Encyclopédie du paranormal - Sokushinbutsu

     Sokushinbutsu


Moine bouddhiste japonais suivant une longue pratique ascétique, l'amenant à se momifier vivant


Les sokushinbutsu (du japonais 即身仏, qui peut se traduire approximativement par "rapidement Bouddha dans ce corps") étaient des moines bouddhistes qui suivaient une discipline particulière leur permettant après leur mort, de momifier spontanément leur corps par un procédé naturel.
Ce cadavre miraculeusement préservé était interprété comme le signe que la personne décédée était devenue un Bouddha dans l'autre vie.

Les sokushinbutsu ne sont attestés que dans la préfecture de Yamagata, une région montagneuse au nord de l'île d'Honshū.

Cette pratique est interdite par la loi japonaise depuis la fin du XIXème siècle, car considérée comme une forme de suicide (chose illégale au Japon).

Sokushinbutsu de Tetsuryuukai Shonin (鉄竜海上人), visible au temple de Nagaku-ji.

Source : www.tsuruokakanko.com

Origine et fondement religieux


La momification naturelle est une coutume funéraire assez rare dans les différents courants actuels du bouddhisme. Cependant, par le passé, il semblerait qu'elle ait été beaucoup plus répandue.

Selon certaines traditions, les moines chinois chan (qui créèrent par la suite le courant zen au Japon) auraient eu recours à cette pratique dès la dynastie Han (-220 av. Jc à 206 ap. JC) et au Moyen-Age. La plupart de ces momies furent détruites lors de la révolution culturelle chinoise, mais il en subsiste encore quelques unes. En dehors de la Chine et du Japon, des exemples de momies bouddhistes peuvent être trouvés (en Sibérie, au Tibet et en Thaïlande) mais ils restent très anecdotiques.

Il est important de noter que la momification "artificielle", telle que la pratiquèrent les anciens Egyptiens, est inconnue dans la culture bouddhiste.


Au Japon seuls les moines de la secte Shingon, dont les préceptes sont très fortement teintés de shinetoïsme (la religion animiste traditionnelle japonaise), ont eu recours à la momification. Il est possible que les moines Zen-Sōtō l'aient également pratiqués, mais l'on ne dispose d'aucune momie permettant de le démontrer.

NB : le mot "secte" doit ici être pris dans le sens de "courant de pensée" ou 'école", sans aucune idée de sectarisme.

Kōbō-Daishi (弘法大師) le créateur de la secte Shingon, aurait importé de Chine le concept de sokushinbutsu. Selon la légende, il fut le premier moine momifié sur le sol japonais : à la fin de sa vie, Kōbō-Daishi serait entré dans un caverne pour y méditer. Plus tard, ses disciples l'auraient retrouvés mort, son corps dans un parfait état de conservation. Il est dit que ses cheveux et ses ongles continuaient même encore à pousser !

Dans la doctrine du bouddhisme, le monde "sensible" (celui qu'on perçoit à l'aide de nos 5 sens) n'est qu'une illusion. Il empêche de saisir la vérité authentique, qui est que chaque chose fait partie d'un "grand tout" immanent mais distinct du monde sensible. Tant que cette vérité n'est pas perçue, la personne est condamnée à subir un cycle sans fin de réincarnations.
Tout le travail du moine est donc d'arriver à se détacher suffisamment du monde sensible pour qu'à sa mort, il puisse enfin se sortir du cycle de réincarnations et ne faire qu'un avec le "grand tout".

Dans certains courants du bouddhiste et en particulier dans la secte Shingon, cette logique d'un "monde illusion" est poussée à l'extrême. Pour se dissocier du monde sensible et atteindre le statut de Bouddha, les moines Shingon s'entraînent à oublier la douleur et leur peur de la mort, par des moyens assez 'brutaux' (par exemple, en méditant sous une cascade d'eau glacée).

Les moines souhaitant devenir des sokushinbutsu étaient le plus souvent des hommes d'un âge avancé, cherchant à pousser jusqu'au bout cette capacité à ignorer la douleur et leur moi physique.
La momie qu'ils laissaient derrière eux devenait alors un symbole de leur lutte réussie pour s'affranchir de l'illusion du monde sensible, et atteindre le statut de Bouddha. La dépouille était montrée en exemple pour les moines novices.
Dans le cas où la momification échouait (ce qui arrivait dans la plupart des cas), le moine était malgré tout admiré pour sa force d'esprit et sa volonté.

Source : CJ Matthews

La pratique


Les sokushinbutsu sont restés pendant très longtemps dans l'oubli. Ce n'est qu'en 1960 qu'ils ont été redécouverts, les chercheurs commencèrent alors à s'y intéresser et purent expliquer leur origine.

La pratique ascétique visant à transformer un moine en sokushinbutsu durait plusieurs années. Elle était particulièrement pénible à endurer et demandait de la part du moine un très grand contrôle sur lui même. Son but était à terme de diminuer la quantité de fluides et de graisses contenues dans le corps : ainsi, la dépouille avait moins de chance de se décomposer après la mort du moine.

Les sokushinbutsu sont donc très différents des momies égyptiennes, dont on a retiré les organes et qu'on a préparé à l'aide de produits chimiques de façon à empêcher la décomposition de la dépouille.

La pratique se déroulait en 4 étapes :

  • Pendant 1000 jours (grosso-modo 3 ans), le moine adoptait un régime alimentaire exclusivement composé de noix et de graines ramassées dans la forêt environnant le temple. Parallèlement à cela il pratiquait des exercices physiques intenses. A la fin de cette période, le corps du moine avait donc perdu toute sa graisse.
  • Pendant à nouveau 1000 jours, le moine suivait un régime encore plus restrictif : il ne mangeait plus que de petites quantités de racines et d'écorces de pin. Au terme de ces 3 ans, le corps du moine s'était "desséché" et avait perdu une grand partie de ses fluides corporels.
  • Vers la fin de cette deuxième période, le moine commençait à boire un breuvage préparé à partir de la sève de l'arbre urushi (Toxicodendron verniciflum, aussi appelé sumac japonais en Occident). Cette sève, très toxique, est en particulier utilisée comme laque dans l'ébénisterie traditionnelle ; la boire provoquait des vomissements, des diarrhées... Cette méthode achevait le processus de déshydratation du corps du moine ; son autre avantage était également d'empoisonner la dépouille et ainsi d'éviter que celle-ci ne soit dévorées par les insectes ou des animaux nécrophages.
  • Enfin, le moine était emmuré vivant dans une cavité juste assez grande pour contenir un homme en position du lotus. Son seul contact avec l'extérieur était un petit tube lui permettant de respirer, et une clochette, qu'il devait sonner chaque matin pour indiquer aux autres moines qu'il était encore en vie. Quand la clochette cessait de sonner, ceux-ci savaient que leur compagnon était mort et la tombe était définitivement scellée.

Les moines attendaient alors 1000 jours, au bout desquels la tombe était ouverte, et la momification du corps (ou sa non-momification) était constatée. La tradition orale et la littérature des temples précisent que beaucoup de moines ont tenté de devenir sokushinbutsu mais très peu y sont parvenus, la méthode n'étant pas infaillible et conservant une certaine part de hasard.

D'après certaines théories, les moines dont le processus de momification fut réussi auraient pu absorber de l'eau d'une source de la montagne sacrée Yudono ; celle-ci est en effet très riche en arsenic, qui est un puissant bactéricide.

Il existe officiellement 16 sokushinbutsu au Japon, mais le chiffre officieux de 24 ou 28 momies est très souvent avancé.


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Traduction anglaise : Sokushinbutsu

Traduction japonaise : 即身仏

Localisation : Japon, Asie

Liens complémentaires :

Contient notamment la liste des temples dans lesquels sont visibles les shokushinbutsu.

Bibliographie :

  • Les contes d'une pluie de printemps (Harusame monogatari 春雨物語) d'Ueda Akinari (plus connu comme auteur de Ugetsu monogatari 雨月物語 : les contes de la lune vague après la pluie).

Ce recueil contient une nouvelle satyrique, racontant l'histoire d'un sokushinbutsu réveillé plusieurs siècles après sa mort.

  • Self-Mummified Buddhas in Japan. An Aspect of the Shugen-Do Sect, de Ichiro Hori.

Un ouvrage de référence, écrit par l'un des premiers scientifiques à s'être penché sur les sokushinbutsu


Auteur : Ar Soner
Mise en ligne : 21/08/08
Dernière modification : le 10/07/12 à 17:59