Je suis tout à fait d'accord avec tous les points que tu soulèves. J'imagine/espère que toute la littérature sur la question (dont les références données dans le thread Twitter) y répond au moins en partie.
Ar Soner a écrit:
Comment gère-t-on les différences d'opinion à un niveau local ? Par exemple, quid de la situation où des anti-ondes militent contre la mise en place d'antennes relais, au risque de restreindre l'accès à un réseau téléphonique de qualité pour leurs concitoyens (qui eux sont beaucoup moins actifs sur la scène politique) ?
C'est rigolo que tu prennes cet exemple parce que j'ai un collègue qui est justement à peu près dans cette situation. Il est sociologue (et s'intéresse aux controverses en santé et environnement) et vient d'acheter une baraque dans un petit village breton. Pour ses activités pros comme persos, il a besoin de réseau (qu'il a, d'ailleurs, donc sa situation n'est pas trop problématique). En revanche, les habitants de la localité militent fermement contre l'arrivée de la fibre jusqu'au bled dont il est question.
Du coup, ça me donne envie de lui demander :
- son regard sur la chose en tant que sociologue;
- son regard sur la chose en tant que citoyen politisé;
- son regard sur la chose en tant que citoyen qui aimerait bien la fibre quand même alors que les autres ne la veulent pas;
Citer:
Les soucis apparaissent dans la pratique (et là je parle d'expérience personnelle) du fait que les frontières entre ces différents domaines ne sont pas très claires et qu'on évolue souvent quelque part à l'intersection de ces modèles.
Tu confirmes donc au passage tout à fait l'hypothèse selon laquelle le "grand partage" n'a aucun sens. Je suis tout à fait d'accord quand tu dis que c'est souvent bien plus flou/à l'intersection: il me semble que c'est d'ailleurs tout le propos de fond du thread.
Citer:
Qui produit du savoir local, par exemple ? Des gens peuvent venir de l'autre bout de la France pour lutter contre l'aéroport de Notre-Dame des Landes (pour des raisons qui peuvent être tout à fait louables au demeurant), alors que les gens du cru — comme ceux résidant à côté de l'aéroport Nantes Atlantique — veulent à tout prix voir se délocaliser l'aéroport dans un coin de cambrousse inhabité et inutilisé de leur point de vue.
Ce sont-là d'excellentes questions. Et je crois que la réponse ne peut être elle aussi que contextuelle/locale. Il n'y a probablement pas une vérité/un raisonnement universel(le) que l'on pourrait appliquer partout, donc ça me semble un peu impossible de répondre, en fait. C'est sûrement à voir au cas par cas.
Citer:
Est-ce que des gens peuvent affirmer publiquement des choses manifestement fausses en regard de toutes nos connaissances scientifiques et les présenter comme véridiques, parce que leur ressentis (légitimes) les poussent à penser complètement autrement ?
D'un point de vue moral et personnel, je te réponds quant à moi que je n'approuve pas ce genre de pratiques. Après, comme dit à l'instant: tout dépend du contexte. Si c'est la seule arme qu'on a à disposition pour faire bouger les lignes (et que ça marche), c'est — certes — immoral, mais ça peut se comprendre. Mais s'il y a d'autres moyens/arguments plus honnêtes
et qui peuvent donner de meilleures prises dans le rapport de force, je trouve personnellement qu'il vaut mieux se diriger vers cette stratégie. Mais c'est évidemment une opinion qui se discute et dépend de tout un tas de choses.
Citer:
Enfin, prenons des cas extrêmes : on peut avoir des zozos qui veulent explicitement avoir leur mot à dire dans la recherche fondamentale, un peu comme ceux qui disent que le LHC de Genève va ouvrir un portail vers un autre dimension et qu'il faut le fermer. Que fait-on ?
Très franchement, faut-il impérativement faire quelque chose? Ceux que tu appelles les "zozos" sont ils si nombreux et influents qu'il faille absolument agir? Honnêtement, tu connais beaucoup de gens qui adhèrent sérieusement et profondément à ce genre de théories farfelues? Ils ont existé (et existeront) de tous temps et... est-ce vraiment un problème? (Bon, tu me diras, le succès phénoménal de
Hold Up pourrait laisser penser qu'ils sont quand même un certain nombre. Mais comme me le disait un collègue tout récemment, si on pouvait étudier en détail la population adepte du docu, on découvrirait certainement pleins de nuances. Par exemple: tous les adeptes de
Hold Up ne croient probablement pas à
toutes les théories qui y sont développées. D'autres apprécient probablement plutôt le documentaire pour son côté "défiance envers les institutions" sans pour autant cautionner ce qui se raconte dedans. Mais probablement qu'ils jugent qu'il faut que des trucs comme ça existe pour qu'un débat démocratique sain puisse émerger. Etc.
Citer:
Je n'ai absolument pas de réponses définitives aux questions que je soulève, d'autant que les réponses relèvent autant du politique et de la morale, que de l'épistémologie et de la philosophie des sciences.
Eh bien je crois que tu as parfaitement raison de ne pas avoir de réponse définitive, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer.
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C'est juste pour dire que si je suis quasiment à 100% d'accord avec ce qui est dit dans le thread Twitter, dès que l'on rentre dans un degré de granulométrie plus fin et dans des questions plus pratico-pratiques que la théorie, ça devient vite très, très compliqué.
Pareil, ici, tout à fait d'accord. D'ailleurs, je crois que les sciences sociales ne disent pas autre chose.