Chimère a écrit:
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Après, en effet, je ne pense pas que la pensée rationnelle telle qu'entendue scientifiquement (les lois de l'expérience, la reproductibilité tout ça) soient effectivement suffisante pour accéder aux vérités les plus profondes, ou à la totalité de ce qui "est", au sens plein.
Je ne le pense pas non plus. De même que Douglas Harding (1909-2007), le fondateur de la voie spirituelle de la "Vision sans tête".
Voici le récit de son éveil, survenu à l'âge de 33 ans lors d'un voyage au Népal. Un témoignage qui donne énormément à méditer...

« Le plus beau jour de ma vie – ma nouvelle naissance en quelque sorte – fut le jour où je découvris que je n’avais pas de tête. Ceci n’est pas un jeu de mots, une boutade pour susciter l’intérêt coûte que coûte. Je l’entends tout à fait sérieusement :
je n’ai pas de tête.
[…] Tombée soudainement du ciel, cette découverte répondait néanmoins à une recherche obstinée ; pendant plusieurs mois j’avais été absorbé par la question : qu’est-ce que je suis ? Que cette découverte se soit produite lors d’une promenade dans les Himalayas importe peu ; c’est pourtant, dit-on, un lieu propice à des états d’esprit supérieurs. Quoi qu’il en soit, ce jour très clair, très calme, et cette vue du haut de la crête où je me trouvais, par-delà les brumes bleues des vallées, vers la plus haute chaîne de montagnes du monde, […] voilà sans doute ce qui rendit cette scène digne de la vision la plus haute.
Il m’arriva une chose incroyablement simple, pas spectaculaire le moins du monde :
je m’arrêtai de penser. Un état étrange, à la fois alerte et engourdi, m’envahit. La raison, l’imagination et tout bavardage mental prirent fin. Pour la première fois les mots me firent réellement défaut. Le passé et l’avenir s’évanouirent. J’oubliai qui j’étais, ce que j’étais, mon nom, ma nature humaine, tout ce que je pouvais appeler mien. C’était comme si à cet instant je venais de naître, flambant neuf, sans pensée, pur de tous souvenirs. Seul existait le Maintenant,, ce moment présent et ce qu’il me révélait en toute clarté. Voir, cela suffisait.[…]
Je découvris instantanément que ce rien où aurait dû se trouver une tête, n’était pas une vacuité ordinaire, un simple néant. Au contraire, ce vide était très habité. C’était un vide énorme, rempli à profusion, un vide qui faisait place à tout – au gazon, aux arbres, aux lointaines collines ombragées et, bien au-delà d’elles, aux cimes enneigées semblables à une rangées de nuages anguleux parcourant le bleu du ciel. J’avais perdu une tête et gagné un monde. Tout cela me coupait littéralement le souffle. Il me semblait d’ailleurs que j’avais cessé de respirer, absorbé par Ce-qui-m’était-donné : ce paysage superbe, intensément rayonnant dans la clarté de l’air, solitaire sans soutien, mystérieusement suspendu dans le vide, et (en cela résidait le vrai miracle, la merveille et le ravissement) totalement exempt de « moi », indépendant de tout observateur. Sa présence totale était mon absence totale de corps et d’esprit. Plus léger que l’air, plus translucide que le verre, entièrement détaché de moi-même,
je n’étais nulle part à la ronde.Pourtant, malgré la qualité magique et surprenante de cette perception visuelle, il ne s’agissait ni d’un rêve, ni d’une révélation ésotérique. Plutôt l’inverse : un éveil soudain qui m’arrachait au sommeil de la vie ordinaire, la fin d’un rêve, une réalité qui rayonnait de sa propre lumière, et pour la première fois lavée de la pensée qui obscurcit.[…] C’était une attention nue, sans jugement, à une réalité qui n’avait pas cessé de me « dé-visager » :
mon absence totale de visage. Bref, tout cela était parfaitement simple, ordinaire et direct, au-delà du raisonnement, de la pensée et des mots. En dehors de l’expérience elle-même ne surgissait aucune question, seulement la paix, la joie sereine, et la sensation d’avoir laissé tomber un insupportable fardeau. »
(
Douglas E. Harding,
Vivre sans tête, éd. Le Courrier du livre, 1978).