Djorf-Torba, Serpent de |
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Serpent géant d'une espèce inconnue qui aurait été tué sur le chantier d'un barrage africain en 1967
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Le barrage de retenue d'eau de Djorf-Torba, ou "Barrage D.T.", a été édifié entre 1965 et 1969 à cinquante-neuf kilomètres de Béchar (nord-ouest de l'Algérie). Durant les travaux de finitions, qui se sont étendus jusqu'en juin 1969, les autorités locales ont fait appel à des firmes françaises importantes et à des entreprises locales équipées de pelleteuses.
La capture du serpent selon le contact de Bernard Heuvelmans
Le récit de la capture supposée du serpent nous est connu uniquement par les témoignages qui furent rapportés dans les années 70 par Bernard Heuvelmans dans son livre Les derniers Dragons d'Afrique. Ces témoignages ont été recueillis sur place par une connaissance de l'auteur, qui a tenue à ne pas être nommée dans l'ouvrage. Ce contact de Bernard Heuvelmans a longtemps constitué la seule et unique source au sujet des évènements, le récit qui suit présente les évènements tels qu'ils sont rapportés dans Les derniers Dragons d'Afrique.
L'entreprise Mokhtari était chargée en 1967 du transport de matériaux concassés de la carrière jusqu'au barrage, pour l'édification du garde-corps de celui-ci. Le 6 ou 7 janvier 1967, vers treize heures, le conducteur d'engin Hamza Rahmani était en train de charger ces matériaux dans son engin de chantier en présence de deux autres ouvriers (un Espagnol, Seño, et un Français, Agostini) lorsqu'il aperçut un énorme serpent sortir de sous les blocs. Intervenant aussitôt, le conducteur coinça le reptile contre les rochers avec les dents de son bulldozer. Son agonie dura vingt à vingt-cinq minutes.
Aussitôt, l'infirmier-chef de la Cometra (une des firmes française chargées de la construction du barrage), un Français nommé Bobino, vint l'examiner. Il ficela le serpent avec du cordon Bickford pour plus de sécurité puis lui arracha les dents : une paire de crochets longs de six centimètres, qu'il conserva plusieurs années avant de les envoyer en France.
Le médecin-chef français de Béchar-Kanadza, le Dr. Jézékel (transcription phonétique), qui d'après le témoin était présent sur le chantier à ce moment-là, observa également l'animal et lui administra une série de piqûres de formol pour assurer sa conservation. De plus, l'adjoint du directeur du barrage, M. Séguine, récupéra sa peau pour la faire tanner.
D'après Hamza Rahmani, de tels serpents n'étaient pas rares dans la région et pouvaient mesurer jusqu'à douze mètres de long.
Aspect physique
Le témoignage décrit le serpent comme étant d'une longueur totale mesurée de 9,20 mètres et de couleur brune assez foncée. Son corps, massif, était bien distinct de la queue. Son ventre était blanchâtre à chevrons et son dos orné de taches noires de forme carrée. Sa tête était très pointue et, détail étrange, ornée d'une sorte de crinière noire, haute de dix centimètres et longue de dix. Les yeux étaient gros et marrons.
Un schéma complet, dressé sur les indications de Hamza Rahmani, fut dressé pour Bernard Heuvelmans, sur lequel les tailles des différentes parties du serpent sont mentionnées. D'après celui-ci, la tête était longue de 60 cm, le cou de 40, le corps épais atteignait 4 m et la queue, plus fine, était longue de 5 m.
Croquis du serpent de Djorf-Torba, effectué sur les indications de Hamza Rahmani. La crinière, qui mesure 10 cm, n'est pas à l'échelle ; elle devrait être environ deux fois plus petite
Photo : "Les derniers Dragons d'Afrique", Bernard Heuvelmans
Bernard Heuvelmans rapproche le serpent de Djorf-Torba de deux sortes de serpents africains :
- D'une part, la présence de plusieurs caractéristiques physiques (tête triangulaire, corps massif, présence de crochets, ornement céphalique...) laisse penser qu'il pourrait s'agir d'une variété géante de vipère heurtante, qu'on trouve Afrique sub-saharienne.
Cependant, les vipères du genre Bitis d'Afrique ne dépassent pas un maximum de deux mètres, ce qui ferait du serpent de Djorf-Torba une espèce cinq fois plus grande. De plus, les plus grosses des vipères Bitis semblent être adaptées à un environnement de forêt humide, contrairement à celles des régions arides qui sont habituellement de taille modeste.
Il est aussi à noter que les ornements céphaliques des vipères sont plus des "cornes" que des "crins", et que ce serait une première de voir des ornements ressemblant à une crinière sur la tête d'un serpent.
Heuvelmans indique dans son ouvrage que les témoins ont pu confondre un ornement céphalique avec des poils, n'osant pas s'approcher de l'animal ; mais l'examen du serpent mort et la taille précise de la crinière (qui a été rapportée sur le schéma) semblent montrer que celle-ci a pu être observée de près.
Vipère Cornue (Bitis cornuta), vipère africaine présentant un ornement céphalique
Photo : Johan Marais
- La taille énorme de ce serpent évoque celle d'un grand serpent constricteur comme le python de Seba (Python sebae), mais sa description physique ne correspond pas à celui-ci. Les pythons ne possèdent pas de crochets à venin, et ont une morphologie différente : le corps ne montre pas de différence nette avec le début de la queue, et la tête ne se finit pas en pointe, comme indiqué sur le schéma. De plus, l'aire de répartition du python de Seba est située plus au sud.
Cependant, les dents de pythons peuvent aisément être confondues avec des crochets de vipères par un œil non averti. En outre, le nombre de crochets que posséderait ce serpent (outre les deux qui furent prélevées par l'infirmier-chef Bobino) n'a pas été rapporté : il donc n'est pas possible de déterminer si l'animal mentionné était venimeux ou non.
Python de Seba, pouvant atteindre des tailles de plus de six mètres de longueur
Source : reptile-database
Il est intéressant de remarquer que vu sa longueur de neuf mètres, le serpent de Djorf-Torba figurerait parmi les plus grands du monde, pas loin du python réticulé qui peut atteindre exceptionnellement 10 mètres. Il serait également le seul serpent venimeux à atteindre une taille aussi importante, les serpents de grande taille tuant en général leur proie par constriction. Le plus long serpent venimeux connu est le cobra royal (Ophiophagus hannah), qui peut attendre 5 m de longueur (ce serpent faisant d'ailleurs figure d'exception, la grande majorité des serpents venimeux dépassant rarement les 2 m).
Rebondissement de l'enquête [avril 2014]
En avril 2014, l’équipe de l’Encyclopédie est contactée par M. Jean-Pierre Segaut, qui rapporte avoir travaillé sur le chantier du barrage de Djorf-Torba en tant qu’agent technique adjoint à l’ingénieur matériel de février 1966 à décembre 1968. Il assure n'avoir jamais entendu parler de la découverte d'un serpent gigantesque sur le chantier avant sa lecture du présent article et signale avoir relevé plusieurs incohérences dans le dossier transmis à Bernard Heuvelmans par son correspondant anonyme. Pour ne citer que les plus importantes :
- Deux témoins donnent des dates différentes pour la découverte du serpent : janvier 1967 et fin 1967.
- Bien que le correspondant anonyme de Bernard Heuvelmans cite nommément un grand nombre de témoins (ainsi que leurs lieux de résidence), il n'en a semble-t-il interrogé qu’un seul.
- Bernard Heuvelmans précise que c’est lors des travaux de finition que les rumeurs sur des serpents géants ont commencé à circuler. Or, la rencontre supposée avec le serpent a eu lieu en 1967, donc bien avant les travaux de finition qui ont démarré en mars 1969.
- Le serpent, d’après les dires des témoins, se nourrissait de la graisse stockée en fûts pour le concasseur Dragon. D’après J.-P. Segaut, le graissage était effectué par un camion muni d’une plateforme de graissage et la graisse utilisée n’était en réalité pas conservée sur le site de la carrière et de la station de concassage.
- Le médecin de Kenadsa, le docteur Jézéquel, passait rarement sur les lieux et seulement pour visiter le chantier. Il ne transportait en tout cas ni seringues ni formol avec lui et n'aurait donc pas pu en injecter dans le corps du serpent pour garantir sa conservation.
Photo prise sur le chantier du barrage de Djorf-Torba
Photo : Jean-Pierre Segaut
De plus, J.-P. Segaut donne plus de détails sur l’adjoint du directeur, qui se serait appelé « Seguine » selon le correspondant anonyme d'Heuvelmans et aurait été d’origine turque ou pakistanaise. En réalité, l’adjoint du directeur ne s’appelait pas « Seguine » mais Gastaud, et le seul nom approchant est celui du conducteur de travaux, un français de souche nommé Seguin, que connaissait J.-P. Segaut. Celui-ci a contacté les filles de M. Seguin ainsi que plusieurs autres personnes qui ont travaillé sur le chantier du barrage, qui lui ont toutes données la même réponse : ils n'avaient jusque-là jamais entendu parler de la présence d'un serpent géant à Djorf-Torba et, en admettant que la rencontre ait bien eu lieu, M. Seguin n'est pas entré en possession de la peau.
D’après Jean-Pierre Segaut, l’histoire narrée par Heuvelmans est un curieux mélange de faits réels (le nom de certains témoins, certains détails du chantier, le fait qu’il y ait effectivement eu des vipères à cornes mais de taille bien moindre) et d’éléments fictifs (la modification du nom et de la fonction de Seguin, le mélange des dates dans certains cas, les rumeurs sur des serpents géants). L'auteur du dossier d’Heuvelmans étant resté anonyme, il est difficile de tirer le fin mot de l’affaire. Canular ou histoire narrée par une personne étrangère au chantier qui aurait mal interprété les dires de témoins plus ou moins directs ? Mauvaise observation d'un serpent de taille inhabituellement grande (python de Seba par exemple), déformée et romancée au fil du temps ?
Photo des bureaux du chantier du barrage de Djorf-Torba
Photo : Jean-Pierre Segaut
Il est intéressant de constater qu'Heuvelmans mentionne, un peu plus tôt dans le même chapitre, les modifications de taille qui peuvent découler de la transmission orale des témoignages :
Il s'avère que finalement, l'hypothèse du canular semble être la plus probable. En effet, J.-P. Segaut a réussi à contacter un autre ancien du barrage, l'infirmier Mohamed Tahar Lahdeb, qui fait partie de la liste de noms de témoins qu'avait rassemblé le correspondant anonyme d'Heuvelmans. Celui-ci va lui signaler qu'à cette époque, l'équipe de graissage, appuyée par les gardiens, aurait fait circuler une histoire de serpent dévoreur de graisse, avec un double objectif : expliquer la raison de la disparition d'un des fûts (en fait dérobé), et limiter la circulation des ouvriers du côté de la tente des gardiens. Mohamed Tahar Lahdeb précise également qu'il a pris le temps de contacter certains anciens, et que cette explication a été globalement confirmée.
Il semble donc que le mystère du serpent de Djorf-Torba se soit finalement éclairci et ramène l'enquête sur les serpents géants africains à son point de départ : il n'existe apparemment aucune preuve matérielle, contrairement à ce qui avait été rapporté dans le dossier reçu par Heuvelmans. Cette histoire, qui peut au départ sembler digne de foi puisque citant les noms de nombreux témoins, est explicitement contredite par plusieurs personnes qui ont réellement travaillé sur le chantier : elle semble donc en définitive relever davantage du canular et de la légende urbaine.
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Localisation : Barrage de Djorf-Torba, Algérie, Afrique
Date : 6 ou 7 Janvier 1967
Bibliographie :
- Les derniers Dragons d'Afrique, B. Heuvelmans, Plon, 1978
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Auteur : Herr Magog
Mise en ligne : 08/08/10
Dernière modification : le 07/08/14 à 22:34
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