Les raisons d'un succès
Dracula, le retour
Par Claire Julliard

L'héritier de Bram Stoker poursuit, dans un best-seller plein de chausse-trapes, les aventures du vampire créé par son ancêtre



Tel le monstre du Dr Frankenstein, Dracula échappa à son créateur Bram Stoker et à ses héritiers. L'écrivain irlandais mourut en effet en 1912 sans avoir connu ni gloire ni fortune. Dix ans plus tard, son célèbre vampire galvanisait les amateurs de fantastique. Lorsqu'en 1922 la veuve Stoker découvrit que le « Nosferatu » de Murnau venait d'être produit sans son consentement, elle engagea des poursuites contre les studios allemands. Le début d'une série d'imbroglios juridiques et financiers. Car Dracula continuait sa vertigineuse ascension, cette fois à Hollywood. Mais Bram ayant négligé une formalité requise par le Bureau américain des Droits d'auteurs, ses descendants durent se contenter de voir défiler d'innombrables adaptations sans pouvoir dire un mot.

« Je trouvais inconcevable que ma famille ne puisse exercer le moindre contrôle sur le patrimoine littéraire de mon arrière-grand-oncle », écrit Dacre Stoker. Sa rencontre avec Ian Holt, historien et membre de la Société transylvanienne de Dracula, a été décisive. Ensemble, ils ont entrepris l'écriture d'une « suite officielle » capable d'enrayer le pillage du classique.

On pouvait craindre le pire. Ce n'est pas le cas. Certes, « Dracula, l'immortel » est loin du chef-d'œuvre néogothique de Bram Stoker (réédité au Livre de Poche). Toutefois, le roman qui puise dans les notes manuscrites de l'ancêtre est plutôt bien ficelé. On y retrouve, en 1912, à Londres, les principaux protagonistes du drame. Mina, qui reçut le baiser du vampire est restée d'une beauté inaltérable. Son mari Jonathan Harker est alcoolique, hanté par le souvenir du monstre. Ils ont eu un fils, Quincey. Ce comédien en herbe s'apprête à participer à une production théâtrale de « Dracula » lorsqu'il apprend que le corps de son père a été retrouvé empalé à Piccadilly Circus. Apparaît alors un inspecteur Cotford obsédé par sa traque de Jack l'Eventreur. La tragédie vire au roman-feuilleton new look. Le romantisme le dispute à l'horreur et à sa parodie.

Le livre regorge de chausse-trapes, de clins d'œil, de mises en abyme. Les auteurs campent ainsi Bram Stocker en vieillard boiteux, furieux de voir son œuvre transformée en spectacle de cabaret. Mais la plus grande surprise vient de la présence de la maléfique Elizabeth Bathory, la fameuse « comtesse sanglante » qui défraya la chronique au XVIe siècle. Contre elle, Dracula, qu'on avait laissé mort et retombé en poussière à la fin du premier livre, revient livrer un ultime combat. Le vampire apparaît sous un autre jour. Il n'est plus l'immonde créature de Bram. Le mythe fusionne avec la figure du prince Vlad Tepes qui l'inspira pour devenir, dit Ian Holt, « un antihéros complexe ». Dracula l'incompris ! Bram Stoker va-t-il se retourner dans sa tombe ?

C. J.

Dracula l'immortel, par Dacre Stoker et Ian Holt, traduit de l'anglais par Jean-Noël Chatain, Michel Lafon, 510 p., 22 euros.

Source : « Le Nouvel Observateur » du 23 décembre 2009