L'Antre du GobelinMes recherches dans le cadre de mon travail m'ont conduit dans un petit village isolé de tout, même du progrès semble-t-il.
Je dors dans une auberge où au petit déjeuner, j'ai droit à du pain artisanal, avec un morceau de fromage artisanal, dans des assiettes en bois sculptées à la main. Vous voyez le genre.
Mais intéressons-nous un peu au sujet de ma venue ici.
Non loi d'ici, là où la végétation est dense et qu'un petit cours d'eau sert d’abreuvoir aux animaux sauvages, se trouve une cave dont l'entrée est obstruée par d'énormes planches en bois, recouvertes de mousse et de champignons.
Il y a quelques années de cela, les gens d'ici surnommaient encore cette endroit la « cave du boucher », car de fait, cette cave avait appartenu à un boucher local qui s'en servait comme lieu d'abattage et d'entrepôt.
Mais depuis que le boucher n'est plus, une autre bête sanguinaire aurait investit les lieux.
Il court bien des histoires au sujet de cette cave, des histoires de disparitions inquiétantes, aussi brutales que mystérieuses.
Bien souvent du bétail manquant que l'on retrouve en pièce, des chiens ou chats qui disparaissent, un cerf crevé ou les restes de lapin trouvés non loin de l'entré de la cave, sont autant d'éléments qui viennent nourrir les commérages. Mais là où ça devient réellement inquiétant, c'est lorsque que les « Mickeys », deux jumeaux suffisamment turbulents pour être connus de tout le village, disparurent une après-midi alors qu'ils étaient partis jouer là où on leur avait interdit d'aller... À la cave du boucher.
Le père et la mère des deux gamins, accompagnés par au moins la moitié du village, organisèrent des battues dans la forêt. C'est au cours de ces recherches que quelques braves, trois hommes grands et forts comme il faut, trouvèrent des morceaux d'habits ayant vraisemblablement appartenus aux Mickeys près de la cave. Ces braves décidèrent de visiter la cave du boucher sans plus attendre.
Se faufilant entre les deux planches massives, ils pénétrèrent dans un endroit sombre, où l'air humide transportait des odeurs d'urine et de charogne.
Les braves, marchant sur les ossements pavant le sol, et se souvenant des on-dit à propos de cette cave, n'étaient plus tout à fait sûr d'apprécier cette bravoure qui en faisant de vrais hommes,
Après tous, les Mickeys étaient des sales mômes, et passait l'émotion liée à la disparition, sans doute ne manqueraient-ils pas à grand monde au village. Certainement qu'ils manqueront à leur parent, enfin peut être, alors dans ce cas, pourquoi ça ne serait pas à monsieur et madame de venir ici ?
Mais ils avaient décidé de faire les fiers, et d'entrer sans prévenir personne, pensant déjà à la gloire qu'ils récolteraient en ressortant de là avec les gamins assis sur leurs solides épaules.
Ils avaient chacun vraiment envie de sortir d'ici tout de suite, mais ils auraient été l'un l'autre témoin de leur couardise. En plus si d'autres les surprenaient alors qu'ils étaient en train de fuir les lieux, les genoux tremblants, qu'adviendrait-il de la réputation des braves ?
Allumant une torche, ils se rendirent compte que la cave était bien plus profonde que ce qu'ils s'étaient imaginés. Les ossements aussi étaient vraiment nombreux, comme ils le redoutaient (était-ce vraiment le boucher qui avait laissé traîner autant d'os ? Certains ne semblaient-ils pas encore couvert de sang ?)
Arrivés au fond, surpris, ils découvrirent un trou, un obscur chemin menant plus profond sous la terre.
Avant d'y pénétrer, ils crièrent et attendirent une réponse, mais aucun Mickey ne répondit. Les deux premiers s'avancèrent, tenant fermement la torche devant eux. Le troisième cria une dernière fois avant de les rejoindre, et c'est alors qu'il pressa le pas qu'il cru entendre une réponse. Les deux autres jurèrent l'avoir entendu aussi. « Par ici, aidez-nous ! » eurent-ils l'impression d'avoir entendu, mais ils n'en étaient pas sûr, la voix du gamin semblait inhabituelle.
Le troisième des braves se souvint que lui aussi avait emporté une torche, il s’arrêta deux secondes pour la prendre et l'allumer, en profitant ainsi pour laisser les deux autres prendre un peu d'avance.
Lorsqu'il releva la tête, sa torche perçant les ténèbres, il n’eut pas le temps de bien saisir ce qu'il se passait.
Un des deux braves se tortillait au sol, plaquant ses mains sur sa gorge déchirée d'où un sang noir sortait avec profusion, alors que l'autre homme semblait se débattre avec ce qui semblait être un singe ou un homme de petite taille. Dans la minute qui suivit, le deuxième homme tomba à terre, inconscient, et l'odieuse créature qui venait de l'attaquer se réfugia aussi vite que possible dans le noir. Seule sa main, venant agripper la jambe de l'homme inconscient, était visible dans la lumière de la torche.
Sorti de sa stupeur, le troisième brave pris ses jambes à son cou. Il essaya du moins, car l'autre homme, se vidant toujours de son sang par la blessure qui lui parcourait la gorge, attrapa son pied.
La chute lui remis un peu les idées en place, et les paroles de l'homme agonisant (certainement « aide-moi », il n'avait pas compris car les mots ressemblaient plus à des gargouillis qu'à un langage articulé, mais qu'aurait-il pu vouloir dire d'autre ?) lui redonna un peu de sa bravoure. Il posa sa torche à terre, se releva et attrapa sous les aisselles l'homme gisant à terre, bien décidé à le traîner jusqu'à l'extérieur rien qu'à la force de ses bras s'il le fallait. Se demandant s'il ne pouvait pas faire de même pour son autre compagnon, il regarda là où le pauvre était allongé. Il n'y était plus. Une traînée de sang salie de terre dessinait une droite en direction des profondeurs.
Prenant appui sur ses deux jambes, il tira en arrière et emporta son ami. Il le tira sur deux mètres à peine que quelque chose le bloquait, comme si la jambe de l'homme à terre s'était accroché à quelque chose. Ou plus précisément comme si quelque chose s'était accrochée à la jambe de son ami...
La créature bondit des ténèbres pour retomber sur le torse du pauvre homme déjà à demi-mort, obligeant le dernier des braves encore en bonne forme à le lâcher. La créature essaya aussitôt de frapper de sa main griffue le visage de l'homme encore debout, mais celui-ci esquiva en faisant rapidement un pas en arrière.
L'homme pu ainsi voir les traits de la créature : petite et voûtée, elle semblait pourtant très forte, sa petite tête grossière et aplatie était pourvue d'une grosse mâchoire abîmée par les dents qu'elle abritait, et ses deux grands yeux sinistres et vides lui rappelaient le ciel gris-clair d'automne. La couleur de sa peau tirait sur un vert-bleu délavé, comme si la bête était constituée de viande avariée.
Après avoir pissé dans son froc sans s'en être rendu compte, contribuant ainsi à entretenir l'odeur d'urine qui hantait les lieux, il se mis à courir dans le noir en direction de la sortie.
Il m'a raconté que la lumière de l'extérieur, bien qu'aveuglante et douloureuse, était la chose la plus rassurante qu'il n'ait jamais vu de sa vie. Par la suite, il racontât en pleurs ce qui s'était passé, et alors qu'il décrivait son agresseur auprès des autres villageois, le mot « Gobelin » lui vint à l'esprit.
Depuis, les habitants ont renommé ce lieu « L’Antre du Gobelin ».
On m'a dit que plus tard, d'autres hommes bien décidés à tuer la chose y sont retournés, armés de fourches, de haches et de couteaux, mais que la plupart ne sont jamais revenus. Bien qu'il eu beaucoup de sceptique, les nombreuses disparitions et la multiplication des témoignages contribua à faire croître la notoriété de cette histoire.
En dehors de ça, aucune personne saine d'esprit ne s'est aventuré là bas depuis. Les animaux continuent à disparaître, les enfants ont interdiction d'aller jouer près de la forêt, et ils sont obligés de rentrer avant la tombé de la nuit, sinon ils ont droit à une correction phénoménale. Le Gobelin est devenu le croque-mitaine local, mais c'est à ma connaissance le seul croque-mitaine bien réel.
Car j'y crois moi aussi. Avant-hier, j'ai laissé un appât à l'entré de la forêt et j'ai veillé toute la nuit. J'ai vu le monstre.
Demain matin, armé de mon appareil photo et accompagné par un ami chasseur et sa carabine, nous irons là bas, nous dénicherons la chose, et nous rapporterons les preuves nécessaires. Nous ferons sortir le Gobelin de son antre pour jeter sa dépouille à la lumière et aux yeux de tous.