas bien mais je suis prête à parier (et tu me diras si je me plante ou pas, si tu le souhaites) que tu ne penserais jamais de quelqu'un d'autre qu'il n'est "pas assez intelligent pour x ou y truc". Ou alors tu caches bien ton jeu parce que je n'ai jamais rien lu de tel sous ta plume. Bref, si ma supposition se confirme, pourquoi le penser de toi-même? Pas réceptif en revanche, probablement. Cela pour tout un tas de raisons très légitimes, j'en suis convaincue!

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Titulaire d'un doctorat en fantomologie à Paranormal Sup


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 Sujet du message: Re: Les fantômes d'Ishinomaki
MessagePublié: 28 Janvier 2021, 14:25 
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Localisation: Juste derrière vous. Ne vous retournez pas.
Va pour "pas réceptif", alors ! :)

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