Encyclopédie du paranormal - Appeleur

     Appeleur


Type de créature surnaturelle du folklore européen


L'appeleur est un archétype de créature surnaturelle, répandu à travers toute l'Europe. Les légendes le mettant en scène présentent d'innombrables variantes mais s'articulent autour de certains éléments constants : une créature malfaisante se manifestant par ses cris, qui vont conduire à la mort celui qui serait assez imprudent pour y répondre.


Exemple de contes


Conte collecté en Bretagne :

« Les noyés, dont le corps n'a pas été retrouvé et enseveli en terre sacrée, errent éternellement le long des côtes. Il n'est pas rare qu'on les entende crier, dans la nuit, lugubrement :

- Iou ! Iou !

On dit alors, dans le pays de Cornouailles :

-
E-man Iannic-ann-ôd o iouall ! (Voilà Iannic ann-ôd ' Petit-Jean de la grève ' qui hurle !)

Tous ces noyés hurleurs sont instinctivement appelés Iannic-ann-ôd. Iannic-ann-ôd n'est pas méchant, pourvu qu'on ne s'amuse pas à lui renvoyer sa plainte sinistre. Mais, malheur à l'imprudent qui se risque à ce jeu ! Si vous répondez une première fois, Iannic-ann-ôd franchit d'un bon la moitié de la distance qui le sépare de vous ; si vous répondez une deuxième fois, il franchit la moitié de cette moitié ; si vous répondez une troisième fois, il vous rompt le cou. »


(Raconté par Anatole Le Braz, dans La Légende de la mort en Basse-Bretagne (1893))

Conte collecté dans le Berry :

« Le lupeux est un démon dont la nature n'a jamais été bien définie et dont l'« apparaissance » varie suivant les localités. [...] Un de nos amis, qui parcourait le pays avec un guide, entendit, un soir, dans le crépuscule, une voix presque humaine et très douce qui, d'un ton enjoué ou plutôt goguenard, répétait de place en place, autour de lui :

- Ah ! ah !

Il regarda de tous côtés, ne vit rien et dit à son compagnon de route :

- Voilà quelqu'un de bien étonné ; est-ce à cause de nous ?

Le guide ne répondit rien. Ils continuèrent à marcher dans la plaine déserte où les arbres « têteaux », c'est-à-dire étêtés et mutilés par l'ébranchage, prenaient sur l'horizon, blanchi à l'approche de la lune, les formes les plus monstrueuses et les plus bizarres. La petite voix claire et douce suivait nos voyageurs, et, à chaque mouvement de surprise que faisait notre ami, répétait « Ah ! ah ! » d'une manière si moqueuse et si gaie, qu'il ne put s'empêcher de rire en lui répondant :

- Eh bien, quoi donc ?
- Taisez-vous, pour l'amour de Dieu ! lui dit son guide en lui serrant le bras et en se signant avec dévotion ; ne lui parlez pas, n'ayez pas l'air de l'entendre. Si vous lui répondez encore une fois, nous sommes perdus !

Notre ami, qui connaît bien les idées du paysan, ne s'obstina pas, et, quand ils eurent lassé par leur silence l'invisible persifleur :

- Ah ! çà, dit-il à son guide, c'est un oiseau de nuit, une espèce de chouette ?
- Ah ! bien, oui ! répondit l'autre, un bel oiseau ! C'est le lupeux ! Ça commence par plaisanter avec vous, ça rit, ça vous tire de votre chemin, ça vous emmène et puis ça se fâche et « ça vous périt » dans quelque fondrière.

Telle est, en effet, la spécialité du lupeux, démon aussi spirituel que méchant, que l'on a vu quelquefois perché sur un arbre tordu, vu qu'il est lui-même « de travers », c'est-à-dire « traversieux », c'est-à-dire enfin pervers et amoureux « de nuisance ».
Les gens qui ont l'imprudence de le suivre et de l'écouter s'en sont mal trouvés. Il n'est sorte de plaisants contes, de méchants propos, de commérages sanglants ou comiques dont il ne vous régale dès que avez été assez curieux pour lui dire jusqu'à trois fois : « Quoi donc ? », ou « Qu'est-ce qu'il y a ? » Il commence alors à babiller comme une « ageasse » (une pie) ; il vous régale d'aventures étranges et scandaleuses, il promet de vous faire surprendre des rendez-vous galants qui intéressent votre malice naturelle ou votre jalousie conjugale. Une fois dans ses griffes, on ne se lasse pas de l'écouter et de le questionner. Il vous conduit au bord d'une eau trompeuse et vous dit :

- Regarde !

Vous vous penchez vers ce fantastique miroir où vous apparaissent en effet les images qui troublent votre imagination ; mais le perfide vous pousse, et, quand la mort vous enlace de ses bras glacés, vous entendez le lupeux, perché sur une branche au-dessus de l'eau, dire de sa jolie scélérate de voix :

- Ah ! ah !... Eh bien, voilà ce que c'est ! »


(Raconté par George Sand dans Légendes rustiques (1877))


Description


Les histoires mettant en scène une créature de type appeleur présentent un certain nombre de caractéristiques récurrentes :

  • la créature n'est habituellement pas observée et se manifeste essentiellement par ses cris.
    Afin de mieux tromper ses victimes et de susciter leur curiosité, l'appeleur peut donner diverses formes à ses vocalises : l'appel à l'aide d'une personne semblant s'être égarée dans la campagne ; des cris similaires à ceux que font les paysans lorsqu'ils se hèlent entre eux ; un sifflement ou un rire moqueur...
    L'appeleur s'adapte au profil de ses victimes, par exemple en prenant la voix d'une jeune fille s'il est en présence d'un jeune homme, ou en racontant des histoires scandaleuses et des ragots de façon à capter l'attention de son auditeur.
    Enfin quelques contes précisent que la voix de l'appeleur est irrésistible pour celui qui l'entend, et capable de réveiller mêmes les personnes endormies (cas du hupeur français).
  • si un imprudent répond aux cris de l'appeleur, la créature l'attire vers une zone d'eau (mare, rivière, marais ou océan). La malheureuse victime y tombe ou y est poussée par l'appeleur, et elle se noie.
    Si elle est chanceuse, la victime n'est pas tuée mais l'appeleur la regarde se débattre dans les eaux en riant à gorge déployée de sa farce.

    Dans d'autres cas, si une personne est assez audacieuse pour répondre aux cris de la créature, l'appeleur se rapproche d'elle petit à petit... jusqu'à se trouver sur sa victime, qu'il tue en lui brisant le cou, en la dévorant ou en la battant à mort.
    Les croyances populaires affirment souvent qu'il ne faut pas répondre plus de 3 fois à un appeleur sans quoi il finira par vous tuer, bien que dans certains contes et légendes, répondre une fois aux cris de la créature suffise pour se mettre en danger.
  • l'appeleur est essentiellement nocturne. Il s'en prend aux personnes qui seraient assez imprudentes pour s'aventurer dehors pendant la nuit ; voyageurs égarés, routiers et colporteurs, paysans ayant tardé à rentrer à chez eux...


Gravure « Le lupeux » de Maurice Sand illustrant les Légendes Rustiques de Georges Sand (1858)


La nature de l'appeleur change selon les sources. Certaines en font une sorte de lutin. D'autres le décrivent explicitement comme un fantôme, à la façon du Yannick ann aod breton cité en exemple ci-dessus qui est la manifestation de l'âme des personnes noyées en mer.
Exceptionnellement, l'appeleur peut être un animal fantastique : les hupeurs du folklore français sont ainsi quelque fois décrits comme des oiseaux de nuit dotés d'une voix humaine.

Si les créatures de type appeleur sont généralement invisibles, il arrive occasionnellement qu'elles se montrent. Dans ce cas, les contes et légendes leur attribuent alors un très grande variété d'apparences : animaux (cheval, chien, oiseau), formes humanoïdes (lutin, spectre, géant) voire même phénomènes naturels (feu follet)... Certaines sources précisent explicitement que l'appeleur est métamorphe.
Dans certains cas, l'appeleur se manifeste sous une forme humaine, toujours pour mieux tromper ses victimes et pouvoir plus facilement les attirer dans un endroit dangereux où il pourra les noyer. Le moine de Saire présente par exemple l'aspect d'un petit homme vêtu de blanc ; apparaissant au milieu de la rade de Cherbourg et suppliant les passants de l'aider, il agrippe et entraîne au fond des flots ceux qui lui tendraient une main secourable.


Le mythe peut présenter éventuellement des éléments chrétiens : l'appeleur est parfois présenté comme une âme damnée pour avoir commis un crime ou ne pas avoir respectée ses obligations de chrétien(ne) de son vivant. De même selon certaines sources, il est possible de faire fuir l'appeleur en récitant en prière, en faisant le signe de croix ou en portant sur soi un objet béni.


Appeleurs célèbres par pays


  • France : l'appeleur est très présent dans le folklore français et connu sous d'innombrables variantes. Dans les régions de langue d'oil, le nom de la créature est souvent la transcription en dialecte du mot « hueur » : hupeur dans le Centre de la France, huard en Normandie, ouyeux en Champagne, hucheur en Savoie...
    On peut également citer parmi les plus célèbres :
    • Basse-Bretagne : hopper ; bugul-noz (« berger de la nuit », en pays vannetais) ; yann / yannick ann aod (« Jean de la grève » ou « Petit jean de la grève », en pays de Cornouailles) ; crieren-noz (« crieurs de nuit », sur l'île de Sein) ; paotr penn-er-lo (« le gars de Penn-er-Lo », sur la presqu'île de Quiberon) ; c'hwiteller-noz (« siffleur de nuit » à Carnac)...
    • Berry : lupeux
    • Haute-Bretagne : houpoux
    • Normandie : moine de Saire (hante la rade de Cherbourg et les rivages de la Manche)
    • Vendée : braillards (île de Noirmoutier)
  • Suisse : hutzêran (canton de Genève et de Vaud)

Si le mythe de l'appeleur est principalement répandu en Europe de l'Ouest, il existe dans d'autres régions du monde des créatures s'en rapprochant beaucoup :


Origine du mythe


L'appeleur jouait dans le folklore le rôle d'un croquemitaine et remplissait une fonction sociale et pédagogique : il était utilisé par les parents pour dissuader leurs enfants de vagabonder à l'extérieur à la nuit tombée ou de s'approcher des points d'eau. Le bugul-noz breton était par exemple supposé emporter dans son grand chapeau les enfants qu'il rencontrait sur sa route.
Le mythe rappelait également aux adultes qu'il ne faisait pas bon rester dehors après le crépuscule, une fois les travaux terminés.


L'archétype de l'appeleur peut être vu comme une variante continentale du mythe de la sirène?, qui ensorcelle les marins par ses chants et (éventuellement) les conduit à la mort.
L'appeleur présente également des liens avec d'autres créatures surnaturelles :

  • le cheval aquatique : comme l'appeleur, le cheval aquatique est une créature métamorphe nocturne, s'attaquant aux promeneurs égarés qu'il force à grimper sur son dos, pour aller les noyer dans un trou d'eau ou une rivière.
    Certains appeleurs bretons comme le lutin paotr Penn-er-Lo de Quiberon pouvaient se comporter comme un appeleur ou comme un cheval aquatique selon les sources.
    Enfin certains chevaux aquatiques comme le ch'blanc qu'vo du Pas-de-Calais portent à leur cou un collier de clochettes, au son si agréable qu'il attire irrésistiblement à lui les personnes qui l'entendent.
  • la dame-blanche? : les cris et les pleurs des dames blanches? (et de leurs innombrables variantes locales comme les banshees irlandaises) sont annonciateurs de mauvaises nouvelles - voire de mort - pour celui qui les entend ou pour ses proches.
    Les dames blanches? sont très similaires aux appeleurs mais ont cependant un caractère moins malfaisant : à leur différence, elles n'agressent pas les humains et elles ne font qu'annoncer à l'avance le décès inéluctable d'une personne (on considère en général que ce n'est pas le cri lui-même de la dame blanche? qui provoque la mort).
  • le loup-garou? : certains appeleurs comme le bugul-noz breton ou le lupeux du Berry sont parfois confondus avec des loup-garous?, et ce bien que les créatures aient des caractéristiques très différentes. Des folkloristes du début du XXème siècle comme Yves le Diberder ont expliqué cette confusion par un amalgame effectué par les conteurs de cette période, qui auraient mélangés plusieurs récits ensembles, à une époque où la croyance traditionnelle en ces créatures commençait à s'effacer.
    Dans certains cas, cette confusion pourrait s'expliquer par l'homophonie entre le nom local du loup-garou? (lupin, lubin) et celui de l'appeleur (lupeux, hupeur).


La chouette effraie a pu inspirer par ses cris effrayants et son apparence la légende du hupeur, qui est dépeint parfois comme un oiseau fantastique
(Source : Peter Trimming)


Le mythe de l'appeleur pourrait trouver son origine dans l'interprétation erronée ou superstitieuse de certains bruits nocturnes, tels que les cris de certains animaux (fouines, chouettes) ou des phénomènes naturels (vent dans les rochers lors des tempêtes en mer) pouvant évoquer en certaines circonstances des voix humaines.


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Traduction anglaise : le mythe de l'appeleur n'a pas été décrit dans la littérature anglaise et ne possède pas de dénomination spécifique dans cette langue.

Localisation : la croyance est principalement répandue dans l'Ouest de l'Europe.

Bibliographie :

  • La Grande Encyclopédie des Lutins, de Pierre Dubois (1992), éd. Hoëbeke.
  • The Fairy-Faith in Celtic Countries, de Walter. Y. Evans-Wentz (1911).
  • Bugul-Noz et Loup-Garou, de Yves Le Diberder (1912). Annales de Bretagne, vol. 28.

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Auteur : Ar Soner
Mise en ligne : 09/07/16
Dernière modification : le 17/02/19 à 18:39