Citer:
Est-il possible d’être un (bon) parent pour un animal ?
LETTRE DES ANIMAUX. Avec son chien Colonel, Hélène Gateau, vétérinaire, vit une relation très proche de l'attachement mère-enfant. Elle appelle au respect du bien-être de l’animal.
Par Nathalie Lamoureux
Publié le 21/01/2024 à 14h10
Hélène Gateau, vétérinaire et chroniqueuse animalière, est ce que l'on appelle une « Dog Mum », la maman d'un chien. Elle n'a pas d'enfant humain, elle n'en veut pas. Elle s'en explique en détail, avec sérieux et finesse d'esprit, dans son livre à succès (25 000 exemplaires écoulés) Pourquoi j'ai choisi d'avoir un chien (et pas un enfant). Finalement, peu importe les raisons de cette prise de position, c'est avant tout « un choix, le fruit d'une réflexion, l'écoute de mon corps, l'indifférence aux injonctions, le reflet d'un parcours de vie, l'expression d'une liberté, et une fierté ».
Ce choix, c'est Colonel, un border terrier qui la comble de joie, lui a fait vivre l'expérience de la maternité, sans gros ventre ni accouchement, et lui coûte moins cher qu'un bambin. La quadra parisienne, individualiste assumée, s'en est occupée tout petit comme d'un bébé, se levant en hiver plusieurs fois par nuit pour lui faire faire ses besoins dehors.
Elle s'est impliquée dans son éveil afin de stimuler chez lui un grand nombre de connexions neuronales. « Colonel fait partie des chiens qui, lorsqu'on leur parle, incline la tête à gauche et à droite pour capter un maximum de mots et de sonorités, dit-elle fièrement. Comme il vit dans un monde d'odeurs, j'ai imaginé des parcours olfactifs, comme on stimulerait un enfant qui fait du coloriage. »
Des parentés instituées par des pratiques sociales
La moitié des propriétaires d'animaux les considèrent comme un membre de la famille à part entière. Sont-ils pour autant des parents ? La parenté est un domaine d'étude privilégié de l'anthropologie et a contribué au fondement même de cette discipline des sciences sociales dans la seconde moitié du XIXe siècle. En anthropologie sociale, la parenté se définit comme l'ensemble des relations sociales qui sont retracées à travers des liens reconnus, de filiation, de germanité et de mariage.
Or, ces liens, que l'on a tendance à considérer comme naturels ou biologiques, ne sont pas universels. Longtemps, les anthropologues occidentaux ont été imprégnés par l'idéologie d'une parenté définie largement par le sang et par le partage de substances biologiques. Mais dans les années 1980, de nouvelles recherches remettent en cause ces conceptions.
À lire aussi Sommes-nous capables de tuer un animal pour sauver notre espèce ?
David Schneider, anthropologue américain, auteur de Study of Kinship, montre, dans une société de Micronésie, qu'il existe des parentés instituées par des pratiques sociales sur la base d'une relation à la terre. Être parents, c'est vivre sur le même lopin de terre, posséder en commun des biens ou des droits sur une maison. C'est le travail de la terre qui conduit telle personne à appartenir à tel groupe et le fait de cesser de la travailler l'en exclut.
Dans la foulée, Janet Carsten, auteur de Culture of Relatedness, s'appuie sur un terrain immersif en Malaisie pour mettre en évidence que c'est le foyer et la commensalité qui créent les parents. Dans la théorie locale du corps, le sang est produit par l'alimentation. En consommant le même riz, on fabrique le même sang et, donc, des personnes affiliées.
Libération d'ocytocine
Depuis la loi sur l'adoption, celle de la filiation et de la bioéthique sur la PMA, le nœud de la sexualité, procréation, alliance, filiation a été desserré. Parents et géniteurs, mais aussi parents et époux, ne se confondent plus. De nouveaux liens de parenté ont été établis dans le cadre des procréations médicalement assistées. Et la voie s'est ouverte à la diversification des configurations familiales, dont ferait partie la « petparentalité ».
« À l'heure où les fratries se recomposent au gré des mariages et des divorces, où on congèle ses ovocytes, où on donne naissance à des enfants par GPA et PMA, on peut faire le choix de ne pas faire d'enfant et prendre un animal de compagnie », estime la chroniqueuse. Au fil des années, un lien d'attachement s'est tissé entre elle et Colonel, de la même nature que celui d'une maman avec son bébé, lequel peut surgir très rapidement, ou bien plus tard.
À lire aussi Ces noms d'oiseaux sur lesquels les ornithologues se prennent le bec
D'un point de vue scientifique, les études ont montré que l'échange de regards entre un propriétaire et son chien se traduit par la libération d'ocytocine, l'hormone de l'amour. D'après les études sociologiques menées aux États-Unis, citées dans le livre, le phénomène de « petparenting » apparaît chez les personnes ou les couples qui n'ont pas encore de descendance.
« La manière dont ils parlent du lien avec leur animal, de l'éducation qu'ils donnent, de l'organisation de leur vie au quotidien, se rapproche du récit de parents avec enfant. La structure familiale conditionne la façon dont on conditionne le lien à l'animal », précise Hélène Gateau.
« Mettre des mots sur cette relation »
Certains estiment que son discours est dangereux. Elle s'agace : « Je le rabâche à chaque fois. Je ne compare pas un chien et un enfant, je compare le lien d'attachement et la place que peut prendre un chien dans une vie. Évidemment que je fais la différence entre un chien et un enfant. C'est justement parce qu'il y a une différence que je peux me permettre de faire un choix entre les deux. »
Si elle a pu hérisser le poil des conservateurs, Hélène Gateau s'est rendu compte qu'elle n'était pas la seule à vivre dans ce modèle-là, encore difficilement accepté. « Je m'attendais à des détracteurs mais pas à une telle adhésion. Pas un jour ne passe sans que je reçoive des messages de personnes qui me remercient pour avoir mis des mots sur cette relation, notamment des témoignages très touchants de femmes qui ont su tirer un trait sur leur non-maternité en prenant un chien. »
La chroniqueuse se considère comme une bonne mère, par l'amour qu'elle donne à Colonel, qu'elle considère comme un chien et pas comme un enfant. Elle souligne l'importance pour les chiens de renifler et d'interagir avec d'autres congénères, exprimant son exaspération envers les gens qui tirent sur la laisse de leur animal pour l'empêcher de sentir les odeurs. « On tue ce qui fait l'essence même du chien. »
Elle insiste sur l'importance du contact avec d'autres chiens, quel que soit leur gabarit, ainsi que sur la nécessité de comprendre le langage corporel des animaux. « Si vous caressez le chien d'un ami et qu'il se met à bailler, il est possible qu'il soit stressé et qu'il n'ait pas envie d'être caressé. On me répète souvent : “Mon chien, il ne lui manque que la parole.” Mais non, je tiens à souligner que si l'on prenait le temps d'observer ce qu'il exprime à travers son corps, ses mimiques faciales, son langage non verbal, on comprendrait les signaux qu'il envoie. »
Enfin, elle relève que les comportements destructeurs des chiens sont souvent des manifestations de mal-être, et elle appelle les humains à s'en préoccuper. « Les chiens déploient tant d'efforts pour vivre dans un monde d'humains qui n'a pas été pensé pour eux, que l'on se doit de faire des efforts pour les comprendre. »
https://www.lepoint.fr/societe/est-il-possible-d-etre-un-bon-parent-pour-un-animal-21-01-2024-2550314_23.phpCertains aigris et autres grincheux ont grincé lorsque son bouquin est sorti (c'est vrai quoi, une femme qui ne veut pas d'enfant n'est pas une vraie femme, diantre, à quoi sert elle je vous le demande un peu...?

), mais personnellement je suis très d'accord avec ce qu'elle dit, qui me semble en fait très sain...
C'est un fait que nous passons notre temps à chercher à adapter les animaux de compagnie à notre conception du monde, de ce qu'il doit être... mais nous ne interrogeons que trop peu sur la manière dont eux vivent le monde, comment ils le ressentent et ce qu'ils ressentent. Ce qui est la source effectivement de nombreux problèmes comportementaux. Un chien, ou un chat, ou n'importe quel autre animal qualifié de "méchant" est surtout au départ un incompris...