Ameranthropoïde de Loys |
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Homme-singe abattu au Venezuela par le géologue suisse François de Loys vers 1920, en réalité un canular
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Découverte de l’homme-singe
D’après les comptes-rendus publiés plus tard par François de Loys et par George Montandon, l’histoire aurait eu lieu vers 1920. L’année exacte n’est pas précisée, même si de nombreuses personnes racontant cette histoire par la suite placeront les événements en 1920.
François de Loys (âgé d’environ 28 ans à l’époque des faits), après des études de zoologie, partit pour une expédition de trois ans dans une zone montagneuse inexplorée au nord de la frontière entre le Venezuela et de la Colombie. Plusieurs gisements de pétrole furent découverts au cours de cette expédition dangereuse (nombre de ses membres moururent de maladies tropicales ou lors d’attaque d’indiens Motilones). D’après le récit donné une dizaine d’années plus tard par l’ethnologue George Montandon, de Loys était au campement lorsqu’il entendit des bruits étranges :
La photo faite à cette occasion montre en effet un singe ressemblant à un atèle (singe-araignée) assis sur une caisse à bidons d’essence, avec un bâton installé sous le menton pour le maintenir debout. Compte tenu de la taille prêtée à la caisse (45cm selon Montandon), l’animal mesurerait près d’1,50 mètre de haut, soit beaucoup plus grand que les atèles normaux. On peut noter la présence de ce qui ressemble à un pénis : d’après Montandon il s’agirait en fait d’un clitoris hypertrophié (ce qui est en effet le cas sur les femelles atèles).
Ce cliché, très net, sera très régulièrement sorti par la suite dans des livres traitant de cryptozoologie ou des énigmes de l’histoire : pour Bernard Heuvelmans, elle sera même d’une importance capitale dans un premier temps, puisque l’« homme-singe » sera considéré comme « la seule bête ignorée dont on possède la photo ». Une pièce anatomique (le crâne) est conservée dans un premier temps par l’équipe de Loys, mais aucun cliché n’en est tiré et, d’après les dire de celui-ci, il finira en pièces après avoir été utilisé comme boîte à sel par le cuisinier.
L’histoire ne sera divulguée que dix ans plus tard, en 1929, par l’ethnologue franco-suisse George Montandon, ami du géologue, dans une série de conférences et d’articles de presse. Celui-ci en fait un grand singe anthropoïde inconnu, sorte d’équivalent américain d’autres grands singes tels que le gorille ou l’orang-outan, qu’il baptise du nom d’Amer-anthropoides Loysi (sic).
(Journal de la Société des Américanistes, Paris 1929)
Aucune autre preuve n’ayant pu être obtenue depuis, l’histoire est restée du domaine de la cryptozoologie et a été citée par de nombreux auteurs de cette discipline (notons B. Heuvelmans dans Sur la Piste des Bêtes Ignorées et J.-J. Barloy dans Les Survivants de l’Ombre).
Photographie de l'ameranthropoïde telle qu'elle est montrée dans Sur la Piste des Bêtes Ignorées de B. Heuvelmans
Debunking
Le fait que l’affaire n’ait été révélée que dix ans après les faits, en dépit de l’aspect extraordinaire de la nouvelle, a commencé à mettre la puce à l’oreille d’un certain nombre de savants, qui se sont penchés avec un peu plus d’attention sur les faits.
Il s’avère que les éléments qui font l’originalité de l’ameranthropoïde par rapport aux atèles sont soit invérifiables, soit exagérés. En voici une liste :
- Taille beaucoup plus importante (plus d’1m50, comparé aux atèles normaux mesurant rarement plus d’1m20).
- Absence de queue. Les atèles ont en effet une queue préhensile très longue leur servant à progresser plus aisément dans les cimes des arbres.
- Nombre de dents identique à celui de l’homme : 32 dents, contre 36 pour les atèles.
- Membres moins graciles, plus robustes que ceux des atèles.
- Démarche bipède.
- Expression « incroyablement humaine » du visage.
Il est certain qu’aucun de ces arguments ne tienne la route quand on les examine de plus près :
- La taille est estimée à plus d’1,50 m sur la photo. Or, Montandon, à l’époque des faits, a fait évoluer la taille du singe de façon suspecte. L’estimant d’abord à 1,35 m, il la fixe par la suite à 1,57 m, soit 22 cm de plus. Selon lui, une caisse d’essence standardisée ferait 45 cm de haut : en estimant la taille du singe sur la photo, on arrive à environ 1,50 m. Or, des recherches ultérieures ont considérablement diminué cette taille : en effet, les caisses d’essence utilisées en Amérique du Sud sont d’un format plus petit (41 cm au lieu de 45) ce qui diminue la taille estimée de 12 cm, soit 1,38 m.
De plus, Michel Raynal, s’apercevant que la caisse semble amputée d’une partie de sa hauteur, décide de mesurer la hauteur du singe par rapport à la largeur de la caisse, et ne trouve qu’une taille d’1,20 m : ce qui est certes grand pour un singe atèle, mais n’a rien d’extraordinaire. Aucune photo n’a été prise avec un objet facilement identifiable ou une personne pour donner l’échelle.
Il faut également dire que la version la plus connue du cliché est amputée de ses deux côtés, ce qui fait paraître le singe plus grand qu’il ne l’est. - Absence de queue : invérifiable, vu la posture du singe sur la photographie. On peut noter qu’aucune photo de profil ou du dos du singe n’a été prise pour vérifier cette caractéristique.
Au final, il n’existe aucune preuve que le singe n’avait réellement pas de queue, et pas qu’elle ait été dissimulée ou amputée pour les besoins de la photographie. - Nombre de dents : invérifiable, le crâne ayant disparu et aucun cliché n’en ayant été pris.
- Membres moins graciles et plus robustes : cet argument n’est pas forcément vrai. En effet, les atèles dits « métis » sont plus robustes que les atèles normaux, et il est également possible que la décomposition ait distendu le cadavre.
- Démarche bipède : Loys et Montandon ne précisent pas explicitement ce détail, Loys précise même que les hommes-singes se sont mis debout maladroitement et s’accrochaient aux branches.
De plus, le fait que ses pieds soient préhensiles (cf. pouce opposable sur la photo) semble indiquer que cet animal était quadrupède. - Expression « incroyablement humaine » du visage : les singes atèles et capucins sont connus depuis longtemps pour leur visage, dont les mimiques rappellent fortement celles d’un être humain.
Il existe de nombreux éléments en faveur de l’hypothèse du canular. Loys était apparemment connu par ses collègues comme un grand farceur, qui avait de plus reçu en cadeau un grand atèle, qu’une maladie priva de sa queue. Le fait que l’incident ne soit pas daté précisément (malgré les textes faisant référence à 1920, aucune date précise, pas même une année, n’est mentionnée par Montandon ou Loys) ni situé exactement (tantôt sur un affluent gauche, tantôt sur un affluent droit du río Tarra) ne plaide pas en sa faveur, ni le fait qu’il ait été occulté pendant une dizaine d’années.
En outre, la photo présente sur la plupart des livres traitant du sujet est amputée de ses côtés : l’une des connaissances de Loys, le docteur Enrique Tejera, répliqua que l’arrière-plan est en fait une bananeraie. La pousse de bananier se trouvant immédiatement à droite du singe semble confirmer cette thèse. Le bananier ne pousse pas à l’état sauvage au Venezuela : ceci indique que le singe n’a pas été photographié en pleine forêt vierge, mais au contraire dans une région peuplée de l’homme.
Enfin, l’homme-singe a (d’après le récit de Loys) été abattu de plusieurs coups de feu : or, le cadavre ne montre pas le moindre impact de balle.
Il est à noter qu’un certain nombre de savants, dont Ivan T. Sanderson (un des pères de la cryptozoologie), affirmèrent très rapidement que le fameux homme-singe n’était en fait qu’un simple atèle à ventre blanc mâle (Ateles belzebuth).
Photographie de l'ameranthropoïde montrée dans son intégralité, avec une pousse de bananier à droite du singe
Réutilisation de l'homme-singe par Montandon
Pourquoi cette plaisanterie aurait-elle été soudainement exhumée après un silence de presque dix ans ?
Si l’on regarde les publications de Montandon avec plus d’attention, on s’aperçoit que celles sur l’ameranthropoïde sont les seules concernant le règne animal : le reste de ses publications est un ensemble de textes racistes. Cet ethnologue, raciste et antisémite de la première heure, avait en effet, à la fin des années 20, une théorie particulière sur la naissance de l’humanité et des races : l’ologénisme.
Selon cette théorie, les différentes « races » de l’humanité s’expliqueraient par la différence de nos origines : les hommes blancs descendraient des hommes de Cro-Magnon, les hommes noirs des gorilles, les asiatiques des orangs-outans, les hommes du Proche et du Moyen-Orient des chimpanzés. Il manquait un grand singe anthropoïde pour expliquer les origines des Amérindiens : il semble que Montandon ait choisi de décrire cette nouvelle espèce d’ « homme-singe » pour apporter de l’eau à son moulin ; quitte à citer sa propre théorie dans ses articles sur l’ameranthropoïde :
(L’Anthropologie, 20 mars 1929)
Conclusion
En bref, longtemps montrée en exemple comme une des affaires les plus retentissantes de la cryptozoologie, l’affaire de l’Ameranthropoides loysi ne semble être à la base qu’un innocent canular, récupéré par la suite par Montandon et Loys pour appuyer des thèses racistes. Il existe toujours quelques histoires faisant état de petits hommes sauvages dans les forêts vierges d’Amérique du sud, mais à l’heure actuelle celles-ci semblent plus tenir de la légende que de la science.
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Traduction anglaise : De Loys' Ape
Noms alternatifs : Ameranthropoïde du Venezuela, Singe anthropoïde de la Sierra de Perija
Localisation : Río Tarra, Venezuela, Amérique du Sud
Liens complémentaires :
Enquête de Michel Raynal sur le canular de l'ameranthropoïde et sa récupération par Montandon
Article wikipédia sur l'ameranthropoïde du Venezuela
Bibliographie :
- Sur la Piste des Bêtes Ignorées, Tome II, Bernard Heuvelmans, Plon, 1955
- Les Survivants de l'Ombre, Jean-Jacques Barloy, Arthaud, 1985
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Auteur : Herr Magog
Mise en ligne : 09/06/13
Dernière modification : le 24/03/16 à 21:17
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