J'écris aussi de temps en temps des petites histoires, et j'aimerai avoir votre avis car celui de mes proches est forcément subjectif, même s'ils essaient de ne pas l'être.
Au-dessus de l’étang, miroir du temps qui passe, la lune tombait doucement sur le bois endormi, caressant de ses rayons glacés, les habitants de la forêt. L’aube ne tarderait pas à poindre, illuminant de belles couleurs chaudes et dorées, les arbres couverts de givre, immenses statues éternelles dans l’instant éphémère. Les lumières réveilleraient, bientôt, les dormeurs. Le chasseur le savait, ses pas crissaient sur la neige et la peur de faire trop de bruit ne quittait pas son esprit. Mais c’était le prix à payer pour poser ses derniers collets et assouvir son avidité. Il avait aussi l’espoir, infime, de rencontrer un animal encore assoupi et de le tuer. Alors que l’homme continuait de marcher à pas de loup, il aperçut du coin de l’œil un tissu virevolter. Il s’arrêta, surpris, et revit ce mouvement presque imperceptible. Curieux et méfiant, le chasseur se dirigea vers le morceau d’étoffe qui dansait entre les arbres. Il vit alors un amas de rochers moussus entouré d’une multitude d’autres petits rubans semblables. Intrigué, il se dirigea vers ce qui ressemblait au sanctuaire décrit dans les contes des Anciens. Il n’en connaissait ni l’histoire, ni les pouvoirs, lui qui dédaignait si souvent ces récits initiatiques. Le maraudeur continua de s’en approcher. Il savait seulement que la plupart des paysans considéraient l’endroit comme maudit. Il sourit. Les villageois étaient tous terrifiés par leur ombre, mais lui n’avait peur de rien ! De plus, si personne ne visitait le sanctuaire, il devait être riche en gibier. L’homme y pénétra rapidement. A l’intérieur, tout semblait plus calme, d’un silence presque surnaturel. La forêt elle-même semblait retenir son souffle, à l’affût de l’événement étrange et bouleversant qui allait se produire. Le chasseur retenait son souffle, son instinct lui soufflait qu’une bête rôdait. Soudain, il entendit un craquement très léger. Attentif, l’homme scruta la pénombre des bois, cherchant d’un œil vif le moindre mouvement. Le doux frôlement du pelage d’un animal contre l’écorce des arbres attira son attention. Apparut alors une magnifique biche, blanche comme l’aubépine fraîchement éclose, d’un port si majestueux qu’on eût dit une reine. A son approche, le temps semblait ralentir, s’étirer, presque s’arrêter. Le chasseur resta figé devant une telle apparition, si bien que lorsqu’elle passa devant lui, il ne bougea pas. Il la regarda boire à la source, pareil à une statue. Subitement, la magie se brisa : le temps reprit son cours, le chasseur ses esprits, la forêt son mouvement. Il saisit son arc et décocha sa flèche. Il ne manqua pas sa cible et la biche, percée au cœur, s’écroula sur le blanc manteau qui recouvrait le sol, presque sans bruit. Son sang, si rouge, ruisselait sur la neige dessinant la silhouette d’un réséda fané. Le chasseur observait la scène, les yeux écarquillés, le souffle court, le cœur battant, rempli d’excitation à l’idée de ramener au village une proie si belle. Il allait ramasser son gibier mais cette succession d’émotions lui avait donné soif. Il se pencha au-dessus de la source dans laquelle avait bu la biche mais recula soudainement en voyant le visage de la créature se refléter dans le miroir de l’onde. Un regard jeté derrière lui confirma que la bête était bien morte. Il se rassura, émit un rire gras qui chassa cette peur de vieille femme. Il but, l’eau était délicieusement fraîche mais les dernières gouttes ruisselaient à peine dans sa gorge que déjà des frémissements le parcouraient. Son corps se couvrit de poils, des bois lui poussaient, ses jambes se transformaient en de longues pattes… il devenait un cerf, aussi majestueux que l’avait été la biche. Son poil luisait du même éclat blanc. Il voulut crier mais il ne put que bramer. Il ne pouvait que regarder avec désespoir et incrédulité ce qu’il était devenu. Cruelle ironie pour un chasseur ! Il était encore capable de penser mais cela ne lui était d’aucune utilité. Il songea aussitôt à son logis, à ses armes et surtout à ses précieux trophées que les chasseurs s’empresseraient de s’arracher, peut-être au prix d’une lutte sanglante. Il devait retourner chez lui, les Anciens connaîtraient sans doute un remède. Il partit. Les premiers pas qu’il fit lui furent pénibles et il tomba dans la neige. Il se releva mais retomba au bout de quelques pas. La neige, épaisse, n’arrangeait pas les choses. Pas plus que sa ramure, qui ne cessait de se prendre dans les branches des arbres, pareilles à des mains griffues qui auraient voulu s’emparer de la couronne du roi de la forêt. Après plusieurs chutes, l’animal parvint enfin à marcher d’un pas régulier. Au bout de quelques heures, il faisait jour et le chasseur-cerf avait vu de nombreux animaux qu’il pouvait sans peine approcher. Mais à quoi bon ? Ce n’était qu’un autre tour cruel que lui jouait la Nature. Peut-être était-ce une leçon ? Peut-être que s’il s’amendait honorablement, il reprendrait son apparence humaine... Il chassa cette idée. Un homme comme lui ne devrait pas s’imaginer de tels contes de bonnes femmes ! Les Anciens sauraient quoi faire. Seule cette pensée lui permettait de continuer. Le cerf blanc trottait depuis la rosée du matin quand soudain l’une de ses pattes arrière se prit dans un piège. Il émit un gémissement. Ce piège, c’était lui, le chasseur, qui l’avait posé. Heureusement, le collet avait été mal installé et au prix de terribles douleurs et d’une longue lutte, l’animal parvint à se dégager. Désormais, il boitait et le retour lui semblait plus que jamais impossible. Il continua cependant à avancer. Parfois, le chasseur oubliait qu’il était devenu cerf mais la douleur le ramenait vite à la raison. Il ne se souciait plus de ce qu’il allait faire, il ne pensait plus, il était devenu une pensée, une seule : rentrer. Soudain, un son de cor puissant retentit sous le couvert des arbres. C’était l’ouverture de la chasse, raison pour laquelle il voulait poser ses pièges avant. Un autre appel se fit entendre plus proche cette fois. Il y eut bientôt des aboiements. Le chasseur-cerf savait que les chiens étaient sur sa trace. Les mêmes sons inquiétants se répétèrent, toujours plus proches. Il tenta de courir mais sa patte blessée l’en empêchait. Il tomba et réussit à se relever. Trop tard. La meute était sur lui et l’empêchait de bouger. Elle lui mordait les mollets, le blessant plus cruellement encore. Inévitablement, les chasseurs arrivèrent. Le cerf comprit que sa fin était proche. Il les regarda silencieusement. Eux aussi étaient figés devant la bête, mais ils se reprirent. Il leva une dernière fois les yeux vers la cime des châtaigniers. Il sentit à peine la flèche transpercer son cœur et la mort glacée s’emparer de lui. Le chasseur comprit, que comme la biche, il était une créature innocente des bois. Aussitôt il sentit les souffrances de la bête traquée et la détresse qu’elle avait ressentie. Il pensa simplement que les chasseurs seraient heureux, fiers de leur trophée et qu’inévitablement tous se souviendraient longtemps de cette chasse, de ce cerf si délicieux tandis qu’au village tous oublieraient l’homme bien vite. La forêt avait repris son dû. Ami lecteur, que tu sois promeneur, chasseur, simple cueilleur de champignons ou de jolies légendes, si d’aventure tu te hasardes dans une de ces forêts brumeuses et que tu as la chance de rencontrer l’une de ces merveilleuses et nobles créatures, ne leur fais du mal en aucune sorte car elles sont l’âme de la forêt, passage entre notre monde et celui du merveilleux.
Voilà !
_________________ "Maintenant que nous nous sommes vus l'un et 'autre, dit la Licorne, nous pouvons croire à l'existence de chacun." Lewis Caroll.
"Rien n'existe qui n'ait au préalable été rêvé." Ismaël Mérindol, Traité de Faërie, 1466.
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