Ar Soner a écrit:
Non, en effet. En ce qui concerne les lumières de Hessdalen, la posture de certains d'entre eux est que la majorité des lumières ont une origine bénigne, mais qu'une minorité pourrait bien correspondre à un phénomène inconnu de la Science (voir par exemple
le rapport de Bjorne Hauge) car elles ont des caractéristiques visuelles trop "spectaculaires" pour correspond a priori à des phénomènes triviaux.
C'est une posture qui n'est pas du tout infondée (le paranormal pourrait effectivement se cacher au sein d'une montagne de normal) mais qui suscite ma méfiance
Je ne vais pas m'étendre sur ce premier point car mon propos n'était pas de dire qu'une minorité de ces lumières pourraient être un phénomène inconnu. Du coup, je ne sais pas ce qui t'a amené à développer ce point? Car je me contentais quant à moi de dire que les équipes qui bossent sur les lumières de séisme ont très probablement en tête qu'il peut s'agir d'un phénomène d'origine bénigne et que les taxer de ne pas avoir pensé à ça, c'est très probablement méséstimer les chercheurs et la qualité de leur travail (j'y reviens juste en dessous). Ni plus, ni moins. Je ne sous-entendais rien d'autre et n'étais pas en train de spéculer sur la nature desdites lumières.
Citer:
Quant au fait que ces scientifiques ne sont pas des idiots, bien évidemment, et je ne crois pas avoir dit qu'ils l'étaient.
En effet, tu ne l'as pas dit (et je n'ai d'ailleurs pas écrit que tu l'avais dit). Reste que les propos ont souvent un implicite et que tes messages insistent beaucoup sur le fait que partir du principe que la parole du témoin est importante et que prendre au sérieux ce qu'il a à dire plutôt que de douter d'emblée de ce qu'il rapporte risque de créer un effet de cerceau. Or, je pense sincèrement que c'est présomptueux de penser que les équipes scientifiques qui bossent au CNRS, à la NASA ou autres n'y ont pas pensé alors que nous, amateurs confortablement assis dans nos petits canapés, oui. Je me doute bien que ce n'est pas comme ça que tu penses les choses dans ta tête, mais l'implicite est quand même bien de dire qu'en se montrant sceptique, on se montre plus malin. Or, je demeure persuadée que ce n'est pas le cas (j'y reviendrai).
Citer:
Reste que, comme la plupart des scientifiques, ils sont faillibles, à plus forte raison qu'on est ici sur un phénomène évoluant aux frontières de ce qu'on peut étudier efficacement avec la méthode scientifique.
Je me doutais un peu qu'on allait en venir là et honnêtement, je crois que ça fait partie des trucs que je comprends de moins en moins dans le scepticisme car, de mon point-de-vue, on nage en pleine contradiction. Mon impression est en effet que la plupart des sceptiques passent leur temps à plaider pour la science, à mettre les sciences dures sur un piédestal, à clamer à qui veut l'entendre qu'il faut écouter les chercheurs, lire les publications, etc. Or, le jour où des études s'intéressent à des phénomènes mal connus (note que c'est d'ailleurs là tout l'intérêt des sciences), voilà qu'on soupçonne les mêmes scientifiques d'être faillibles, naïfs ou moins malins parce qu'ils acceptent de considerer que les témoignages pourraient bien révéler quelque chose d'intéressant. J'avoue que je ne pige pas. Je sais que tu vas trouver ça cliché mais ça me fait vraiment penser à la posture qui veut que "la science c'est formidable sauf quand elle ne va pas dans mon sens".
Pour résumer et tel que je vois et comprends les choses: on dirait bien que, dans la commu sceptique, la confiance en la science est à géométrie variable selon que l'on croit ou non aux phénomènes qu'elle étudie.
Citer:
Comme on l'a souvent répété dans le topic "Zététique et Politique", la plupart des chercheurs ne sont pas formés à l'épistémologie et un PhD n'est pas nécessairement un gage d'esprit critique. Sans vouloir en faire un épouvantail, Hauge (que je cite ci-dessus) a produit toute une analyse spectrographique sur une anomalie qui était un simple artefact photographique : j'imagine qu'il a dû passer plusieurs heures à regarder ce cliché, ça aurait normalement dû lui sauter aux yeux.
J'entends ça et je ne dis pas que ça n'existe pas du tout. Mais, encore une fois, je suis convaincue que ce type d'exemple n'est pas représentatif. Des gens qui ont un poste dans de grandes institutions de la recherche doivent quand même majoritairement savoir comment un protocole se met sur pieds.
En plus, l'image d'Epinal du chercheur en blouse blanche isolé dans son labo est un cliché. C'est toujours un travail d'équipe avec des protocoles et procédures bien rompus. A nouveau, ça ne veut pas dire que les erreurs grossières sont impossibles (j'insiste sur le "grossières" car je suis convaincue que des tas d'erreurs sont faites tous les jours, mais mon point est de dire que, le plus souvent, ces erreurs ne concernent pas, je le crois en tout cas, le b.a.-ba*). Juste qu'elles sont probablement plus marginales que le contraire. Et si tu n'es pas d'accord avec ça, alors je t'avoue que je ne saisis plus du tout la logique car ça voudrait dire que tu penses en fait que la science ne marche pas ou qu'elle marche mal le plus souvent (puisque "les chercheurs sont faillibles"). Bien sûr qu'ils le sont, mais il y a tout un tas de choses autour d'eux pour les empêcher autant que possible de se planter. Et de toute façon, pour moi, se planter n'est même pas grave: ça fait au contraire complètement partie du processus d'apprentissage. C'est comme ça qu'on avance le plus souvent.
(Pour expliciter et par analogie: je crois par exemple que les chirugiens disent et font tout un tas de conneries tous les jours. Par contre, je crois quand même que malgré ça, quand il s'agit d'opérer, ils savent globalement ce qu'ils font, ce qui leur permet de ne pas tuer l'écrasante majorité de leurs patients. Bah là, avec les équipes qui travaillent sur les lumières de sésime, je suppose que c'est un peu pareil: si les chercheurs ont certainement des tas d'hypothèses qui seront un jour invalidées, je crois quand même que les bases d'un protocole un tant soit peu sérieux doivent être présentes dans leur méthodo).
Citer:
Nous avons tous les deux abondamment discuté des limites des sciences dures lorsqu'elles se penchent sur les thématiques relevant du sciences humaines, de la politique ou de la moral, du coup la faillibilité occasionnelle de scientifiques ne devrait pas tant te surprendre que cela.
Je te confirme que ça ne me surprend pas. Comme expliqué à l'instant, c'est la place essentielle et prépondérante qui semble être donnée à la faillibilité des chercheurs qui me dérange. Alors que pour moi c'est probablement plus l'exception que la règle ou, en tout cas, si les scientifiques se trompent souvent (et je pense que c'est le cas), ce n'est pas du tout un problème puisque c'est ce qui les fait cheminer vers une possible découverte. Une réussite est souvent faite de pas mal d'échecs préalables, échecs qui ne sont pas forcément liés à des trucs aussi basiques que : "Oh mon dieu, est-ce que j'ai bien pensé à vérifier que le témoin aurait pu se tromper?!".
Metronomia a écrit:
L'objectif de la Science étant de créer une savoir fiable, solide et valable pour tous, il me semble qu'il vaut mieux être trop prudent et n'accepter un savoir que lorsqu'on est sûr à 100% de sa validité. L'inverse, à savoir : être aventureux et accepter des savoirs qui se révèleront faux par la suite, me paraît plus dommageable (ne serait-ce que parce que déconstruire un savoir qui a été considéré comme acquis, qui a été enseigné à l'école et en université... est toujours un processus compliqué).
Dans la suite logique de ce que j'écrivais ci-dessus, tu devineras sûrement que je ne partage pas
du tout cette vision des sciences. La plupart des savoirs sont remis en cause tous les jours. Pourtant, ça n'empêche pas d'avancer avec ce que l'on sait. Pour moi, c'est même le fait de ne pas accepter les erreurs, les tatonnements, qui serait un vrai problème (en plus d'être complètement utopique). Je pourrais donner des exemples à la pelle pour illustrer mais je vais parler uniquement de trucs que je connais de près ou de loin. Je pense notamment ici au lymphoedème dans les cancers du sein, autrement appelé "syndrôme du gros bras" (je vous laisse chercher si vous ne connaissez pas et que ça vous intéresse). On a longtemps cru que, pour canaliser cet effet secondaire aussi handicapant qu'inesthétique, il fallait du repos, du repos, et encore du repos. Il fallait - disait-on - "ménager son membre". Aucune séance de kiné n'était alors prescrite puisque le repos seul devait suffire. C'était en tout cas l'avis dominant dans le monde médical pendant longtemps et je crois qu'on peut supposer sans peur de trop se tromper que ça ne se basait pas sur absolument rien et que des études devaient concourir à alimenter ce paradigme. Eh bien 25 ans plus tard, je pense pouvoir dire que c'est radicalement différent: pour éviter le gros bras, on conseille désormais aux patientes (et ce n'est pas si vieux) de bouger leur bras autant que possible et de faire exactement ce qu'elles font d'habitude (alors, sans trop forcer quand même, mais sans se ménager particulièrement non plus). Parce qu'entre temps, de nouveaux savoirs sont venus montrer que le fait de rester actif entretient l'organisme et aide celui-ci à combattre la maladie et les effets secondaires.
Des exemples comme ça, il y en aurait 1000. La vie scientifique est faite en grande partie de cela: de découvertes qui, avec le temps, sont revues, corrigées, peaufinées, affinées, etc., voire carrément remises en question. Et je n'ai pas du tout l'impression qu'il soit si difficile de déconstruire un truc considéré comme acquis, quand on est médecin ou quand on bosse dans les sciences en tout cas. Pour moi, c'est même tout le contraire; il est évident qu'un bon chercheur comme un bon médecin doivent, pour rester bons, se former sans arrêt et ne jamais cesser de remettre en cause ce qu'ils savent.
A la rigueur, je veux bien te suivre sur le fait que déconstruire des trucs lourdement ancrés chez nos concitoyens peut être parfois un peu difficile, mais je crois qu'on a pourtant tous les jours des preuves du contraire sous les yeux: il n'y a qu'à voir, par exemple, comment les théories féministes ou les théories sur le genre ou l'intersectionalité sont en train d'infuser parmi les nouvelles générations, alors que ça déconstruit énormément de trucs qu'on a longtemps cru savoir). Alors, c'est vrai, ça prend parfois du temps. Mais là où tu sembles y voir un truc catastrophique, je n'y vois moi rien d'autre que la vie/qu'un phénomène très naturel. Ces cheminements me semblent tout à fait normaux. Et ça me semble vrai aussi à l'échelle individuelle, d'ailleurs: notre vie me semble faite de croyances et de connaissances que l'on passe notre temps à réviser au fil des expériences et des ans.
Metronomia a écrit:
Les pionniers la cryptozoologie, comme Bernard Heuvelmans, Ivan Sanderson ou Loren Coleman étaient des biologistes. Et ils pouvaient s'avérer très critiques/sceptiques lorsque l'occasion se présentait (je ne pense pas, par exemple, qu'ils auraient accordé deux sous de crédit à l'existence du chupacabra, alors que celle-ci est devenu un pilier de la cryptozoologie moderne).
A nouveau, il faut comparer ce qui est comparable: tu parles des pionniers quand je te parle, moi, d'équipes scientifiques actuelles/contemporaines. Or, je pense pouvoir dire que rien que le matériel qu'on a à disposition en 2021 doit beaucoup aider à ne plus commettre des erreurs qu'on aurait par contre, en effet, pu commettre un ou deux siècles plus tôt. C'est pour moi, là encore, le propre de la science. Bien sûr que des pionniers se sont trompés... Et c'est même grâce à leurs erreurs qu'on a pu entre temps avancer un peu sur le chemin de la connaissance...
Mais désolée, je vois que je me répète. Je suppose que tu as bien compris la logique qui est la mienne.
Ar So a écrit:
On n'abordera pas du tout, par exemple, la question de l'obésité de la même façon. Une étude médicale produira des statistiques pour évaluer, caractériser et quantifier la prévalence de l'obésité au sein de la population. Une étude de socio aura un angle d'approche plus "méta" : elle cherchera à déterminer ce que la façon dont les sciences médicale abordent l'obésité peut nous dire sur la manière dont la société perçoit l'obésité, et comment ces statistiques produits impactent en retour la façon dont les gens (en surpoids ou non) se positionnent vis à vis de ces questions.
Eh bien je crois quant à moi que l'on ne peut pas du tout scinder les deux aussi clairement que tu le fais. Puisque je suis persuadée que la façon de percevoir socialement l'obésité (pour reprendre ton exemple) impacte énormément sur la manière dont on conduit les études et les statistiques. Ainsi, on a par exemple longtemps cru que l'obesité n'était qu'un laissé aller et une question de volonté pour s'en sortir et c'est comme ça qu'on a prescrit des régimes à tire larigot pendant des décennies. Aujourd'hui, on est en train de comprendre que l'obésité est une maladie et qu'elle est aussi très certainement liée en partie à des causes environnementales. Tu te doutes bien que ça a un impact très fort sur la manière dont les recherches sur le sujet sont désormais conduites. Donc encore et toujours, je maintiens qu'il ne peut y avoir de bonnes sciences dures sans une connaissance minimale des phénomènes sociaux.
Quant au fait que tu préfères te méfier des témoignages plutôt que de leur accorder du crédit, c'est évidemment ton droit le plus strict et je n'ai pas envie de te convaincre du contraire car ça t'appartient entièrement. Je vais donc seulement te faire part de mon point-de-vue pour que tu comprennes ma logique (mais pas pour que tu y adhères).
Je suis, tu l'as compris, en grand désaccord sur ce point et c'est aussi (surtout) parfaitement politique. Pour moi (et pour le dire très vite - et sûrement très mal - mais j'ai déjà été bien trop longue), notre façon d'être au monde et aux autres est super importante et je trouve fondamental de me positionner d'égal à égal par rapport à mes interlocuteurs. Je ne veux pas, autant que possible, de rapports de domination. Or, douter des témoignages et leur accorder une faible valeur épistémique, c'est forcément me positionner en surplomb et en juge. La vie politique n'est d'ailleurs faite que de ce genre de petites et grandes violences: on nie les témoignages de violences policières par ici, on nie les témoignages de viols par là, on remet en cause la parole de certains lanceurs d'alertes ici et ailleurs, etc. C'est, à titre perso, un rapport au monde et aux choses qui ne me convient pas et ne me correspond pas du tout. Je préfère encore et toujours accorder au témoignage de mon interlocuteur tout le crédit et le respect qu'il mérite. Ce qui (et c'est fondamental) n'empêche absolument pas de questionner les choses. C'est juste que "questionner" n'est pas équivalent du tout à "mettre en doute". (En gros et pour le dire autrement, on peut très bien discuter avec son interlocuteur pour essayer de comprendre pourquoi il dit ce qu'il dit sans mettre en doute sa parole et nier sa réalité à lui, qui n'est pas forcément la nôtre).