Encyclopédie du paranormal - Enfants verts de Woolpit

     Woolpit, enfants verts de


Apparition mystérieuse de deux enfants à la peau verte, au XIIème siécle dans un village anglais


Au XIIème siècle, deux enfants auraient été découverts errant près du village de Woolpit en Angleterre : un frère et une soeur, qui présentaient les caractéristiques inhabituelles d'avoir la peau de couleur verte et de parler dans une langue inconnue.
Après avoir été recueillis et avoir appris l'anglais, les enfants auraient affirmé provenir d'un pays souterrain, le « Pays de Saint Martin » habité par des personnes ayant elles aussi la peau verte.


Panneau à l'entrée du village de Woolpit, rappelant la légende des enfants verts
(Source : Rod Bacon)

L'affaire des enfants verts reste encore mystérieuse à l'heure actuelle. Deux thèses explicatives principales existent à son sujet : l'une estime que l'histoire est une simple légende populaire locale, tandis que l'autre la considère comme le récit altéré d'un véritable événement historique.


Récit de l'affaire


Sources

L'affaire des enfants verts a été rapportée par deux chroniqueurs médiévaux :

  • William de Newburgh, dans son Historia rerum Anglicarum (« Histoire des affaires anglaises », écrite vers 1188 ap. J-C.).
  • Raoul de Coggeshall, dans son Chronicon Anglicanum (« Chronique anglaise », écrite vers 1220 ap. J-C.).


Les deux livres sont des compilations hétéroclites de faits-divers, d'histoires politiques, de récits de la vie des rois, d'anecdotes sur des miracles ou phénomènes surnaturels... comme cela est souvent le cas dans les chroniques médiévales.

Les deux sources présentent un récit de l'affaire des enfants verts assez semblable dans ses grandes lignes, mais divergent sur quelques détails.
Bien que quasiment contemporains des événements rapportés, aucun des auteurs n'en fut un témoin direct : Raoul de Coggeshall affirmait tenir l'histoire de Sir Richard de Calne (qui aurait donné refuge aux enfants), tandis que William de Newburgh disait lui s'être basé sur des « écrits provenant de plusieurs sources fiables ».

L'histoire des enfants verts

C'est au cours d'un été sous le règne du roi Etienne d'Angleterre (1135-1154 ap. J-C.), dans le village de Woolpit dans le comté de Suffolk à l'Est de l'Angleterre, que furent découvert les deux enfants près d'une fosse à loup (wolf pit en anglais, ayant donné son nom au village de Woolpit). Il s'agissait d'un garçon et d'une fille, de toute évidence frère et soeur, la fille étant la plus âgée. Ils avaient la peau verte, étaient vêtus de vêtements étranges et parlaient une langue inconnue des habitants du village de Woolpit.
Selon Raoul de Coggeshall, ils furent conduits chez un noble local, Richard de Calne, qui les prit à sa charge.


Exemple de fosse (pit) servant à capturer les loups, en Bavière ; c'est la présence de telles fosses dans les environs de Woolpit qui ont donné son nom au village
(Source : Georg Waßmuth)

Les enfants refusèrent toute nourriture durant plusieurs jours, jusqu’à ce qu'on leur propose des fèves crues qu'il mangèrent avidement. Avec le temps, ils acceptèrent de se nourrir d'autres aliments et leur peau perdit sa couleur verte.

Le garçon était malade et mourut peu de temps après le baptême des deux enfants.

Les enfants apprirent également peu à peu l'anglais (juste la fille survivante, selon Raoul de Coggeshall) et purent alors décrire l'endroit d'où ils venaient : un pays sans soleil où brillait en permanence une lumière crépusculaire. Selon William de Newburgh, les deux enfants appelaient leur contrée d'origine le « pays de Saint Martin ». Coggeshall ne mentionne pas de nom à ce pays d'origine, mais il précise que tout y était vert, y compris les habitants.

William de Newburgh rapporte que les enfants gardaient le bétail de leur père lorsqu'ils seraient mystérieusement passés en Angleterre par un moyen inconnu, après avoir entendu un fort bruit (que William de Newburgh supposait être le son des cloches de l'abbaye de Bury St Edmunds située à proximité de Woolpit).
Raoul de Coggeshall livre une version un peu différente : les enfants seraient allés rechercher le bétail de leur père dans des grottes, ils s'y seraient perdus à leur tour et auraient émergé en Angleterre guidés par un son de cloches.

Raoul de Coggeshall affirme que la fille aurait vécu plusieurs années au service de Richard de Calne, où son comportement aurait été licencieux et inconvenant. Elle aurait ensuite épousé un homme de King's Lynn, une ville située à une soixantaine de kilomètres de Woolpit et y résidait toujours au moment où Coggeshall écrivait sa chronique.


Interprétations


Les sources médiévales ayant rapporté l'histoire fournissent peu d'informations concrètes sur l'affaire des enfants verts de Woolpit : elles n'indiquent pas ou peu de noms, omettent les repères chronologiques et leurs descriptions sont peu précises.

Elles sont également d'une fiabilité douteuse : si les deux auteurs semblent avoir fait attention à la qualité de leurs sources (Raoul de Coggeshall essayait autant que possible d'interroger des témoins de première main des histoires qu'il racontait), ils ne prenaient pas de recul critique vis-à-vis de celles-ci et l'histoire des enfants verts est compilée au milieu de superstitions et de récits fantastiques peu crédibles.

Il est donc difficile de déterminer si l'histoire est authentique, et quelle est la part de légendaire dans le récit qu'en ont fait les chroniques médiévales.

L'hypothèse du conte populaire

E. S. Alderson a noté qu'il était curieux que des érudits de la région de Woolpit et contemporains de l'affaire, comme Josselin de Brakelond (historien de l'abbaye de Bury St. Edmunds) ou Lydgate le volubile (également moine à Bury) n'aient pas mentionné cette histoire des enfants verts dans leurs écrits. Ce silence surprenant indiquerait que l'affaire serait entièrement factice.

Plusieurs chercheurs ont remarqué que l'histoire des enfants verts se rapprochait de certains contes populaires :

  • ceux mettant en scène un ou plusieurs enfants se perdant et passant d'un monde à un autre (souvent par le biais d'une caverne ou d'un passage souterrain).
    Au XIIème, l'auteur Giraud de Barri raconte ainsi l'histoire d'un petit garçon qui, fuyant la violence de son maître, rencontre deux petits hommes qui le conduisirent dans leur monde via un tunnel souterrain ; leur pays était similaire en tout point à celui de la surface, mais n'était éclairé que par une lumière crépusculaire.
  • ceux relatant le mariage entre une fée et un homme, une thématique courante dans les légendes médiévales ainsi que dans le folklore européen.

Dans la culture des pays celtiques, le vert est souvent associé au peuple du Sídhe, fées et banshees qui vivent dans des royaumes souterrains bâtis sous les tertres. Une autre symbolique relie la couleur verte à la mort, en accord avec la conception traditionnellement répandue selon laquelle les fées seraient les esprits des personnes défuntes.
La couleur verte sous-entendrait donc que les deux enfants venaient du monde des fées/des morts. Selon les folkloristes K. M. Briggs et E. S. Alderson, ce fait serait renforcé par le fait que dans la culture populaire les fèves sont la nourriture des défunts.


Dans les cultures celtiques, les fées sont supposées vivre sous terre et les tumulus sont une porte d'accès à leur monde ; l'association est si forte que le mot irlandais sídhe (« tertre ») peut également désigner ce peuple de créatures fantastiques. (Photographie : tumulus de Newgrange, Irlande)
(Source : Shira)

L’hypothèse extraterrestre

Cette hypothèse minoritaire a été suggérée dès le XVIIème par quelques auteurs de l'époque. L'évêque Francis Godwin dans son livre The Man in the Moone (« L'homme de la Lune ») publié en 1620 imaginait une civilisation d'hommes lunaires et spéculait que les enfants verts auraient été eux-mêmes des extraterrestres. En 1621, l'ouvrage The Anatomy of Melancholy (« L'anatomie de la mélancolie ») de Robert Burton envisageait que les enfants auraient pu tomber du ciel.

Jacques Bergier a mentionné l'affaire dans son livre Les Extra-Terrestres dans l'Histoire (1975).

En 1996, l'écrivain Duncan Lunan a suggéré dans le magazine Analog que les enfants étaient issus d'une planète en orbite synchrone autour de son soleil, dont la seule partie habitable était la zone crépusculaire située entre la nuit (face gelée de la planète) et le jour (face brûlante et désertique). Les enfants auraient été projetés sur la Terre suite à un dysfonctionnement de téléporteur dans leur monde ; quant à la couleur verte de leur peau, elle aurait été liée à la consommation de plantes extraterrestres génétiquement modifiées.
Le romancier Joslan F. Keller a cependant fait remarquer qu'en dehors de leur couleur de peau (qu'ils ont fini par perdre), les enfants ne présentaient aucune autre anomalie notable imputable à une origine extraterrestre.

L'hypothèse de l'événement historique réel

L'écrivain Duncan Lunan dit avoir effectué des recherches généalogiques sur Richard de Calne et dit avoir repéré une certaine Agnès qui aurait été la fille. Selon Lunan, elle aurait finalement épousé le chancelier royal Richard Barre... ce qui est peu crédible compte-tenu du fait que Richard Barre était un homme d'église, donc tenu au célibat.

Le médiéviste Jeffrey Jerome Cohen voit dans l'histoire des enfants verts un souvenir du passé multi-ethnique de l'Angleterre : les enfants verts auraient été selon lui des descendants des indigènes brittoniques peuplant anciennement l'île de Bretagne, et rendus minoritaires par les vagues d'invasions anglo-saxonnes et normandes.
Il appuie cette hypothèse sur la réticence dont aurait fait preuve William de Newburgh pour inclure cette histoire dans sa chronique, William étant un partisan de la vision d'une Angleterre unifiée et homogène d'un point de vue ethnique.

Paul Harris avance que les enfants auraient pu être des immigrés flamands.
De nombreux Flamands étaient installés à cette époque sur la côte Est de l'Angleterre ; une communauté de fouleurs flamands vivait justement à Fornham St Martin (qui aurait pu être le fameux pays de Saint Martin mentionné par les enfants) à une dizaine de kilomètres de Woolpit. Les Flamands étaient l'objet de nombreuses persécutions ; il est possible que leurs parents aient été tués et que les enfants se soient enfuis jusqu’à Woolpit, où leur langue et leurs costumes auraient intrigué la population anglaise locale.
L'historien Brian Haughton a avancé que cette hypothèse était plausible, mais souligne cependant qu'un noble comme Richard de Calne aurait normalement dû reconnaître la langue flamande parlée par les enfants, à plus forte raison que le flamand avait gardé un certain degré d'intelligibilité avec le moyen-anglais de l'époque.


L'abbaye de Bury St Edmunds (aujourd'hui en ruine), dont les cloches auraient attiré les enfants jusqu'à Woolpit selon William de Newburgh
(Source : John Armagh)

Derek Brewer a avancé que les deux enfants auraient pu souffrir de chlorose, une maladie liée à une carence en fer se manifestant notamment par une peau à la coloration jaune-verte. Cette anémie est facilement soignée par l'accès à une alimentation suffisante et équilibrée, les symptômes (comme la couleur de peau) disparaissant alors rapidement, ce qui cadre avec l'histoire des deux enfants.


Influence dans la culture littéraire


Après avoir été relatée par les chroniqueurs médiévaux, l'histoire des enfants verts de Woolpit a été oubliée pendant plusieurs siècles, en dehors de quelques mentions occasionnelles comme celles qu'en firent Francis Godwin et Robert Burton au XVIIème siècle (voir ci-dessus, L'hypothèse extraterrestre).
L'affaire n'a été redécouverte qu'au XIXème siècle, et a alors inspiré plusieurs auteurs.

The Green Child est un roman philosophique du poète anarchiste Herbert Read, publié en 1936 et directement basé sur l'affaire des enfants verts de Woolpit. Read était lui-même un grand amateur de la légende, qu'il disait considérer comme un modèle de récit de fantasy (« the norm to which all types of fantasy should conform »).
Le héros de The Green Child retrouve la soeur (qui n'est ici qu'un personnage secondaire) et voyage avec elle dans le monde d'origine des enfants verts, où il découvre la sagesse et le sens de l'Univers.

L'auteur John Macklin a raconté une histoire très similaire à celle des enfants verts dans son livre Strange Destinies (1965), à la différence qu'il la situe en Espagne en 1887 dans un village nommé Banjos.

On compte aussi une pièce de théâtre (Wolfpit, en 2002) et un opéra (The Green Children, en 1990) inspiré du mystère des enfants verts.

L'histoire des enfants verts a acquis une certaine popularité locale dans le Suffolk ; le chanteur folk Bob Roberts témoignait ainsi en 1978 qu'on lui avait affirmé qu'il y avait des personnes à Woolpit descendant des enfants verts... mais personne n'avait voulu lui dire de qui il s'agissait.


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Traduction anglaise : Green Children of Woolpit

Localisation : Woolpit, comté de Suffolk, Royaume-Uni, Europe.

Liens complémentaires :

Bilbiographie :

  • Green Fairies: Woolpit Green Children (1900), de Alderson E. S. Notes and Queries n°5.
  • Dossiers inexpliqués (2014), de Joslan F. Keller. Ed. Scrinéo.

Auteur : Ar Soner ; Raava
Mise en ligne : 19/04/16
Dernière modification : le 02/03/17 à 10:31