Ar Soner a écrit:
Oui. Et tu as vu juste : ceux que je connais m'ont surtout fait part de la difficulté à faire correctement leur travail dans un contexte général de déliquescence des hôpitaux publics (dont la société civile est très loin d'imaginer l'ampleur). Et s'ils insistent effectivement sur le travail d'accompagnement vis à vis du patient (et de sa famille, au moins aussi importante), je n'ai pas l'impression qu'ils accordent à la mort une quelconque forme de « sacralité ».
Ok, je te remercie pour cette réponse qui ne me surprend pas vraiment. Je dois avouer, au passage, avoir une sympathie certaine pour le personnel médical qui exerce dans le milieu des soins palliatifs. Pourquoi? Parce que je trouve intéressant que ces gens, qui auraient pu choisir d'exercer là où il est possible de sauver des vies (et donc, en un sens, et en caricaturant à grands traits, de se prendre pour des "demis dieux") aient en fait fait le choix d'accompagner celles et ceux pour qui il n'y a plus rien d'autre à faire que de prendre soin d'eux. Je trouve le geste plein d'humilité. Humilité qui manque à mon sens parfois parmi le personnel médical (ce qui ne veut pas dire que je n'ai pas le plus grand respect pour toutes celles et ceux qui se battent chaque jour pour soigner, sauver des vies et faire correctement leur boulot, le tout dans des conditions de plus en plus désastreuses - d'autant que ce possible manque d'humilité est très certainement
aussi une force quand on exerce ce type de métier. Bref, comme toujours, tout est à double tranchant).
Mais tout cela pour dire que j'ai tendance (peut-être à tort) à penser que, pour ces raisons, les personnels qui exercent en soins palliatifs sont peut-être plus à l'écoute (d'où l'idée qu'ils pourraient, selon moi, nous en apprendre plus. Cela au-delà du fait même qu'ils côtoient la mort tous les jours).
Citer:
Il ne faut pas oublier qu'avant d'arriver en soins palliatifs, ces soignants ont presque systématiquement évolués dans d'autres types de services. Et dans leur formation même, ils se retrouvent confrontés de façon régulière et frontale à la mort : la toilette mortuaire, c'est un grand classique par lequel passe tout stagiaire AS ou infirmier(e) à un moment ou à un autre... Tout cela contribue forcément à orienter leur perception des choses, mais je reviendrai plus en détail sur ce point dans ma réponse à Chimère.
Tu as raison, et c'est probablement ce qui fait que je devrais nuancer mon paragraphe ci-dessus.
Ar So a écrit:
Lorsque je parle « d'analyse systématique des NDE pour en extraire la substantifique moelle », je pense à la réalisation d' une description globale et précise du phénomène, une sorte de typologie des descriptions de NDE qui permettrait de les classer entre elles et de mettre en évidence leurs points invariants et a contrario les points divergeants ou variables selon les témoignages.
L'objectif final n'est pas d'utiliser cette typologie pour pinailler sur des micro-détails ou des contradictions dans les témoignages (ce qui est une démarche assez pauvre d'un point de vue heuristique) mais plutôt de déterminer, dans les NDE, ce qui relèverait de l'individuel, du culturel, et ce qui semble commun à l'ensemble de l'humanité.
Je partage entièrement le point de vue et la démarche. Tu mets d'ailleurs le doigt sur un des principaux problèmes lié aux études des NDE: il est évident que l'on manque de données sur les similitudes et variations entre les individus et les cultures.
Avant que tu ne postes, je suis justement tombée dans le week end sur un article qui fait, il me semble, un assez bon état de l'art de la littérature existante. Il devrait t’intéresser:
https://www.cairn.info/revue-l-annee-ps ... enu=resume(Je ne sais pas s'il est en accès libre, mais au besoin, fais moi signe).
Dans la même logique, je souscris par ailleurs à l'intégralité de ton paragraphe sur le parallèle entre NDE et paraysies du sommeil et les caractéristiques et invariants qu'il conviendrait de mettre en évidence.
Citer:
A ma connaissance, aucun travail ambitieux de ce type n'a jamais été entrepris avec les NDE. Moody et Charbonnier se sont contentés de recueillir — dans des conditions discutables — des témoignages provenant essentiellement de personnes occidentales modernes.
Là encore, c'est juste. Si l'article que j'ai posté ci-dessus fait état des chiffres et caractéristiques dont on dispose à présent, il expose également très bien les manques. Du reste, Steven Laureys du Coma Science Group fait les mêmes constats. Ce sont là des lacunes qu'il faut combler: je crois qu'on est tous d'accord.
J'en profite en revanche pour poser au passage une question. Si - comme je viens de le dire - je reconnais tout à fait qu'il nous faudrait de plus amples informations sur le sujet, je me demande finalement ce que cela prouverait si l'on venait à découvrir que les différences culturelles étaient grandes entre une NDE faite par un Américain et une NDE vécue par un Indien (par exemple). Je m'explique. D'une part, et assez pragmatiquement, je ne verrais rien de surprenant à ce que des individus qui baignent dans des cultures différentes aient des interprétations elles aussi différentes d'une expérience pourtant semblable. Cela reste d'ailleurs vrai sans que l'on ait besoin d'aller chercher l'explication culturelle.
Pour illustrer mon propos, imagine une salle de conférence remplie par des centaines d'individus. Si tu leur demandes à la fin de raconter ce qu'ils ont vécu et à quoi ils ont assisté, tu obtiendras probablement des grandes lignes satisfaisantes. Mais dès que tu iras dans les détails, tu auras alors autant de variations dans les récits que d'individus présents. Est-ce que cela remettrait en cause le fait que la conférence à bien eu lieu? Non, bien sûr. Reste que nous sommes tous différents et que notre vision des choses et nos expériences sont forcément uniques. Du coup, je me dis qu'il n'y a pas vraiment de raison pour qu'il en aille autrement dans le contexte des NDE et de la mort.
D'autre part, et plus "spirituellement" parlant cette fois-ci, on pourrait imaginer que, si une force supérieure régit ces expériences, alors il ne serait pas si étonnant qu'elle choisisse de montrer de façon symbolique des éléments que l'expérienceur serait le mieux à même de comprendre en fonction, justement, de son vécu, de son tempérament, de sa culture, etc. Comme dans la vraie vie, on ne dit pas et on ne montre pas toujours les mêmes choses à tout le monde et selon les contextes. On essaie de s’adapter, le plus souvent, pour pouvoir échanger et être compris. C'est, au fond, la même idée que ci-dessus: puisque nous sommes tous uniques, pas de raison que la NDE qui nous est proposée ne le soit pas elle aussi. Pas de raison non plus qu'elle ne soit pas taillée "sur mesure", si je puis dire...
Bref, pour résumer, je rejoins complètement tout ce que tu dis, et dans le même temps, je me dis que, si ça ferait avancer la connaissance, ça n'apporterait pas - pour autant et à mon sens - de réponse définitive.
Ar Soner a écrit:
... J'ai envie de demander : est-ce que l'âme qui quitte le corps, le tunnel, cette sensation d'amour, etc, sont vraiment si systématiques que cela dans les NDE ? A-t-on une idée de la proportion des témoignages de NDE qui font mention de ces divers points ?
Ce sont de bonnes questions. Dans l'article que j'ai posté, on trouve les chiffres suivants*:
Citer:
Les caractéristiques les plus fréquentes sont la présence d’émotions positives (56%) et la conscience d’être mort (50%). Les moins fréquentes sont la revue de vie (13%) et la perception d’une lumière intense (23%), ainsi que l’expérience de sortie du corps (24%)
Tout est par ailleurs résumé dans un tableau, que voici:
(*Mais les lacunes soulevées plus haut demeurent, nous sommes d'accord).
Citer:
On pourrait faire l'hypothèse — très vraisemblable — que les NDE sont comme les paralysies du sommeil : des phénomènes s'expliquant à moitié par le biologique et à moitié par le culturel. D'un côté, la décorporation et le tunnel seraient produits spontanément par un cerveau en état de stress ou d'hypoxie (ce qui explique que ce genre d'hallucination puisse se produire lorsque le pronostic vital de la personne n'est pas engagée) ; de l'autre, les âmes qui accueillent et l'amour immanent relèveraient plutôt du substrat culturel. De la même façon que le Terre-neuvien moyen voit une sorcière l'attaquer en cas de paralysie du sommeil parce qu'on lui répète depuis tout petit que c'est une sorcière qui est à l'origine de la paralysie nocturne, il n'est peut-être pas si surprenant que cela de voir plein de gens témoigner de retrouver leurs proches décédés, et d'être entourés de lumière et d'amour lors de leurs NDE dans la mesure où c'est la quasi-unique façon dont on nous présente ce phénomène depuis 50 ans. Le seul moyen d'écarter cette hypothèse serait d'effectuer une collecte de témoignages issus d'autres cultures et époques, mais à ma connaissance cela n'a jamais été fait de façon vraiment sérieuse et systématique.
C'est une hypothèse qui me semble raisonnable, en effet. Je te propose d'en faire une autre qui, tu t'en doutes, n'ira pas dans ce sens, mais que je serai ravie de discuter le cas échéant.
Si l'on prend en compte
tous les facteurs rapportés après une NDE, on ne doit pas oublier que beaucoup de témoins disent également avoir vu/entendu/perçu avec netteté tout ce qui se passait ici bas pendant qu'ils faisaient leur expérience, parfois même alors qu'ils étaient sensés être inconscients. (Alors oui, je sais, les témoignages ne doivent pas être pris au pied de la lettre, nos sens nous trompent, etc.. Mais, à l'inverse, on ne peut pas non plus passer sous silence ces éléments si on veut être exhaustif). On notera par ailleurs que pas mal d'expérienceurs déclarent que leurs dires auraient été corroborés par la suite (mais, j'en conviens, on ne dispose d'aucune preuve formelle de cela à ce jour).
Bref,
si l'on prend au pied de la lettre (le "
si" est important) tous les phénomènes rapportés, il me semble que - selon le principe du rasoir d'Ockam - l'hypothèse la plus simple - même si dérangeante - serait encore celle qui voudrait que notre conscience existerait bel et bien en dehors du cerveau. Cela expliquerait déjà, non pas tout, loin de là, mais une bonne partie du phénomène tout de même.
Ar So a écrit:
Là encore : est-ce que c'est vraiment le cas chez tous les expérienceurs ? La réponse est très manifestement "non" puisqu'il y a des témoignages de NDE négatives.
Absolument, mais le sujet est malheureusement là aussi très mal documenté. A ma connaissance, il est très difficile de savoir dans quelles proportions elles existent, d'autant que, pour compliquer le tout, certaines NDE semblent débuter de façon très négative et finir de façon très positive. Une constante semble en tout cas demeurer: celle du changement qu'induit l'expérience sur la majorité des sujets qui la relatent.
Citer:
Je parlais du lien entre NDE et croyances tibétaines ci-dessus, ce qui m'a donné envie de creuser ce sujet. Il y au Tibet le concept de
delog — des gens qui sont morts, ont voyagé dans l'après-vie mais sans se réincarner, puis sont revenus pour raconter ce qu'ils avaient vécu. Ce qui est très intéressant, c'est que ce qu'ils racontent ressemble beaucoup sur certains points à des NDE (ils se retrouvent dans des paysages grandioses et lumineux) et en divergent grandement sur d'autres (ils se retrouvent face à Yama, le terrible dieu de l'infra-monde, et assistent à la punition des âmes ayant péché de leur vivant).
Ce petit lien parle des delogs et je le trouve très intéressant... notamment parce que — comme le note l'auteure — on trouve peu ou prou le même genre de chose dans des récits, chansons ou rapports datant du Moyen-Age jusqu'au temps modernes en Europe. Mais avec un contenu beaucoup plus chrétien, bien entendu !
Tiens,
voici une gwerz bretonne (ce n'est p'têt pas le meilleur exemple, j'en avais une autre encore plus approprié en tête mais je n'arrive pas à mettre la main dessus...). Dans les grandes lignes, on a bien l'âme qui s'élève hors du corps, qui est accueillie dans la joie et la lumière, et qui est réunie avec ses parents et proches décédés. Ça ne te rappelle rien ?
C'est très intéressant en effet. Merci pour les infos. Après, comme je l'expliquais ci-dessus, pour moi, ça ne démontre pas grand chose. C'est en revanche très intéressant pour essayer d'appréhender au mieux le phénomène, ses mécanismes et ses possibles composantes.
Ar So a écrit:
Je comprend. J'avoue qu'à titre personnel, je me méfie énormément des hypothèses les plus rassurantes car je sais que le cerveau humain va avoir naturellement tendance à les privilégier.
C'est bien possible, oui. Là-dessus, j'ai une vision peut-être un peu (beaucoup?) trop optimiste des choses mais j'ai tendance à penser que le corps humain est très bien fait et que l'on endure physiquement que ce que l'on est capable d'encaisser, et pas plus. Je trouve notre corps formidablement bien fait en ce sens que, après de grandes souffrances ou de grandes blessures, l'adrénaline fait par exemple que les douleurs intolérables sont bien souvent absentes dans un premier temps. Et lorsqu'elles ressurgissent, le cerveau se met alors comme en "sécurité", ce qui fait que l'on va perdre connaissance, par exemple. Etc. Dans tous les cas, si les douleurs sont trop atroces et incessantes, tu finis de toute façon par en mourir. Donc, jamais tu ne subis "éternellement" (hum, façon de parler, bien sûr...

) cela...
Alors bien sûr, je n'ignore pas que la maladie et les accidents mettent quotidiennement des gens dans des états de grande souffrance, parfois pour des durées très longues. Mais je crois profondément que ce n'est jamais
que cela, qu'il y a des moments de mieux parmi les moments de (beaucoup) moins bien, et qui permettent de tenir le coup. Et, lorsque ce n'est plus le cas et que c'est juste devenu intolérable, alors le corps s'éteint, épuisé, tout "simplement"...
Edit: je viens d'éditer car j'ai réalisé que j'avais oublié un paragraphe dans mon message. Je l'ai ajouté et mis en gras pour que celles et ceux qui auraient lu entre temps le repèrent plus facilement.
Edit 2: j'ai oublié que je voulais aussi réagir là-dessus:
Citer:
Ça ne vous surprendra guère je suppose, mais Ar Soner is not impressed. Pour plusieurs raisons :
- ça ressemble beaucoup à un argument ad hoc et à une variante du (toujours très agréable à entendre) « vous êtes trop borné/trop égocentré/pas assez évolué spirituellement pour accepter la vérité » ;
Je suis désolée si ça a pu être entendu comme ça. Ce n'était, pour ma part, pas du tout mon souhait. De nouveau, je viens ici pour confronter mes points de vue et avancer dans mes réflexions. Mais les confronter n'équivaut pas du tout pour moi à taxer celles et ceux qui auraient une autre vision des choses de "bornés" ou d' "égocentrés". Quant à l'évolution spirituelle, il me semble que j'ai moi même plus que des montagnes à gravir en la matière, alors aller reprocher aux autres de ne pas en être là... Euh, non, vraiment pas, crois moi. Sans compter que ce serait là l’antithèse même d'un discours spirituel.
Bref, tout cela pour dire qu'au contraire, j'aspire à la nuance et à la complémentarité, et j'aime la contradiction lorsqu'elle est argumentée et qu'il ne s'agit pas uniquement d'une posture, même si je l'exprime manifestement souvent mal.