Encyclopédie du paranormal - Agneau Tartare

     Agneau tartare


Plante légendaire d'Asie centrale dont le fruit ressemblerait à un agneau


L'une des descriptions les plus anciennes et les plus souvent reproduites de l'agneau tartare provient des Exotericae Exercitationes de Jules-César Scaliger (1557) :

Rien n'est comparable à l'admirable arbrisseau de Scythie [NdR : Sud de la Russie]. Il croît principalement dans le Zaccolham, aussi célèbre par son antiquité que par le courage de ses habitants. L'on sème dans cette contrée une graine presque semblable à celle du melon, excepté qu'elle est moins oblongue. Cette graine produit une plante d'environ trois pieds de haut (ndlr : vraisemblablement un mètre environ), qu'on appelle boramets, ou agneau, parce qu'elle ressemble parfaitement à cet animal par les pieds, les ongles, les oreilles et la tête ; il ne lui manque que les cornes, à la place desquelles elle a une touffe de poils.

Vue d'artiste de l'agneau tartare

Elle est couverte d'une peau légère dont les habitants font des bonnets. On dit que sa pulpe ressemble à la chair de l'écrevisse de mer, qu'il en sort du sang quand on y fait une incision, et qu'elle est d'un goût extrêmement doux. La racine de la plante s'étend fort loin dans la terre : ce qui ajoute au prodige, c'est qu'elle tire sa nourriture des arbrisseaux circonvoisins, et qu'elle périt lorsqu'ils meurent ou qu'on vient à les arracher. Le hasard n'a point de part à cet accident : on lui a causé la mort toutes les fois qu'on l'a privée de la nourriture qu'elle tire des plantes voisines. Autre merveille, c'est que les loups sont les seuls animaux carnassiers qui en soient avides.

Dans certaines descriptions, il est dit que c'est l'agneau lui-même qui broute les plantes qui l'entourent jusqu'à ce que mort s'ensuive. C'est par exemple le cas dans celle faite par Claude Duret en 1605 dans son Histoire admirable des plantes et herbes esmerveillables et miraculeuses en nature, dans laquelle il cite l'agneau tartare comme un exemple de « zoophyte » (littéralement, plante-animale en grec) au même titre que la mandragore? :

Ce Zoophyte [...] estoit fichée ou attachée dedans le solage de la terre et que tant que la longueur et grandeur de ceste tige ou racine se pouvoit estendre, ce Zoophyte ravissoit et dévoroit en rond tout ce qui estoit près de luy.

Vue d'artiste du « Borametz de Scythie » publiée dans Histoire admirable des plantes et herbes esmerveillables et miraculeuses en nature

La créature est souvent appelée Barometz, Boramets, Boramez... Ce terme (et ses diverses variantes orthographiques) serait un dérivé des mots "mouton" ou "agneau" dans diverses langues slaves : баран baran en russe et ukrainien, beran en tchèque...


Bien que de nombreux autres ouvrages fassent référence à l'agneau tartare, généralement en se basant sur le texte de Scaliger, des doutes quant à son existence apparaissent dès 1557 dans le De Rerum Natura (« Des choses de la nature ») de Girolamo Cardano.

En 1683, l'explorateur Engelbrecht Kaempfer se rend en Perse (Iran) à la recherche de l'agneau tartare, sans succès, et parvient à la conclusion qu'il s'agit d'une légende, vraisemblablement causée par une mauvaise compréhension de la langue des vendeurs de laine de la région.

En 1698, Sir Hans Sloane, futur fondateur du British Museum, reçoit un spécimen qu'on lui présente comme un agneau tartare rapporté d'Inde. Il s'aperçoit toutefois qu'il s'agit du rhizome de Cibotium barometz, une espèce de fougère chinoise, retourné et découpé de façon à ressembler à un mouton. Ce spécimen est aujourd'hui encore exposé au Garden Museum de Londres.

Agneau tartare du Garden Museum de Londres

Vers la même époque, d'autres agneaux tartares montrés dans des cabinets de curiosité sont également expliqués par des trucages similaires. Au 18ème siècle, dans son article de l'Encyclopédie consacré à l'agneau tartare, Diderot conclut :

M. Hans Sloane dit que l'Agnus scythicus est une racine longue de plus d'un pied, qui a des tubérosités, des extrémités desquelles sortent quelques tiges longues d'environ trois à quatre pouces, et assez semblables à celles de la fougère, et qu'une grande partie de sa surface est couverte d'un duvet noir jaunâtre, aussi luisant que la soie, long d'un quart de pouce, et qu'on emploie pour le crachement de sang. Il ajoute qu'on trouve à la Jamaïque plusieurs plantes de fougères qui deviennent aussi grosses qu'un arbre, et qui sont couvertes d'une espèce de duvet pareil à celui qu'on remarque sur nos plantes capillaires ; et qu'au reste il semble qu'on ait employé l'art pour leur donner la figure d'un agneau, car les racines ressemblent au corps, et les tiges aux jambes de cet animal.

L'agneau tartare tel qu'il apparaît dans le Mariage des Fleurs de D. de la Croix (1798)

Voilà donc tout le merveilleux de l'agneau de Scythie réduit à rien, ou du moins à fort peu de chose, à une racine velue à laquelle on donne la figure, ou à-peu-près, d'un agneau en la contournant.
Cet article nous fournira des réflexions plus utiles contre la superstition & le préjugé, que le duvet de l'agneau de Scythie contre le crachement de sang. Kirker, et après Kirker, Jules César Scaliger, écrivent une fable merveilleuse ; et ils l'écrivent avec ce ton de gravité et de persuasion qui ne manque jamais d'en imposer. Ce sont des gens dont les lumières et la probité ne sont pas suspectes : tout dépose en leur faveur : ils sont crus ; et par qui ? par les premiers génies de leur temps ; et voilà tout d'un coup une nuée de témoignages plus puissants que le leur qui le fortifient, et qui forment pour ceux qui viendront un poids d'autorité auquel ils n'auront ni la force ni le courage de résister, et l'agneau de Scythie passera pour un être réel.


Origines

Selon Henry Lee, auteur de The Vegetable Lamb of Tartary; A Curious Fable of the Cotton Plant (1887), le mythe trouverait son origine dans les premières description des cotonniers.

Gravure illustrant le livre de voyages de Sir John Mandeville, qui décrit la plante comme « portant un fruit comestible ressemblant à un « petit agneau sans laine »

Une créature mi-plante mi-agneau appelée Jeduah (ידוה) apparaît dans le folklore juif dès 436 ap. J-C, qui ne pouvait être tuée qu'en coupant sa tige avec des flèches, après quoi elle mourait rapidement. Une variante de cette légende parle du Faduah, une créature mi-homme mi-plante reliée à la Terre par une tige partant de son nombril, qui tuait toute créature passant à sa portée et se nourrissait d'herbe.


Représentation de l'agneau tartare par Mathieu Mérian (1646)


Dans The Shui-yang or Watersheep and The Agnus Scythicus or Vegetable Lamb (1892), Gustav Schlegel suggère que la légende de l'agneau tartare s'est inspirée de celle du mouton d'eau chinois (水羊, pinyin : shuǐ-yáng), lui aussi décrit comme une créature mi-agneau mi-plante reliée au sol par un cordon ombilical et qui aurait vécu dans les environs de la Perse.
Il est dit que les habitants de la région protégeaient ces agneaux des prédateurs sauvages en construisant des barrières autour d'eux, le temps qu'ils aient fini de pousser. Une fois leur croissance terminée, les habitants revêtaient des armures et jouaient du tambour pour effrayer les agneaux, qui rompaient alors leur cordon ombilical en s'enfuyant et partaient à la recherche d'eau et de pâturages.
Une explication veut que cette légende chinoise ait été inspirée par la façon dont certains coquillages produisent du byssus, des fibres parfois qualifiées de « laine de mer ».

La légende de l'agneau tartare a également été comparée à celle de l'arbre à bernache?, sur les branches duquel pousseraient des oiseaux.

Représentation de Cibotium Barometz et des « agneaux » obtenus à partir de son rhizome, par Worthington Smith

L'explication la plus populaire à l'heure actuelle est que la légende a été inspirée par l'apparence de Cibotium barometz, comme le spécimen reçu par Sir Hans Sloane, à cause du duvet similaire à de la laine qui recouvre et son rhizome et de sa forme évoquant un quadrupède lorsqu'il est découpé et retourné. La plante doit par ailleurs son nom (barometz) à la légende de l'agneau tartare.


Traduction anglaise: Vegetable Lamb of Tartary, Sythian Lamb

Noms alternatifs : Agneau de Scythie, Boramets, Borametz, Barometz, Borometz, Boramez, ...

Localisation : variable selon les auteurs, de l'Iran à l'Inde en passant par l'Afghanistan et le Sud de la Russie ; Asie centrale

Articles connexes :

Sources et liens complémentaires :

Un conte esmerveillable : Le borametz, l'agneau dans la citrouille et la laine marine Jean-Loïc Le Quellec
Agnus Scythicus, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, D. Diderot
Page Vegetable Lamb of Tartary
Legend of the Lamb-Plant'', Judith J. Ho, Probe vol. 2 (3), 1992

Auteur : Paul Binocle
Mise en ligne : 19/02/11
Dernière modification : le 10/07/12 à 16:26