Encyclopédie du paranormal - Tsukumogami

     Tsukumogami


Dans le folklore japonais, anciens objets devenus vivants et maléfiques


Un tsukumogami (en japonais : 付喪神, traduction approximative : "vieil objet esprit") est une sorte de yokai des croyances japonaises.


Il est dit qu'un objet peut acquérir une âme et s'animer s'il atteint son 100ème anniversaire ; plus rarement il peut également prendre vie par rancoeur et par amertume s'il a été abandonné ou abîmé.

N'importe quel artefact est susceptible de se transformer en tsukumogami, y compris des objets ménagers tout-à-fait ordinaires. Pour cette raison, les tsukumogami présentent une très grande variété de formes et d'aspects. Ils gardent l'apparence de l'objet d'origine, mais possèdent en plus un visage (souvent représenté avec un oeil unique et une bouche grande ouverte, tirant la langue), des jambes, des bras...
Les tsukumogami sont de nature maléfique ; ils hantent les êtres humains et leurs jouent des tours pendables, allant même jusqu'à les blesser ou à les tuer.


Des tsukumogami (à droite : une sandale en paille, une canne et une ombrelle) sur un dessin du Hyakki Yako. Période Muromachi (1336-1573)

Dans le folklore japonaise, les tsukumogami sont très clairement assimilés à des esprits ou à des êtres surnaturels ; comme ils sont conscients et vivants, ils sont différents des objets magiques ou enchantés.

Des cérémonies étaient -et sont toujours- effectuées dans certains sanctuaires shintoïste, pour apaiser la colère des objets cassés ou devenus inutiles. C'est notamment le cas de la fête Hari-Kuyou (針供養), qui a lieu chaque année le 8 février et qui est une sorte de rituel funéraire en l'honneur des aiguilles à coudre. Les vieilles aiguilles usagées sont incluses dans un bloc de tofu ou de konnyaku (gelée végétale) et offertes à un temple, qui se chargera de les exorciser.


Statue de bakezōri (tsukumogami des sandales), sur la Shigeru Mizuki Road en préfecture de Tottori au Sud-Ouest du Japon

Sachant que chaque objet de la vie quotidienne peut potentiellement se changer en tsukumogami, il en existe théoriquement une infinité. Certains types de tsukumogami sont cependant particulièrement célèbres :

  • Karakasa ou kasa-obake (唐傘) : tsukumogami des ombrelles, typiquement décrites avec un unique oeil, tirant la langue et avec une jambe à la place du manche. C'est probablement le tsukumogami le plus célèbre, il apparaît encore très fréquemment dans les films d'horreur asiatiques et dans les bandes dessinées.
  • Bakezōri (化け草履) : tsukumogami des sandales japonaises zōri, traditionnellement faites en paille de riz. Elles ont deux bras et deux jambes, ainsi qu'un oeil unique et une bouche au milieu de la semelle. Elles courent à travers la maison la nuit, en chantant "kararin, kororin, kankororin !".
  • Chōchin'obake (提灯お化け) : tsukumogami des lanternes japonaises en papier (chōchin). Elles sont dépeintes de manières variées, le plus souvent avec un visage et une bouche grande ouverte, plus rarement avec des membres.

Cette liste n'est cependant pas exhaustive. On peut également citer les biwa-yanagi (tsukumogami des biwa, luths japonais), les morinji-no-okama (théières), les furu-utsubo (jarres à sake), les zorigami (horloges)...
La plupart de ces tsukumogami ont été popularisés (voire créés de toute pièce pour certains) par les peintres et les dessinateurs de l'ère Edo (1603-1868), qui mirent en image un très grand nombre de coutumes et croyances japonaises. On doit notamment à ces artistes les noms et le design particulier des tsukumogami, qui font maintenant parti de la tradition.


Une chōchin'obake (tsukumogami des lanternes), d'après la légende traditionnelle Yotsuya kaidan. Estampe de Shunbaisai Hokuei (XIXème siècle) extraite du recueil Hyaku Monogatari ("Cent histoires fantastiques").

Il n'existe que très peu de légendes traditionnelles mettant en scène des tsukumogami.

La plus connue est une otogizōshi (histoire traditionnelle) de l'ère Muromachi (1392-1573).
Un groupe d'objets dont les propriétaires se sont débarrassés lors d'un susuharai (grand nettoyage de la maison du mois de Décembre) prennent vie et, indignés d'avoir été ainsi jetés après tant d'années de bons et loyaux services, décident de se venger.
Un chapelet bouddhique nommé Ichiren Nyūdō tente de raisonner ses compagnons et les incite à voir leur situation comme une simple conséquence de leurs karmas. Mais ceux-ci ne l'écoutent pas et le battent jusqu'à ce que son fermoir casse, obligeant Ichiren à fuir.

Le vieux parchemin Kobun élabore un plan qui permet aux objets de se changer en tsukumogami.
Ils attendent la fête de Setsubun, qui marque le passage d'une saison à une autre ; en effet, suivant les théories ésotériques de l'Onmyōdō?, le yin et le yang s'inversent à cette période de l'année. Il suffit alors aux objets de rejeter l'âme qui les anime pour que le Dieu créateur leur fasse don d'un nouveau corps monstrueux.
Ainsi transformés en tsukumogami, les objets mènent à bien leur vengeance en dévorant leurs anciens propriétaires et en terrorisant la population.

Cependant leur chance tourne vite. Un jour, les objets ont le malheur de prendre à parti le conseiller de l'empereur ; or l'homme est protégé par un sortilège qui invoque une gigantesque boule de feu et met les monstres en déroute.
Le magicien qui avait créé ce sortilège est un prêtre au service de l'empereur. Il prie et fait appel à plusieurs gohō-dōji, des serviteurs divins qui pourchassent les tsukumogami et les battent sans difficultés.

Après avoir subit une défaite cuisante, les objets décident de se convertir au Bouddhisme et de retrouver Ichiren Nyūdō, qui s'est retiré du monde pour vivre en ermite dans la montagne.
Ichiren leur pardonne les violences qu'ils lui avaient fait subir et accepte de leur dispenser les enseignements de la secte bouddhique Shingon. Les tsukumogami redeviennent alors des objets inanimés et atteignent l'illumination, devenant des Bouddhas.


Statue de karakasa (tsukumogami des ombrelles), sur la Shigeru Mizuki Road en préfecture de Tottori au Sud-Ouest du Japon

Le mythe des tsukumogami trouve son origine dans la nature animiste de la religion traditionnelle japonaise, le shintoïsme.

L'une des croyances principales du shintoïsme est que la nature est peuplée d'une multitude d'êtres surnaturels, les kami (神).
Les principaux kami sont mis en scène dans la mythologie japonaise ; ce sont les grands dieux du panthéon shintoïste, et ils correspondent à des forces naturelles personnalisées et humanisées : le Soleil, la Lune, les typhons... Mais les kami peuvent également être les esprits divinisés d'êtres humains ou d'animaux morts, ou des éléments naturels comme les arbres, les rochers, les fleuves... Il en existe donc théoriquement un nombre presque infini.

Dans le shintoïsme moderne, seuls les objets mythologiques ou très particuliers sont considérés comme des kami. Cependant, il est possible que le shintoïsme ancien ait accordé le statut de kami aux objets de la vie quotidienne, à la façon de certains courants animistes d'Afrique, d'Asie du Sud-Est ou d'Amérique latine. Les tsukumogami seraient un reliquat de ces anciennes croyances.


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Traduction anglaise : Tsukumogami

Localisation : Japon, Asie

Liens complémentaires :

Ressources bibliographiques :


Catégories : T ; Mythes et folklore ; Créatures
Auteur : Ar Soner
Mise en ligne : 26/03/09
Dernière modification : le 10/07/12 à 18:05