Encyclopédie du paranormal - Baphomet

     Baphomet


Idole païenne supposément adorée par les Templiers


Selon les compte-rendus des procès et interrogatoires menés au XIVème siècle par l'Inquisition, Baphomet est une mystérieuse divinité païenne (probablement un avatar du prophète de l'Islam Muhammad) qui aurait été vénérée par les Chevaliers de l'Ordre du Temple durant leur établissement à Jérusalem entre le XIème et le XIIIème siècle.
L'idole a été remise au goût du jour avec le développement de l'occultisme au XIXème siècle, qui lui a donné un aspect plus proche de l'imagerie traditionnelle associée aux démons et à Satan. La figure de Baphomet ne possède plus de nos jours qu'un très lointain rapport avec la supposée idole templière ; elle est multiforme et dotée d'une symbolique très complexe qui varie selon les époques, les auteurs et les courants de pensée.

La « chèvre sabbatique », dessinée par Eliphas Levi? en 1854, est devenue indissociable de Baphomet dans l'esprit du grand public

Etymologie


Les premières traces attestées du mot Baphomet peuvent être trouvées dans des textes du XIème siècle ; il s'écrivait alors Baphometh en latin et Bafumetz/Bafomet en occitan. Le terme est manifestement une corruption de Muhammad (arabe : محمد), le nom du prophète et fondateur de l'Islam, qui a pu être entendu au cours de la première Croisade et déformé par les chevaliers peu familiers avec la langue arabe.
Il faut noter que Baphomet n'est pas un cas isolé de transcription approximative : Muhammad fut également latinisé de façon approximative sous la forme Mahomet encore en usage de nos jours... ainsi que maumet et mahound, mots désignant en anglais un faux dieu ou une idole.

De nombreuses autres explications au nom de Baphomet ont cependant été avancées par divers auteurs ésotériques et historiens à partir du XVIIIème siècle :

  • Friedrich Nicolai ayant émis en 1782 l'hypothèse que les Templiers étaient des chrétiens gnostiques (voir partie suivante Baphomet et la franc-maçonnerie?), il proposa l'étymologie βαφη μῆτεος (baphe meteos, soit en grec « baptême de sagesse »). En 1930, Fulcanelli s'appuie sur un étymologie grecque similaire βαφεύς μέν (bapheus men, « teinturier de la Lune ») pour les besoins de son explication hermétique du symbole Baphomet.
  • Emile Littré dans son Dictionnaire de la langue française (fin du XIXème siècle) affirme que le mot provient de l'acronyme lu à l'envers de templi omnium hominum pacis abbas, soit en français « abbé/père du temple de la paix de tous les hommes ». Littré prétendait tenir cette information de l'occultiste Eliphas Lévi ;
  • Aleister Crowley a proposé dans son autobiographie (1929) que le nom dérivait d'une corruption du mot Father Mithras (« Père Mithras » en anglais).
  • l'ésotériste Paul le Cour décompose le mot en bios (βιος, « vie »), phos (φῶς, « lumière ») et metis (μῆτις, « sagesse »).
  • l'auteur Albert Ollivier a rapproché dans son livre Les Templiers (1958) Baphomet de Baffo/Bapho, l'ancien nom du port de Chypre qui fut fréquenté par l'Ordre du Temple.
  • l'orientaliste Idries Shah, plus connu sous le pseudonyme de Arlon Daraul, avança dans Une Histoire des Sociétés Secrètes (1984) que Baphomet était une déformation de l'arabe أبو فهمة abu fihamat, signifiant « père de la compréhension » ;
  • l'archéologue Hugh J. Sconfield, réputé pour son travail sur les manuscrits de la Mer Morte, propose dans son livre L'Odyssée Essenienne que les inventeurs du mot Baphomet connaissaient le chiffrement Atbash, une méthode de cryptage consistant à remplacer la première lettre de l'alphabet par la dernière, la seconde par l'avant-dernière et ainsi de suite. Baphomet pouvant se transcrire en hébreu par בפומת (BPWMTh), il donne une fois transcrit שופיא (ShWPYE) ce qui peut être interprété comme une déformation du mot grec σοφια (sophia) signifiant « sagesse ».
    La théorie de Sconfield n'a cependant pas pu être étayée davantage et il pourrait s'agir d'une simple coïncidence.


Origine et développement du mythe au Moyen-Age


La première mention connue à Baphomet peut être trouvé dans une lettre de 1098 du Croisé Anselm de Ribemont, dans laquelle le terme Baphomet sert très clairement à désigner le prophète des musulmans ;

« Sequenti die aurora apparente, altis vocibus Baphometh invocaverunt; et nos Deum nostrum in cordibus nostris deprecantes, impetum facientes in eos, de muris civitatis omnes expulimus »


« Alors que l'aurore du jour suivant apparaissait, ils invoquèrent à haute voix Baphomet tandis que nous prions le nom de notre Dieu dans notre coeur, puis nous les attaquâmes et les expulsâmes hors des murs de la cité »
(Traduction d'Ar Soner)

Raymond de Aguilers dans une chronique de la première Croisade appelait les mosquées des Bafumarias, soit littéralement des endroits où l'on vénère Baphomet. Les chrétiens du Moyen-Age percevaient en effet (et à tort) les musulmans comme un peuple idolâtre dont Baphomet/Muhammad était le dieu.
La Chanson de Simon Pouille (XIIème siècle) décrivait ainsi une idole vénérée par les Sarrasins nommée Bafumetz. Un poème du XIIème siècle, Senhors, per los nostres peccatz (« Seigneurs, pour nos péchés ») du troubadour Gavaudan, y fait également plusieurs allusions :

«... ab Luy venseretz totz los cas / cuy Bafometz a escarnitz / e les renegatz outrasalhitz. »


« ... avec lui (Jésus) vous vaincrez tous les chiens, que Baphomet a égaré, et les renégats outrageux. »


«... e Dieus er honratz e servitz / on Bafometz era grazitz. »


«... et Dieu sera honoré et servi, là où Baphomet était vénéré. »
(Traduction d'Ar Soner)

Un autre poème du XIIIème siècle de l'auteur Austorc d'Aorlhac, décrivant l'échec de la 7ème Croisade, parlait également du Baphomet.

« Crestiantat vey del tot a mal meza, tan gran perda no cug qu'ancmais fezes ; per qu'es razos qu'hom hueymais Dieu descreza e qu'azorem Bafomet, lai on es, Tervagan e sa companhia, pus Dieus vol e sancta Maria que nos siam vencut a non dever, e·ls mescrezens fai honratz remaner. »
« Je vois la chrétienté mise à mal, je ne crois pas que nous ayons jamais éprouvé telle perte ; et c'est bien raison qu'on cesse de croire en Dieu et que nous adorions Baphomet là où il est, Tervagant (NdA : une autre idole que les musulmans étaient supposés vénérés, selon les chrétiens des Croisades) et sa compagnie, puisque Dieu et Sainte Marie veulent que nous soyons vaincus contre tout droit, et que les mécréants remportent tout l'honneur. »
(Traduction de A. Jeanroy)

Avec le démantèlement de l'Ordre des Templiers prononcé par le roi de France Philippe IV le 13 octobre 1307, les chevaliers du Temple furent persécutés, arrêtés puis torturés jusqu'à obtenir leur aveux de parjure vis à vis de la foi catholique. Parmi les très nombreux chefs d'accusation d'hérésie (on en dénombrera plus de 100, tel que la sodomie, l'acte de cracher ou uriner sur la croix...), on les soupçonnait également d'avoir vénéré une idole païenne, se présentant sous la forme d'une simple tête barbue nommée Baphomet.
L'Inquisition apporta des « preuves » de son accusation en s'appuyant sur les biens saisis dans les commanderies templières, possessions qui contenaient plusieurs têtes en argent... en réalité probablement des reliquaires, dont l'un contenait peut-être la véritable tête embaumée d'Hughes de Payns (le fondateur de l'Ordre du Temple). Une de ces têtes était marqué caput LVIIIm (en latin : « tête 58m »), ce qui a laissé supposer qu'il y en avait peut-être d'autres de la même sorte.

Exemple de reliquaire en forme de tête (dit « chef-reliquaire ») du XIIIème siècle, peut-être similaire à ceux possédés par les Templiers

Lors des procès qui eurent lieu, certains Templiers nièrent catégoriquement avoir jamais rendu un culte à une quelconque idole païenne. D'autres reconnurent – sous la torture ou la menace de la torture – l'avoir vénérée, mais la décrivirent de diverses manières : comme un chat, comme une vraie tête momifiée, une tête en bois ou faite de métaux précieux (or, cuivre et argent), une tête avec 2 ou 3 visages à l'image du dieu romain Janus... Le frère Raymond Rubei de Carcassonne avoua qu'il s'agissait d'une tête peinte à l'effigie de Baphomet, que les chevaliers adoraient en criant « Yalla ! » un mot emprunté aux musulmans (terme qui signifie en réalité « allez ! » en arabe, ou pourrait être une corruption du terme arabe 'allah الله‎ signifiant « dieu »)...
Certains templiers avouèrent que la tête est un symbole de prospérité, qu'elle pouvait rendre riche les chevaliers ou sauver leur âme, qu'elle faisait fleurir les arbres et germer les moissons... Durant des cérémonies, l'idole servait à bénir des cordelettes que les chevaliers s'attachaient ensuite autour du corps.
Quelques chevaliers préférèrent affirmer que l'idole existait bel et bien, mais qu'ils ne l'avaient jamais vu car elle était gardée cachée et n'était sortie que durant les cérémonies ; ou qu'elle était tellement hideuse qu'ils n'avaient jamais osé la voir de près.

Il faut cependant noter que jamais le nom propre de Baphomet ne fut cité par les inquisiteurs ou les Templiers. Les chevaliers qui avouèrent ne mentionnèrent pas son nom ou l'utilisèrent que sous forme d'adjectif, tel le frère Gaucerand de Montpezat parlant d'un coffret recouvert d'une « image baphométique » (figura baffometi).

Il existe un consensus chez la très grande majorité des historiens sur le fait que la plupart des charges soulevées à l'encontre des Templiers sont douteuses et fantaisistes. Les mêmes chefs d'accusations d'hérésie et de parjure furent utilisés contre la plupart des ennemis de Philippe IV, ce qui inclut les Cathares... et même le pape Boniface VIII qui fut séquestré un temps par le roi.

Il est probable que pour discréditer l'Ordre du Temple et donner une légitimité au procès à charge mené contre eux, le roi Philippe IV et les autorités religieuses aient cherché à présenter les Templiers comme des hérétiques s'étant détournés de la foi catholique pour embrasser l'Islam. Les Templiers auraient donc logiquement vénéré l'idole Baphomet (en fait le prophète Muhammad) des musulmans, selon la perception caricaturale et erronée de l'Islam que les chrétiens nourrissaient à l'époque.
Bien entendu, l'Inquisition ignorait que la religion musulmane interdit tout culte des images et toute représentation de Dieu... ce qui aurait rendu les Templiers adorateurs de Baphomet également hérétiques aux yeux des musulmans.
Les historiens rejettent toutefois la supposée idolâtrie des Templiers et l'existence même de Baphomet : il n'existe aucune allusion à Baphomet ou à un quelconque culte païen dans la Règle du Templier ni dans les autres documents internes à l'Ordre du Temple. Au demeurant, l'existence d'une telle idole cadre mal avec le respect strict du christianisme qu'imposait l'Ordre à ses chevaliers.
Il est toutefois possible qu'en raison de leur longue présence au Moyen-Orient les Templiers aient incorporé des concepts islamiques à leur système de croyances, ce qui a pu motiver et nourrir les accusations d'hérésie formulées par l'Inquisition.


Reprise moderne du mythe


Spéculations autour de l'idole des Templiers

Le mythe de Baphomet a été remis sur le devant de la scène à partir du XVIIIème siècle, lorsque de nombreuses théories ont vu le jour sur l'existence d'un culte secret au sein de l'Ordre du Temple, qui aurait éventuellement eu des pratiques gnostiques.
Le gnosticisme est un ensemble des courants ésotériques qui se sont développés au sein du christianisme à partir du IIème siècle ap. J-C. Professant parfois des idées originales (notamment l'idée que le salut de l'âme puisse être atteint par une connaissance intime et directe de Dieu), ils furent considérés comme hérétiques par l'Eglise et les divers conciles qui uniformisèrent le dogme chrétien, ce qui les conduisit à s'éteindre petit à petit à partir du Vème siècle de notre ère.


Dans son livre Versuch über die Beschuldigungen welche dem Tempelherrenorden gemacht worden, und über dessen Geheimniß (« Essai sur les assucations qui furent fait à l'encontre des Chevaliers de l'Ordre du Temple, et sur leur secret ») publié en 1782, le franc-maçon? et illuminati de Bavière? Friedrich Nicolai avançait ainsi l'hypothèse que les Templiers étaient des chrétiens gnostiques.
Selon Nicolai, Baphomet était pour les Templiers une représentation du dieu suprême, mais ce fait était gardé secret et n'était accessible aux chevaliers qu'à travers une initiation. Sur le buste de la statue de Baphomet se trouvait également un symbole, la figura Baffometi que Nicolai voyait comme un pentagramme pythagoricien, symbole de santé et de prospérité.

Les assertions contenues dans les ouvrages de Nicolai sont considérées comme des spéculations par les archéologues actuels, qui mettent en avant le manque d'éléments historiques permettant d'établir la nature « gnostique » de l'Ordre du Temple et de ses croyances.

Des franc-maçons? déguisés en Templiers portant l'idole de Baphomet (ici inspirée de la « chèvre sabbatique » de Levi). Gravure extraite du livre et canular Les Mystères de la franc-maçonnerie dévoilés de Léo Taxil (1886)

Presque un siècle plus tard en 1877, un érudit allemand, Theodor Merzdorf, prétendit avoir découvert dans les archives de la Grande Loge maçonnique de Hambourg (selon la croyance qui veut que les franc-maçons? sont les héritiers des Templiers, voir partie suivante Baphomet et la franc-maçonnerie?) une série de documents du XIIIème siècle écrit en langue romane et d'origine templière. Selon Merzdorf, ces documents étaient eux-même des copies de textes anciens trouvés dans les archives du Vatican à la fin du XVIIIème siècle par le danois Frederic Münter. Merzdorf traduisit sa découverte en allemand et la publia dans son livre Die Geheimstatuten des Ordens der Tempelherren nach der Abschrift eines Vorgeblich im vatikanischen Archive befindlichen Manuscriptes zum ersten Male in der lateinischen Urschrift und in deutscher Uebersetzung (« Les statuts secrets de l'Ordre des Chevaliers du Temple, d'après la copie d'un prétendu manuscrit trouvé dans les archives du Vatican pour la première fois dans leur version latine originale et leur traduction allemande »).

Sur les quatre documents supposément trouvés par Merzdorf, le premier correspond à la véritable règle de l'Ordre du Temple ; les trois autres la complètent en exposant la règle secrète de l'Ordre, et encadrent les cérémonies et pratiques ésotériques des chevaliers.
Le troisième document est introduit par les mots « Ici commence le livre du baptême du feu ou des statuts secrets rédigés pour les frères consolés de la milice du Temple par Maître Roncelinus », et est signé par un certain maître Roncelin (personnage dont l'identité n'est pas établie par les historiens) et Robert de Samford (procurateur de l'Ordre du Temple en Angleterre). Parmi les 20 articles qui composent ce document, certains font allusion à Baphomet et laissent penser que les Templiers auraient incorporé des éléments de l'Islam au sein de leur culte :

« Article XVI. La troisième prière dite de Baphomet, est celle qui sert d'ouverture au Coran et qui porte le nom de "Fatiha". Le récepteur ajoute: "Un Maître, une Foi, un Baptême, un Dieu Père de tous, et chacun qui invoque le nom de Dieu est sauvé". Il relève alors le néophyte et oint ses paupières avec l'huile sainte en disant : "je te veux oindre, ami de Dieu, avec l'huile de la Grâce, afin que tu voies la Lumière de notre Baptême du Feu et qu'elle brille pour toi et pour nous tous sur le chemin de la Vérité et de la Vie Éternelle". »


« Article XVII. Art. 17. - La figure de Baphomet est retirée de sa châsse et le récepteur dit: "Le Peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière et elle a brillé pour ceux qui étaient assis dans les ombres de la mort. Il y en a trois qui rendent témoignage à Dieu et au monde, et ces trois sont: Un" (Saint-Jean).
Tous les Frères s'écrient: "Yah Allah!", c'est-à-dire, "Splendeur de Dieu", baisent l'image et la touchent de leur ceinture. [...] »

(Traduction de René Gilles)

Cependant, en raison du contenu sulfureux de ces documents, en désaccord complet avec les indices historiques que nous a laissé l'Ordre du Temple (notamment avec la règle authentique de l'Ordre), ainsi qu'en raison de l'absence des textes originaux sur lesquels se serait basé Merzdorf, ces supposées archives templières sont considérées par la quasi-totalité des historiens comme un canular élaboré.


La supposée sculpture de Baphomet visible sur le tympan du porche de l'église Saint Merri à Paris

Un sculpture néo-gothique du porche de l'église Saint Merri à Paris est parfois appelée le « Baphomet de Saint Merri ». Il est courant de lire sur Internet et dans les livres d'auteurs ésotéristes que l'église Saint Merri fut construite par les Templiers et qu'ils y sculptèrent dans la pierre une représentation de leur leur idole.
Le Baphomet de Saint Merri possède l'apparence d'un diable cornu, avec deux grandes ailes de chauve-souris, une poitrine de femme et les pattes arrières d'un animal. Il est parfois relié à l'arcane XV du tarot et à la chèvre sabbatique d'Eliphas Levi en raison de son aspect similaire.
Toutefois, les historiens avancent que l'église Saint Merri a été construite à partir du XVIème siècle (donc plus de 2 siècles après la chute de l'Ordre du Temple) et qu'elle n'a rien à voir avec les Templiers. Quant à la sculpture, loin d'être une représentation du Baphomet qu'aurait vénéré l'Ordre, il s'agirait d'un diablotin comme on en voit occasionnellement dans l'iconographie religieuse et elle aurait été gravée lors de la rénovation de l'église en 1841.


Baphomet et la franc-maçonnerie?

Par la suite, Baphomet servit à nourrir les spéculations autour d'une parenté entre l'Ordre du Temple et la franc-maçonnerie?, alors nouvellement crée et alors en plein essor.

L'orientaliste autrichien Joseph Freiherr von Hammer-Purgstall aborda ainsi le cas de Baphomet dans son essai de 1818 Mysterium Baphometis revelatum, seu Fratres Militiæ Templi, qua Gnostici et quidem Ophiani, Apostasiæ, Idoloduliæ et Impuritatis convicti, per ipsa eorum Monumenta (« Le mystère de Baphomet révélé, par lequel l'Ordre du Temple ainsi que les gnostiques et les ophites sont convaincus d'apostasie, d'idolâtrie et d'impureté par leurs propres monuments »). L'objectif de l'essai de Hammer-Purgstall était de discréditer la maçonnerie? qu'auraient pratiqué les Templiers... et donc par extension de porter atteinte à la franc-maçonnerie? elle-même dont on pensait alors qu'elle est la descendante. L'auteur s'appuya donc sur les travaux des précédents auteurs (en grande partie Friedrich Nicolai) ainsi que sur des supposées preuves archéologiques.
Joseph von Hammer-Purgstall présentait ainsi divers artefacts (idoles en bronze, jarres sculptées, bas-reliefs, pièces de monnaie...) conservés dans des collections en Autriche et en Allemagne, qu'il faisait remonter au XIIIème siècle et attribuait aux Templiers. Certains de ces artefacts représentent des scènes d'inspiration gnostique (baptêmes, cérémonies magiques) ou sont gravés à l'effigie d'une idole que Hammer-Purgstall affirmait être Baphomet.
Les idoles de Hammer-Purgstall sont des humanoïdes hermaphrodites (elles possèdent des caractères masculins : barbe, pénis... ou féminins : seins, vagin), possédant parfois deux têtes ou deux visages, et accompagnées de divers symboles (lune, soleil, étoile, pentacle, tête de mort, serpents...).

Le Baphomet androgyne décrit par Hammer Purgstall, tel qu'il est représenté sur une urne de marbre
(Source : Mysterium Baphometis revelatum, de Joseph von Hammer-Purgstall)

Les idoles portent également parfois des inscriptions en latin, en grec voire en arabe. Les textes grecs et latins n'apportent aucune indication ; le texte arabe, le même sur deux artefacts, est quant à lui incompréhensible. En ayant recours à de nombreuses corrections et interprétations, Hammer-Purgstall prétend avoir réussi à la traduire dans un latin très approximatif : exaltetur Mete germinans ; stirps nostra ego et septem fuere. Tu es unus renegantium. Reditus πρωχτὸς fit (ce qui peut être traduit par : « que Metis bourgeonnant soit loué ; il était notre racine, et un et sept. Tu es un des parjures. Il s'abandonna à πρωχτὸς» ; πρωχτὸς signifie littéralement "anus" en grec, mais il pourrait s'agir ici d'une métaphore pour désigner les plaisirs de la chair).
Dans son essai, Joseph von Hammer-Purgstall reliait en effet Baphomet à Métis, une divinité androgyne qui aurait été vénérée par les Ophites (un courant gnostique qui révérait le serpent de la Bible comme la véritable source de connaissance). Métis aurait été un symbole de sensualité et de plaisir sexuel ; Baphomet signifiant d'après les travaux de Nicolai le « baptême de métis », il ne s'agissait donc plus d'une allusion à une quelconque illumination spirituelle mais bien d'une union charnelle.

Quelques années plus tard, le duc de Blacas-d’Aulps envoya à Hammer-Purgstall les images de deux petits coffrets en pierre : le premier provenait d'Essarois en Côte-d’Or, à proximité d’une commanderie de Templiers, tandis que l’autre avait été trouvé en Italie à Volterre. Les coffrets présentent des scènes similaires aux artefacts mentionnés dans l'essai de Hammer-Purgstall de 1918 ; le couvercle du coffret d'Essarois dépeint également une créature androgyne semblables aux idoles précédemment décrites, et elle aussi entourée d'inscription en arabe incompréhensible.
En 1832, Joseph von Hammer-Purgstall dressa une étude complète des deux coffrets dans son livre Mémoire sur deux coffrets gnostiques du moyen âge, du cabinet de M. le duc de Blacas - qui fut publié aux frais du duc. Hammer-Purgstall y défendait l'idée que les coffrets avaient été utilisés par les Templiers au cours de rituels gnostiques.



Détail du coffret d'Essarois : le couvercle montrant un Baphomet androgyne (image du haut) ; et l'un des grands côtés, représentant une cérémonie où un personnage embrasse le sexe d'une idole androgyne (image du bas)
(Source : Mémoire sur deux coffrets gnostiques du moyen âge, du cabinet de M. le duc de Blacas, de Joseph von Hammer-Purgstall)


Les écrits de Joseph von Hammer-Purgstall sont toutefois rejetés de façon catégorique comme des théories de propagande pseudo-historique, rédigés dans le seul but d'ôter toute crédibilité à la franc-maçonnerie?. La filiation entre les Templiers et la franc-maçonnerie?, bien que défendue parfois par certains maçons? eux-même, a été réfutée à de nombreuses reprises par les historiens.
Quant aux preuves archéologiques fournies par Hammer-Purgstall, notamment celles nmontrant l'idole hermaphrodite, elles sont considérées comme douteuses par les archéologues qui y voient des canulars forgés de toute pièce au XVIIIème siècle... époque où le trafic de fausses antiquités battait son plein. Il n'existerait de même aucun élément qui permette de les relier d'une quelconque façon aux Templiers, et elles s'accordent mal avec les autres artefacts authentifiés qu'ils nous ont laissé.


En 1886, un document intitulé Les Mystères de la Franc-Maçonnerie dévoilés? est publié par un certain Léo Taxil. Ce livre, qui figure la « chèvre sabbatique » d'Eliphas Levi? (voir chapitre suivant) sur sa couverture, prétendait révéler un certain nombre de secrets gardés par la Franc-Maçonnerie? et dévoiler la face cachée de l'organisation. Parmi les nombreuses révélations, il y était affirmé que les franc-maçons? sont idolâtres et vouent un culte à Baphomet et Lucifer.
Le livre de Léo Taxil? fut révélé en 1897 être un canular par son propre auteur, qui avoua avoir voulu se moquer justement des livres de propagande anti-maçonnique écrits par les catholiques traditionalistes.

Affiche promotionnelle pour le livre de Léo Taxil Les Mystères de la franc-maçonnerie dévoilés, mettant en scène la « chèvre sabbatique » de Levi pour figurer Baphomet (1886)
(Source : Grand Lodge of British Columbia and Yukon)

Cependant, en dépit la révélation de la nature parodique de l’œuvre de Taxil et de l'absence d'une quelconque preuve démontrant l'existence d'un culte secret à Baphomet dans les cercles fermés de la Franc-Maçonnerie?, certains chrétiens évangélistes ou traditionalistes continuent à affirmer que Baphomet est une idole des franc-maçons et que ceux-ci auraient des pratiques satanistes.


Baphomet vu par l'occultisme et l'ésotérisme

Les écrits de Nicolai et Hammer-Purgstall remirent Baphomet au centre de l'attention. Les occultistes du XIXème siècle s'en emparèrent et en développèrent considérablement la portée symbolique. Ils ne perdirent pas de vue pour autant les Templiers ; de l'avis des ésotéristes, Baphomet était un concept incarnant la somme des savoirs accumulés par l'Ordre du Temple, personnifiant la complexité des secrets de la Nature et une métaphore des objectifs que se fixaient les chevaliers : spirituels (la sagesse) ou alchimiques (la complétion du Grand Œuvre).

En 1854, le célèbre occultiste Eliphas Levi? publia Dogme et rituel de la Haute Magie. Le livre contenait un de ses dessins d'une créature qu'il appella la « chèvre sabbatique », et qu'il assimila à Baphomet (voir image en haut de page). Levi? voyait en effet Baphomet comme une représentation de l'absolu, et son image de la chèvre sabbatique à la symbolique très chargée y faisait écho.
La chèvre sabbatique de Lévi joua un rôle d'une importance capitale, puisque la plupart des auteurs postérieurs s'en inspirèrent pour créer leur propre représentation de Baphomet.
Il est probable que pour créer sa chèvre sabbatique, Eliphas Levi? se soit inspiré de l'iconographie traditionnelle du diable (avec cornes et pattes de bouc) et de certains tarots anciens dont l'arcane XV (le Diable) présente une apparence très similaire ; il est également possible qu'il ait partiellement puisé son inspiration dans l'idole hermaphrodite des artefacts présentés par Hammer-Purgstall (voir partie précédente).

L'arcane XV (le Diable) sur le tarot de Marseille de Jean Dodal (début du XVIIIème siècle)

Dans son livre La Clef Des Grands Mystères : suivant Henoch, Abraham, Hermes, Salomon (1859), Eliphas Levi? fit également de Baphomet un symbole alchimique :

« Le Baphomet, figure panthéistique de l'agent universel, n'est autre chose que le démon barbu des alchimistes. On sait que les plus élevés en grades dans l'ancienne maçonnerie hermétique attribuaient à un démon barbu l'achèvement du grand œuvre, le vulgaire à cette parole de se signer et de se voiler les yeux, mais les initiés au culte d'Hermès-Panthée comprenaient l'allégorie et se gardaient bien de l'expliquer aux profanes. »

En 1930, l'ésotériste Fulcanelli (dont l'identité est toujours mystérieuse à ce jour) développa lui aussi dans son livre les Demeures philosophales et le Symbolisme hermétique dans ses rapports avec l'art sacré et l'ésotérisme du grand-œuvre (1930) l'idée d'une signification hermétique de Baphomet. Il décomposa la figure de Baphomet en un ensemble de symboles géométriques alchimiques :

« Il se composait d’un triangle isocèle à sommet dirigé en bas, hiéroglyphe de l’eau, premier élément créé, selon Thalès de Milet, qui soutenait que « Dieu est cet Esprit qui a formé toutes choses de l’eau ». Un second triangle semblable, inversé par rapport au premier, mais plus petit, s’inscrivait au centre et semblait occuper l’espace réservé au nez dans la face humaine. Il symbolisait le feu, et, plus précisément, le feu enclos dans l’eau, ou l’étincelle divine, l’âme incarnée, la vie infuse dans la matière. Sur la base inversée du grand triangle d’eau s’appuyait un signe graphique semblable à la lettre H des Latins, ou à l’ετα des Grecs, avec plus de largeur cependant, et dont la barre centrale se coupait d’un cercle médian. Ce signe, en stéganographie hermétique, indique l’esprit universel, l’Esprit créateur, Dieu. A l’intérieur du grand triangle, peu au dessus et de chaque côté du triangle de feu, on voyait à gauche le cercle lunaire à croissant inscrit, et à droite le cercle solaire à centre apparent. Ces petits cercles se trouvaient disposés à la manière des yeux. Enfin, soudée à la base du petit triangle interne, la croix posée sur le globe réalisait ainsi le double hiéroglyphe du soufre, principe actif ; associé au mercure, principe passif et solvant de tous les métaux. Souvent, un segment plus ou moins long, situé à la pointe du triangle, se creusait de lignes à tendance verticale où le profane reconnaissait, non point l’expression du rayonnement lumineux, mais une sorte de barbiche. »

La représentation symbolique et hermétique de Baphomet d'après Fulcanelli

Fulcanelli rejetta également formellement la vision de Templiers se livrant à un culte idolâtre :

« ... le symbole [...] prend la signification d'un véritable Baphomet, c'est-à-dire de l'image synthétique où les Initiés du Temple avaient groupé tous les éléments de la haute science et de la tradition. Figure complexe, en vérité, sous des dehors de simplicité, figure parlante, grosse d’enseignement, en dépit de son esthétique rude et primitive…
[...]
Cette image, sur laquelle on ne possède que de vagues indications ou de simples hypothèses, ne fut jamais une idole, comme certains l’ont cru, mais seulement un emblème complet des traditions secrètes de l’Ordre, employé surtout au dehors comme paradigme ésotérique, sceau de chevalerie et signe de reconnaissance.
[...]
Ainsi présenté, le baphomet affectait une forme animale grossière, imprécise, d’identification malaisée. C’est ce qui expliquerait sans doute la diversité des descriptions qu’on en a faites, et dans lesquelles (289) on voit le baphomet comme une tête de mort auréolée, ou un bucrane, parfois une tête d’Hapi égyptien, de bouc, et, mieux encore, la face horrifiante de Satan en personne ! Simples impressions, fort éloignées de la réalité, mais images si peu orthodoxes qu’elles ont, hélas !e contribué à répandre, sur les savants chevaliers du Temple, l’accusation de démonologie et de sorcellerie dont on fit l’une des bases de leur procès, l’un des motifs de leur condamnation. »


Au début du XXème siècle, Baphomet joua également un grand rôle dans les écrits de l'occultiste Aleister Crowley et dans la Thelema, la philosophie mystique qu'il avait inventé. L'Ecclesia Gnostica Catholica (E.G.C., ou école gnostique catholique) est une organisation fondée par Crowley, se basant justement sur la Thelema et fonctionnant par initiation tel une loge franc-maçonne ; les membres de l'E.G.C. se réunissent régulièrement lors d'une messe gnostique (Gnostic Mass) où ils récitent un crédo (Gnostic Creed) qui comprend notamment la phrase :

« Et je crois au Serpent et au Lion, Mystère du Mystère, et Son nom est BAPHOMET »

Dans le chapitre 21 du livre 4 de Magick, Crowley mit également en avant la nature androgyne de Baphomet ; à l'instar des autres ésotéristes, il le percevait comme un symbole d’élévation spirituelle (la manifestation de la capacité de Satan à éclairer les âmes des hommes) :

« Ce serpent, SATAN, n'est pas l'ennemi de l'Homme, mais Celui qui crée des Dieux de notre race, connaissant le Bien et le Mal ; Il ordonne : "Connais-Toi Toi-même!" et professe l'Initiation. Il est "le Diable" du Livre de Thoth, et Son emblème est BAPHOMET, l'Androgyne qui est l'hiéroglyphe de la perfection arcane. Le nombre de Son ATU est XV, ce qui est yod hé, le Monogramme de l'Eternel, le Père un avec la Mère, la Semence Vierge une avec l'Espace qui contient tout. Il est par conséquent la Vie, et l'Amour. En outre, sa lettre est ayin, l'Œil ; il est Lumière, et son image Zodiacale est le Capricorne, le bouc bondissant dont l'attribut est Liberté. »

(Traduction de l'anglais de P. Pissier)

Dans son autobiographie The Spirit of Solitude: an autohagiography: subsequently re-Antichristened The Confessions of Aleister Crowley (1929), Crowley avança que le mot Baphomet était une déformation de Father Mithras (« Père Mithras »), Mithras étant une divinité d'origine perse vénérée tardivement à Rome (IIème - IVème siècle ap. J-C.) au cours de cérémonie à mystères.
Le nom passé à travers une formule de numérologie donna la chiffre 729, que Crowley relia au mot grec κηφας, le titre donné par le Christ à Pierre comme la pierre de fondation de son Eglise. Ainsi selon Crowley, Baphomet était à l'instar de Pierre la « pierre de fondation » de l'Ordre du Temple.


Baphomet repris par le satanisme

Le tarot de Rider-Waite fut dessiné par l'illustratrice Pamela C. Smith sous les indications du mystique Arthur E. Waite. Publié aux environs de 1910, il devint rapidement l'un des tarots les plus populaires dans le monde anglophone.
Dans ce jeu de tarot, l'iconographie de l'arcane XV (le Diable) s'inspire fortement de la chèvre sabbatique d'Eliphas Levi?.
Cependant, à la différence de la chèvre sabbatique qui était perçue comme un symbole éminemment bénéfique par son créateur, l'arcane XV du Diable prend un caractère plus négatif. Ainsi le pentacle, qui pointait vers le haut sur la chèvre sabbatique (symbole du « bien » et de la lumière selon Levi?), pointe dorénavant vers le bas sur le Diable du tarot de Rider-Waite (symbole du « mal » et des forces obscures) et il est nettement agrandi pour le mettre en valeur.

L'arcane XV (le Diable) sur le tarot de Rider-Waite (début du XXème siècle)


L'entremêlement de différents éléments (Baphomet représenté sous la forme de la chèvre sabbatique, l'association Baphomet/Satan qu'effectue Crowley, le diable maléfique de l'arcane XV du tarot de Rider-Waite...) contribua à accroitre la confusion qui existait dans l'esprit populaire entre Baphomet et le Diable/le satanisme. Baphomet, qui était jusque là une divinité païenne parmi d'autres, voire qui était décrit comme un symbole positif par les auteurs ésotéristes, devint une entité démoniaque et maléfique.

En 1897, l'occultiste français Stanislas de Guaita publia son livre La Clef de la Magie Noire. De Guaita, grand admirateur des travaux d'Eliphas Levi?, reprit le concept de la chèvre sabbatique et le personnalise. Il inscrivit au sein d'un pentagramme inversé une tête de bouc, entourée des noms de deux démons (Samael et Lilith) et du mot Léviathan? en hébreu (לויתן, LWYThN).

La version moderne du Sigil de Baphomet adoptée par les membres de l'Egise de Satan

Le dessin fut repris par la suite par divers auteurs, mais il ne connut le succès que dans les années 60 : Anton Szandor Lavey, auteur de La Bible Satanique, en fit le symbole de son Eglise Sataniste nouvellement créée. Le symbole y prit (aux environs de 1968 - 1969) le nom de Sigil de Baphomet, ce qui contribua définitivement à associer la figure de Baphomet avec le satanisme dans l'esprit du public.


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Nom anglais : Baphomet

Liens complémentaires :

Article de Peter H. Gilmore, grand prêtre de l'Eglise de Satan sur l'origine du Sigil of Baphomet
Article du site de Les fils de la Vallée de Jean-Pierre Schmit soutenant l'authenticité des travaux de Theodor Merzdorf
Reproduction de la traduction française des Statuts Secrets des Templiers par René Gilles sur le site Les fils de la Vallée de Jean-Pierre Schmit

Bibliographie :

  • Le troubadour Austorc d'Aurillac et son sirventés sur la septième Croisade (1907) d'Alfred Jeanroy, revue Romanische Forschungen n* 23.
  • Histoire de l'Architecture à Paris (1997), de Georges Poisson, Bibliothèque historique de la Ville de Paris.
  • Magick, Liber ABA, Book 4 (1912), d'Aleister Crowley.
Traduction française de Philippe Pissier disponible en ligne sur magick-instinct.org
  • Les Demeures philosophales et le Symbolisme hermétique dans ses rapports avec l'art sacré et l'ésotérisme du grand-œuvre (1930), de Fulcanelli.

Auteur : Ar Soner
Mise en ligne : 11/07/11
Dernière modification : le 10/07/12 à 16:30