Fernando Alonso n'aura pas eu à attendre longtemps pour remporter son premier Grand Prix au volant d'une Ferrari, puisqu'il s'est imposé tout à l'heure à Sakhir. Un succès construit dans le dernier tiers de la course, qu'il a largement dominé avec un meilleur tour en course plus rapide d'une seconde par rapport à tous ses poursuivants.
Mais cette éclatante domination résiste assez mal à l'analyse. En effet, la fin de course d'Alonso ne saurait faire oublier que durant les deux premiers tiers de celle-ci, l'Espagnol a subi la loi de Sebastian Vettel. Après avoir dominé les qualifications, l'Allemand s'était construit très tôt une avance, certes modeste, mais que personne ne semblait en mesure de réellement contester. Elle fut à peine entamée par les changements de pneus, Ferrari et McLaren ayant mieux négocié cet exercice que Red Bull et Mercedes. Cela permit à Hamilton de subtiliser la quatrième place à Rosberg, et à Button de dépasser Webber.
En dehors de cela et des changements induits par le départ (Alonso prenant le meilleur sur Massa, et Webber ratant son envol), on s'attaqua assez peu parmi les leaders. Il est clair que l'on a assisté aujourd'hui à un round d'observation quant à l'incidence de l'interdiction des ravitaillements sur les stratégies : fiabilité des moteurs, endurance des pneumatiques, consommation d'essence... Si bien que parmi les huit premiers, on s'abstint globalement d'appuyer trop fort sur la pédale de droite.
De fait, le poids de l'essence embarquée laissait à penser que c'est en fin de course que les choses s'emballeraient. Le signal fut donné par un étonnant Jaime Alguersuari, qui s'empara brièvement du meilleur tour au 28ème passage, avec sa pourtant modeste Toro Rosso. Alonso choisit alors d'accélérer et lui ravit le meilleur tour. Connaissant le talent de Vettel pour contrôler une course, chacun attendait sa réaction. Elle n'eut pas lieu.
Son avance sur Alonso s'effaça en deux tours, et très vite une caméra embarquée permit d'entendre la source du problème : le son rauque qu'on attribue généralement à un échappement cassé. Un détail qui peut paraître anodin, mais qui est en réalité crucial pour une voiture de course. En effet, l'échappement des gaz issus de la combustion du mélange air-essence dans les cylindres du moteur est un élément essentiel dans le rendement de celui-ci. Un échappement cassé amène généralement une perte de puissance et peut même, en fonction de son emplacement et de sa configuration, entraîner la rupture du moteur.
Vettel fut ainsi incapable de se défendre, et c'est sans difficulté qu'Alonso, puis plus tard Massa et Hamilton, allaient le doubler. On eût pu attendre alors un duel entre les deux pilotes Ferrari... mais là encore, déception : au même moment l'ingénieur de Massa lui intimait l'ordre de lever le pied, ayant décelé sur la F10 du Brésilien de mystérieux problèmes (aérodynamique ou moteur ?), qui valurent d'ailleurs à Massa d'effectuer un spectaculaire travers à quelques tours de la fin.
Ainsi, Fernando Alonso lança son attaque et assomma la course... au moment précis où plus personne ne pouvait lui répondre. C'est donc avec une légère frustration que ceux qui entrevoyaient une lutte acharnée pour la fin de course assistèrent à un doublé Ferrari, Alonso et Massa devant un Hamilton discret, mais efficace. Pour voir le spectacle promis par la disparition des ravitaillements, il faudra attendre un peu que chacun prenne ses marques.
Triomphe pour Ferrari donc, mais un triomphe assorti de zones d'ombres, avec une victoire par KO qui, si elle n'est bien sûr pas imméritée, n'est pas aussi éclatante que les écarts ne le montrent en première lecture. Il y a les énigmatiques soucis de Massa et, plus grave, les mystérieux changements brusques de température à l'intérieur des moteurs, phénomène que les ingénieurs de la Scuderia n'expliquent pas et qui a conduit à changer les moteurs des deux voitures avant la course. Deux blocs qui ne pourront plus être utilisés en course : il en reste donc sept pour chacune des deux voitures d'ici la fin de la saison (au-delà, les Ferrari seront pénalisées à chaque nouveau changement), alors que 18 Grands Prix sont encore à disputer... Une situation qui pourrait jouer des tours aux "Rouges" en fin de saison, surtout s'ils sont en lutte pour le titre mondial. Alonso, du reste, n'a peut-être pas arrangé la situation : sans doute désireux de montrer que son succès n'était pas dû à la chance, et aussi de prendre un ascendant psychologique sur un Massa qu'on sait moins fort dans ce domaine, il a peut-être attaqué inutilement fort alors qu'il avait course gagnée. Même si son moteur n'a pas semblé en pâtir, il pourrait peut-être en payer le prix en Australie.
Vettel se consola en sauvant sa quatrième place, son moteur semblant mieux se porter en fin de parcours, ce qui lui permit de résister à Nico Rosberg. Le pilote germano-finlandais devance Schumacher, dont le retour est de toute évidence réussi. L'incertitude concerne maintenant sa marge de progression : plafonne-t-il déjà à cause de ses 41 printemps, ou est-il simplement "rouillé" et a encore besoin de quelques courses pour retrouver son meilleur niveau ? Derrière les Mercedes, un discret Button termine septième, devant un Mark Webber à la peine.
Derrière tout ce petit monde, la course fut, il faut bien l'avouer, un peu plus agitée. La faute, en premier lieu, à Webber, qui non content de partir du mauvais pied, gratifiait le peloton de l'épaisse fumée d'un trop plein d'huile, et de quelques gouttes de lubrifiant qui envoyèrent Sutil et Kubica en tête-à-queue. Liuzzi prit le relais de son équipier pour terminer neuvième, tandis que Barrichello, un peu chahuté en performance pure par Hülkenberg, fit parler son expérience pour marquer le dernier point.
Le Brésilien devance Kubica et Sutil, auteurs de très belles remontées. L'autre Renault s'est aussi faite remarquer : auteur d'un départ canon et d'un beau début de course, Vitaly Petrov n'a pas manqué sa première course de F1. Mais, alors onzième, ses espoirs de lutter pour les points furent ruinés par la rupture d'une attache de suspension.
Derrière Sutil, les deux Toro Rosso auraient réalisé une arrivée groupée sans une malheureuse panne (sèche ?) de Buemi à quelques kilomètres de l'arrivée. Le Suisse s'était signalé en occupant brièvement la neuvième place, étant le dernier à s'arrêter malgré ses pneus tendres. Toutefois, à trop vouloir respecter sa stratégie initiale, il tarda à changer ses gommes usées, perdant un temps précieux qui ne lui permit pas de jouer les points. Alguersuari fit lui aussi une course remarquée, comme on l'a vu, terminant treizième.
Les Sauber, bien qu'égales en performance, n'eurent pas le loisir de faire aussi bien que leurs rivales italiennes : pannes hydrauliques avant la mi-course pour Kobayashi et de la Rosa.
Prudents, les pilotes ont semble-t-il pris la mesure de la lourdeur de leurs voitures en début de course, les seuls à se faire piéger étant les inexpérimentés Hülkenberg, auteur d'un tête-à-queue l'ayant contraint à un changement de pneus surnuméraire, et Chandok qui abima le nez de son Hispania. Le pilote Williams dut s'extirper des bas-fonds du classement pour terminer quatorzième, l'occasion pour Kovalainen de lui opposer une belle, mais vaine résistance au volant d'une Lotus dépassée en performances.
L'écurie malaysienne manqua d'ailleurs de peu son objectif de faire terminer la course à ses deux voitures, mais c'était sans compter sur une panne hydraulique (encore) qui arrêta la monoplace de Trulli dans son dernier tour. 17ème, il fut classé derrière Buemi, tandis que Kovalainen finissait 15ème et dernier à rouler.
Le Finlandais se retrouvait ainsi à deux tours d'Alonso (soit quand même plus de quatre minutes), mais l'essentiel pour Lotus était d'accumuler les tours et une expérience précieuse. On ne peut pas en dire autant des Virgin, qui bien que plus véloces ne verront pas l'arrivée : panne hydraulique pour Di Grassi, boîte de vitesses pour Glock. Quant à Hispania, le calvaire continue : après s'être élancés des stands, Chandok ne couvrit qu'un tour avant son accident, et Senna 17, jusqu'à que son moteur ne cède.
Prochaine épreuve à Melbourne, en Australie, le 28 mars.
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