Tout comme un passionné de mécanique aime regarder un programme rempli de belles voitures, ou tout comme un aficionado d’Histoire apprécie un documentaire sur la Révolution Francaise, les amateurs de surnaturel sont dans leur droit lorsqu’ils espèrent trouver une émission en rapport avec le grand domaine qu'est le paranormal.
Et il faut bien le remarquer, les chaînes télévisées (et plus particulièrement celles du câble) ont bien compris la demande autour de ce type de programme. Il est vrai que les chaînes généralistes ont quelques émissions qui ont su rester cultes dans l’univers télévisuel de l’Hexagone ; on citera ainsi le bien connu
Mystères, qui marqua un grand nombre de spectateurs, ou
L’Odyssée de l’étrange, qui pour beaucoup eut raison de la crédibilité de Jacques Pradel. On notera aussi l’apparition sporadique de certains sujets abordant les OVNIs ou les fantômes dans des magasines télévisuels de vulgarisation scientifique tels que
C’est pas sorcier ou
E=M6.
Avec l’avènement du câble/satellite et l’arrivéé des chaînes thématiques, le nombre de programmes spécialisés dans le domaine du paranormal a explosé. Les chaînes de télévision documentaires telles que Planète ou Discovery redoublent d’effort pour présenter des programmes variés autour de l’ésotérisme, de la cryptozoologie, de l’ufologie, voir même du conspirationnisme. A l’heure actuelle, on recense près d’une centaine d’émissions ayant pour sujet le paranormal dans le monde anglophone. Ces mêmes émissions sont par la suite traduites et diffusées sur les réseaux francophones, laissant ainsi un large choix aux téléspectateurs friands de surnaturel.

Les programmes spécialisés dans les grands mystères sont souvent moqués pour leur méthode peu crédible d'investigation, ou leurs mises en scène sensationnalistes. Ici, l'équipe de TAPS tournée en ridicule par la série South Park
Malheureusement, c’est à partir de ce moment précis que le bât blesse, car force est de constater qu’il n’y a que peu de bonnes diffusions sur ce sujet : la grande majorité des programmes ont ainsi une fâcheuse tendance à se ressembler, à se répéter, à tourner en rond, voir même pire, à diffuser des supercheries.
1 – De la la banalité des programmesUne des premierès choses qui saute aux yeux quand on regarde les émissions telles que
Ghost Hunters ou
Fact or Faked, c'est l'énorme ressemblance qui existe entre eux, presque comme si chaque épisode, non content de ressembler énormement aux précédents dans sa forme, conserve également le même type de montage et de réalisation que tous les autres types de programme tournant autour du paranormal :
- Lorsqu'un programme de vulgarisation scientifique aborde le thème du paranormal, ou qu'une soirée a thème (telle que
Les 30 histoires les plus mystérieuses) est diffusée, il n'est pas rare d'y voir une certaine redondance dans les sujets abordés ; cependant, on observe la même chose dans certaines émissions spécialisées. Ainsi, lorsqu'il est question d'ufologie, l’Affaire Roswell est quasi-systématiquement abordée. Il en va de même pour la dame blanche vis-à-vis de la parapsychologie, ou pour Nessie avec la cryptozoologie. Cette réapparition de cas d'école semble logique en un sens ; en effet, il est normal dans un programme généraliste de vouloir toucher un large public, et donc d'aborder des thèmes connus pour que le téléspectateur (qui est généralement un néophyte) en apprenne davantage sur une affaire ou un phénomène. Malgré tout, cela a le défaut de donner du crédit à des dossiers qui ont déjà été discrédités depuis longue date, ou d'occulter d'autres cas qui peuvent s'avérer bien plus intéressants.

Le yéti, super-star de la cryptozoologie, est souvent abordé dans les émissions traitant des grands mystères, quand bien même son existence semble de moins en moins probable
- Lors d'enquêtes qui sont censées se passer sur le terrain, les équipes de réalisation semblent systématiquement privilégier des angles de caméra hasardeux (plongée, grand angle...) doublés d’un filtre vidéo douteux (noir et blanc, effet de bande vieillie...), qui atteignent leur paroxysme de ridicule lors de leurs zooms frénétiques sur des détails sans raison apparente. Pour présenter un exemple, imaginez qu'une équipe d'enquêteurs visite un vieux château hanté : la caméra va filmer (en contre-plongée) le propriétaire des lieux racontant des cas de hantise, séquence qui sera entrecoupée de flashs montrant des éléments architecturaux et mobiliers anciens en gros plan (doublé d'un filtre sépia), le tout finalisé avec une musique inquiétante. Cette surenchère de mise en scène nuit gravement à la crédibilité de l'équipe d'enquête, quand bien cette dernière y mettrait la meilleure volonté du monde. On peut comprendre que, étant donné le fait qu'il s'agisse d'une émission de télévision, ce genre de surenchère semble nécessaire pour attirer l'audimat. Il n'empêche que, lors d'un reportage traitant d'une autre domaine, la mise en scène reste bien moins raccoleuse envers le téléspectateur.
- Assez fréquente dans les programmes traitant de l'ufologie et de la cryptozoologie, les reconstitutions semblent une nouvelle fois faire partie des éléments obligatoires. Malheureusement, la majorité d'entre elles sont parfois mal interprétées et/ou approximatives, que ce soit pour des événements historiques ou des témoignages. Couplez cet ensemble avec l'utilisation d'effets spéciaux de mauvaise qualité, et vous avez un élément de plus qui joue largement contre la crédibilité de l'émission en question, alors que cette dernière tentait de jouer la carte de la reconstitution dans un effort de pseudo-professionnalisme.
- Ultra-répétition d’une vidéo ou d’une photo qui est censée être une preuve définitive sur laquelle des « experts » interviennent de manière anecdotique.
- Enfin, le dernier mais pas des moindres est la fâcheuse tendance de certains programmes à diffuser des documentaires, reportages ou témoignages dont la véracité s'avère douteuse, voir pleine de fabulation. L'exemple le plus connu de ce défaut reste sans conteste la série documentaire
Ancient Aliens.
Malgré tout, ce genre de cliché est prévisible ; la plupart de ces programmes cherchent évidemment à faire de l’audimat, jouant alors plus sur l’idée d’essayer d’effrayer/impressionner le téléspectateur plutôt que de présenter un réel documentaire. Les cibles de l'audimat ne sont clairement pas des personnes cherchant un documentaire sérieux, mais plutôt des spectateurs en quête de sensations fortes.
2 – Le cas DiscoveryAbordons maintenant le "cas Discovery" : Discovery Channel est une chaîne de télévision d'origine états-unienne spécialisée dans la diffusion de programmes scientifiques, mais qui présente également un grand nombres d'émissions se penchant sur d'autres domaines (mécanique, investigation...). La chaîne est diffusée sur six continents du monde, en trente-cinq langues différentes. Elle distribue également plusieurs autres stations soeurs (vingt-trois au total) dont les plus connues en Europe restent Animal Planet et Discovery Science.
Inutile d’abord de préciser que Discovery aussi a parfois le défaut de présenter les mêmes clichés cités précédemment, tout en ayant le net avantage de pouvoir se permettre des reconstitutions mieux réalisées ainsi que des présentateurs vedettes tels que John Noble ou Michelle Rodríguez. Le souci de Discovery Channel ne réside pas uniquement là, car malgré le fait qu’une de ses émissions phares reste
Mythbuster (qui se présente comme une manière ludique de prouver ou démentir des légendes urbaines et autres rumeurs), la chaîne télévisuelle s’est faite remarquer par la communauté scientifique comme un diffuseur de canulars grossiers, qui se moque ouvertement de l’ignorance de ses téléspectateurs.
L'émission qui décridibilisa entièrement la chaîne fut
Sirène : un corps pour preuve (
Mermaid :The body found, dans sa version originale). A l'origine commandée pour Animal Planet, le programme sera finalement également diffusé sur Discovery Channel le 27 mai 2012 sur les réseaux anglophones.

Le programme présentait l'apparente découverte scientifique de l'existence de sirènes, ainsi que la machination gouvernementale visant à cacher leur existence aux yeux du monde entier, dans le but de pouvoir exploiter les ressources naturelles de leurs lieux d'habitation. Le show était ainsi présenté de manière réaliste, avec des acteurs engagés comme de vrais biologistes marins ou avec "d'authentiques" enregistrements vidéos d'humanoïdes siréniens ; il se permettait aussi de présenter certains phénomènes inconnus réels (tels que le Bloop) pour étayer les propos énoncés, allant jusqu'à promouvoir des théories scientifiques douteuses (à savoir, celle du primate aquatique) ou se permettant même de modifier des éléments historiques (avec l'existence de peintures rupestres illustrant des humanoïdes à queue de poisson).
L'engouement qui suit la diffusion de cette émission est énorme, premièrement à cause du fait que Discovery et Animal Planet se sont toujours présentées comme des chaînes à vocation éducative et scientifique, deuxièment parce que beaucoup de téléspectateurs n'étaient pas au courant du fait que cette dernière n'était qu'un documenteur bien ficelé (il y avait bien un démenti à la fin du programme, mais ce dernier était inséré dans le générique de fin, et peu visible). Les internautes brûlent d'en savoir plus : sur twitter, la phrase "
90% des fonds marins sont inexplorés et vous me dites que les #sirènes n'existent pas" est retwitté plus de 800 fois, et les sites tels que Reddit et 4chan se mettent à férocement débattre autour de cette diffusion tout juste récente. L'affaire est telle que le NOS (National Ocean Service, une agence gouvernementale américaine chargée de la préservation des milieux aquatiques du territoire des Etats-Unis) est contraint de faire un démenti officiel pour répondre aux accusations de complot faites à son égard.
Ce n'était pas la première fois que la chaîne Animal Planet diffusait un documentaire fictif sur des preuves inexistantes entourant la possibilité d'une créature imaginaire. En effet, cette dernière avait auparavant commandé "
Dragons: A Fantasy Made Real" (plus connu en France sous le titre "
Dragons : et s'ils avaient existé..."), mais ce dernier, bien que jouant sur les mêmes tons sensationnalistes, ne se targuait pas de présenter des faits réels, restant bien plus ambigu dans ses propos. Ce film présentait la découverte du corps d'une créature encore inconnue dans les montagnes enneigés des Carpates, qui était par la suite étudié par une équipe scientifique britannique ; l'animal en question se révèlera par la suite être un dragon superbement conservé par la glace.
Utilisant beaucoup de reconstitutions, et n'ayant jamais recours à des témoignages fictifs, le show se voulait plus fantaisite et moins racolleur envers le spectateur, ne provoquant pas la même confusion que "
Mermaids : the body found".
La hargne de la communauté scientifique n'en resta pas là, car suite au record d'audimat dû à "
Mermaids...", le réseau Discovery entreprit la commande de deux nouveaux documenteurs ! Le premier est une suite directe de leur succès précédent, intitulée "
Mermaids : the new evidence", où davantage de "preuves" sont présentées sur un plateau télévisé. Le second, "
Megalodon : the monster shark lives", s'attarde sur une équipe de scientifiques partie enquêter sur la mystérieuse disparition d'un bateau de plaisance et de son équipage, qui finira par devenir une traque sans pitié pour trouver le mégalodon, un requin disparu depuis 1,5 millions d'années. Une fois de plus, les deux émissions, non contentes de faire de très bon chiffres d'audience, subirent les vives critiques de nombreux spectateurs ou scientifiques outrés de voir leur diffusion sur des chaînes de ce réseau, et testant la crédulité de ses téléspectateurs en embobinant une vaste partie d'entre eux sur la probable existence de sirènes ou l'hypothétique survie du mégalodon.
Ainsi, on se souvient des
Documents Interdits de Jean-Teddy Filippe, dont la véracité laisse encore planer le doute pour beaucoup de personnes, mais qui reste avant toute chose une excellente utilisation de l’outil vidéo, encore cité comme exemple durant les cours de cinéma. On se souvient également du court reportage sur le Dahu diffusé sur la chaîne Arte, où l’aspect absurde laissait vite comprendre à ses visionneurs qu’il ne s’agissait que d’une petite farce. Le problème du réseau Discovery est là, dans le fait que ses récents docu-fictions ne sont pas assez dramatisés pour les laisser voir comme un exercice artistique, ni assez risibles pour faire comprendre à ses spectateurs qu’il s’agit d’un travail de fiction.