It Comes At Night
Alors, d'emblée : amateurs de "gros" films d'horreur, avec jump-scare à gogo et gens qui courent partout en hurlant poursuivis par un fantôme/zombie/monstres/tueur psychopathe - rayer la mention inutile - passez votre chemin... parce qu'It Comes At Night est aux antipodes le plus absolu de cela. Je ne sais même pas si on peut le qualifier de "film d'horreur"... on est dans un drame horrifique psychologique et tragique, à la fois post-apocalyptique, et paranoïaque. Si je devais trouver un film dans le même esprit, je dirais La Route ... Ce qui explique la relativement mauvaise note sur AlloCiné, alors que moi, j'en suis ressortie très enthousiasmée...
Pour ma part, j'ai trouvé l'ensemble extrêmement bien fait, intelligent, et totalement maîtrisé de bout en bout... une lenteur dans le rythme, mais un rythme qui ne se délite jamais mais qui au contraire est comme une respiration suspendue, comme si on pouvait à peine respirer... La menace extérieure prend la forme d'un virus, mais le "It" n'est jamais nommé... On ne sait même pas si "cela" existe au fond... peut-être parce que le "cela" lui plus terrifiant et abject se terre au cœur même de l'être humain. Et c'est ce qui rend le film si glaçant : parce qu'il nous projette, à l'instar des personnages principaux, des gens qui sont totalement comme vous et moi, dans le questionnement "et qu'est-ce que je ferais si ça arrivait ?". Diablement efficace, donc, parce qu'il arrive à faire naître la peur non pas à l'écran directement, mais à l'induire dans la tête du spectateur - d'où la maîtrise parfaite dans la réalisation ( deuxième film de Trey Edward Shults, moi je vais retenir ce nom...). D'ailleurs, les scènes qui pourraient entrer dans la catégorie "horreur" sont dans les rêves du fils... alors que la réalité, la vraie, va s'avérer beaucoup plus atroce. Mais cela ne sera que très discrètement montré.
On a à la fois un propos presque néo-réaliste, et une réalisation qui reprend tous les codes visuels du film d'horreur, et qui le fait avec une élégance et un esthétisme recherché sans être cliquant : des escaliers, des couloirs, des portes... on est pris avec les personnages dans un dédale statique qui n'a pas d'échappatoire. Une maison barricadée, aux fenêtres toutes bardées de bois, au milieu d'une forêt dont on a l'impression qu'elle est infinie : le monde extérieur n'existe plus, la vie "d'avant" n'est plus présente que par de vieilles photos, de vieux objets, on s'accroche au peu de passé qu'il reste quand il n'y a plus rien au dehors qu'une peur sans nom, sans avenir, et que le peu d'êtres humains qui restent n'ont qu'une idée en tête : survivre. Alors qu'on peut se demander si la survie même a un sens...
It Comes at Night soulève donc plein de questions, et je pense que l'on peut le revoir des dizaines de fois, on s'en posera toujours autant. Non pas parce qu'il y a un cliffhanger retors à la fin - au contraire, l'action est parfaitement limpide - mais parce qu'on peut sans cesse s'interroger sur le sens d'une scène ou la position d'un personnage, sur la symbolique d'un personnage... Donc clairement, c'est plus un film cérébral qu'un film d'horreur divertissant (et si on l'aborde de cette façon, on passe clairement à côté...)
Les acteurs, Joel Edgerton (également producteur. Après Loving, décidément des choix de films parfaits...) en tête solide et impérial, sont au diapason : humains, à la fois émouvants et perdus, ils sont parfaitement justes. Et justes ce que nous pourrions être...
_________________ Même si on ne nous laisse qu'une ruelle exiguë à arpenter, au-dessus d'elle il y aura toujours le ciel tout entier. Etty Hillesum, Une vie bouleversée
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