J'ai vécu une 'épiphanie' de ce genre-là, alors que j'étais un ado. Un soir, couché dans mon lit et attendant de m'endormir, j'ai ressenti quelque chose de très fort, comme si j'avais accédé à une forme d'état de conscience supérieur : j'ai réalisé que mon existence n'avait pas d'importance, de même que tout ce qui m'entourait et m'était cher, car tout finirait par disparaître un jour : mes parents, mes amis, cette jolie fille qui me plaît bien, le lit dans lequel je suis allongé, mes objets personnels les plus précieux. Tout va disparaître. Et cette réalisation, loin d'être attristante ou déprimante, me remplissait au contraire d'un sentiment de réconfort et d'apaisement extrême. Tout était bien, et chaque chose était à sa place. Une telle sensation d'acceptation de la vacuité mène à une forme de dissolution de l'égo : j'étais là, sans être là en même temps. C'est un sentiment très fort, et à ce moment, j'aurais pu écrire mot pour mot ces phrases-ci de Ionesco :
Citer:
A ce moment-là, je me suis dit : « Je n'ai plus peur de la mort ». J'avais le sentiment d'une vérité absolue, définitive
Puis cette 'épiphanie' a disparu aussi soudainement qu'elle était venue.
J'ai retrouvé, bien des années plus tard, des sensations identiques via la pratique du zazen. Ce qui n'est guère étonnant, car la méditation (la vraie méditation, qui est une pratique rigoureuse et physiquement assez éprouvante, et complètement différente des exercices de relaxation qu'on présente souvent de nos jours comme relevant de la méditation) est connue pour produire ce genre de choses. Les méditants très expérimentés arrivent à canaliser cette sensation à volonté ; c'est comme une sorte d'objet mental qu'ils ont en permanence en arrière-plan, dans un coin de leur cerveau, et qu'ils arrivent à faire remonter au premier plan quand ils le souhaitent.
Est-ce que cela m'a conduit à changer la façon dont je perçois ce qu'on appelle « la réalité » ? Au risque de vous décevoir — ou de ne pas vous étonner si vous pensez que je suis un incorrigible sceptique : pas vraiment. Je ne nie pas que ces sensations sont extrêmement puissantes (d'ailleurs, certains méditants peuvent y devenir complètement accro, comme des junkies, en s'y réfugiant de façon compulsive pour échapper à leur quotidien)... mais je n'ai jamais vraiment réussi à me détacher de l'impression qu'elles n'étaient pas autre chose qu'une illusion de mon cerveau organique, ni n'ai jamais eu de preuve qui aurait pu infirmer cette idée.
Se baser sur les sensations de la méditation pour remettre en question la réalité dans laquelle nous vivons revient un peu, à mon sens, à penser que la prise de LSD permet
effectivement de faire un voyage mystique vers des états de conscience supérieurs. Ou à estimer que consommer des champignons magiques joue avec les âmes et ouvre les volets de la perception (sic). Certains l'ont fait (je pense notamment à Aldous Huxley) ou le font encore. A titre personnel, je ne trouve pas cela prudent : je n'ai pas envie de voir ma perception du monde et mon paradigme individuel abusés par des choses qui pourraient potentiellement n'être que de simples illusions.